Chapitre 8
Le cours du lundi matin se passe sans encombre. Pauline me laisse tranquille et j'arrive à enchaîner les danses sans fléchir. Je suis même au meilleur de ma forme.
L'après-midi, j'arrive à l'heure à la Tour Wes et monte directement au quarantième étage. Je salue Marie et lui donne le chocolat chaud que je lui ai acheté sur la route.
— Mon péché mignon ! T'es vraiment trop mignonne, s'extasie-t-elle.
— Je sais, je sais, me vanté-je.
Je range mes affaires et rassemble mes cheveux en un chignon serré. Wes sort de son bureau et je le salue brièvement, avant de prendre place derrière mon bureau. Je suis encore gênée par sa visite de samedi soir.
Je me concentre sur mon travail et essaie de ne pas avoir affaire à lui pour le reste de l'après-midi.
— Max, tu peux aller poser ça dans la salle des archives ? me demande Marie en me tendant un carton rempli à ras bord.
— Tu veux dire : le placard ?
Elle rit et me confirme qu'en effet, il a plutôt la taille d'un placard. J'attrape le carton et me dirige au bout du couloir. J'ouvre la porte et déplace un petit escabeau avec le pied pour pouvoir placer la boîte en haut des étagères. Je monte sur celui-ci et soulève le carton au-dessus de ma tête.
— Tu vas m'éviter combien de temps ?
La voix grave de Wes me fait sursauter et je manque de faire tomber le carton. Il m'aide à le rattraper et le place tout en haut à ma place. Ma respiration cesse tout le temps que son buste est collé à mon dos.
Quand il se détache enfin, je redescends de l'escabeau et me retourne pour lui faire face. Nos torses sont presque collés et je suis obligée de lever la tête pour le regarder dans les yeux.
— Alors ?
— Je ne t'évite pas, mens-je.
— Tu souffles le chaud et le froid, soupire-t-il.
— Pardon ?
— Tu me dis qu'il n'y a rien entre nous et pourtant, tu m'évites.
Vraiment ? C'est ce que je fais ? Non.
— Pas du tout.
Je déglutis pendant que lui me jauge. Ses prunelles fixent les miennes, cherchant probablement une réponse que j'ai peur de lui donner.
— Arrête de me fuir dans ce cas et peut-être que tu me convaincras que je te laisse indifférent, achève-t-il avant de me tourner le dos et de quitter le placard.
Je passe le reste de l'après-midi à réfléchir à ses propos. Est-ce que ça voudrait dire que je lui plais ? Oui, sauf qu'il veut peut-être juste s'amuser. Je m'auto-exaspère. Non, j'ai mieux. Je m'auto-excède. Vis un peu, Max. S'il vient te voir, laisse-toi porter.
C'est sur ce discours d'automotivation que je quitte le bureau pour me rendre à l'école. Je décide de prendre le bus et m'assois sous l'abribus pour l'attendre. Une fois mon casque sur les oreilles, mes yeux se baissent sur mon téléphone pour faire défiler ma playlist.
Un klaxon se fait entendre et je relève la tête. Comme un air de déjà vu, Wes est dans sa voiture et me parle sans que je ne puisse l'entendre. Le comique de la situation nous fait rire tous les deux et, contrairement à la première fois, j'enlève mon casque puis m'approche de sa voiture. Hésitante, je me baisse pour être à sa hauteur.
— Je te dépose ?
Je réfléchis et me souviens de ma nouvelle résolution.
— Je veux bien, mais je vais à l'école.
Il se penche un peu sur le siège passager et m'ouvre la porte.
— Grimpe.
Je ne me fais pas prier et monte dans sa voiture. Une fois ma ceinture bouclée, j'observe l'habitacle. Tout est très luxueux dans cette voiture dont le cuir brun recouvre les sièges et je suis sûre que c'est un modèle toutes options.
— C'est une Lamborghini, m'informe-t-il avec fierté. Tu aimes ?
Comment lui répondre sans le vexer ?
— Je ne suis pas très voiture, éludé-je.
— Tu n'aimes pas ? rit-il.
— Non, trop tape-à-l'œil. Enfin, surtout la couleur.
Il continue de rire et nous partons.
Quand nous arrivons devant l'école, il n'y a déjà plus grand monde. Il gare la voiture et je détache ma ceinture.
— Tu vas t'entraîner ?
J'acquiesce. Il semble hésiter, puis finit par poursuivre.
— Ça te dérange si j'en profite pour prendre quelques photos ?
Je suis étonnée par sa demande et je dois avouer que je ne sais pas vraiment si l'idée m'enchante. Cependant, son air suppliant me convainc.
— Tu ne me dérangeras pas ?
— Tu ne te rendras même pas compte que je suis là, me dit-il en signant une croix sur le cœur comme un gamin.
Je lève les yeux au ciel. C'est vraiment un enfant.
· Très bien alors.
Je sors de sa voiture et me dirige vers l'entrée. Wes me rejoint rapidement. Nous entrons dans l'école, puis saluons le gardien. Je remplis la fiche de présence et récupère les clés d'une des salles de danse. Nous nous y rendons, puis je laisse Wes pour aller me changer aux vestiaires.
Quand je reviens, il est en train de trafiquer son appareil photo, il est concentré et ses sourcils sont, comme toujours, froncés. Je ne le dérange pas et me dirige vers la chaîne hi-fi. Je branche mon téléphone, m'approche des barres et commence mes étirements.
Après cinq minutes, je retourne à la chaîne Hi-fi et lance le morceau que j'ai choisi pour mes premiers examens. « Homemade Dynamite » de Lorde. Je commence à danser et tout disparaît autour de moi. Je ne suis plus Max, je ne suis que pas, mouvements et sensations. La musique me transporte. Chaque note envahit mes cellules.
Je fends l'air, je saute, me jette au sol, me relève. J'enchaîne les Butterfly, les jetés au sol, les cambrés, les courbes. Une petite voix dans ma tête compte. Un, deux, trois. Un, deux, trois. Mon corps prend de l'élan et mes jambes quittent le sol pour effectuer un grand jeté, mais cèdent à la réception. Clouée au sol, une crampe me fait gémir de douleur et je mets du temps à comprendre ce qui vient de se passer.
En moins de deux secondes, Wes est à mes côtés, affolé.
— Max ? Tout va bien ?
Je ne peux pas répondre, la douleur me coupe le souffle. Je baisse la tête pour qu'il ne voie pas mes yeux se remplir de larmes. Je masse ma jambe pour faire passer la crampe, et peu à peu, la souffrance s'atténue. Mais plus elle disparaît, plus je panique. Je me tourne vers Wes, il doit comprendre que quelque chose ne va pas.
— Max... Qu'est-ce qui se passe ?
— Ce n'est pas normal Wes, quelque chose cloche avec moi.
Puis une perle salée roule sur ma joue. J'enchaîne les engourdissements, les crampes. Je n'ai jamais aussi bien dansé, et pourtant, on dirait que mon corps... On dirait qu'il ne veut plus que je le fasse.
Wes me frotte le dos avec tendresse. Il me réconforte, mais je ne peux m'empêcher d'être effrayée. Si je perds la danse, il ne me reste rien.
— J'ai de très jolies photos, tu es différente quand tu danses, dit-il en me souriant tendrement.
J'apprécie le fait qu'il cherche à me remonter le moral. Il attrape son appareil photo et se positionne à côté de moi. Ses doigts font défiler les clichés qu'il a pris. Je suis époustouflée par la manière dont il capture les choses qu'il voit.
— Tu as vraiment l'œil, ne puis-je m'empêcher de le complimenter.
Chaque photographie est magnifique et artistique. On ne me voit pas juste danser, on me voit ressentir la danse. Il continue de les faire défiler, puis quand on arrive au bout, il range son appareil. Nous ne disons plus rien pendant un moment, puis j'ose me montrer curieuse.
— Pourquoi ne pas t'y consacrer ?
Wes ramène sa jambe et y cale son coude. Il ne porte plus sa veste de costume et les manches de sa chemise sont remontées jusqu'aux avant-bras. Un soupir lui échappe, avant de me répondre.
— Mon père est quelqu'un de très autoritaire. Quand j'ai eu dix-sept ans, j'ai voulu intégrer une école de photographie. Mon rêve était d'être reporter en zone de guerres. Une envie dingue pour un garçon aussi jeune, c'est vrai. Mais je voulais vivre intensément, savoir ce qui se passe et le montrer. L'idée ne lui a pas vraiment plus, et quand on grandit avec un père comme le mien... On apprend à obéir.
Je ne sais pas qui est cet homme, mais je ne l'aime déjà pas. Wes marque une pause et joue nerveusement avec ses doigts.
— Voilà pourquoi je n'aime pas trop qu'on me questionne là-dessus. J'arrive à en faire encore un peu... Mais quand on gère une grosse boîte comme celle de mon père, disons que le temps manque. Il surveille même mon emploi du temps. Nous finançons une partie de cette école, alors j'arrive à lui faire croire que je viens pour les affaires. Heureusement, Sylvie est une amie et elle me couvre.
J'aime de plus en plus Sylvie.
— J'ai hâte de voir celles que tu as prises pendant le cours, l'autre jour, lui dis-je pour lui redonner le sourire.
Et j'en obtiens un. Le temps semble s'être arrêté comme par magie. Nos regards ne se lâchent pas jusqu'à ce qu'il rompe le contact en se relevant.
— Tu devrais rentrer te reposer, me conseille-t-il.
J'accepte sa main et me redresse à mon tour. En me relevant, je trébuche et cette fois, seule ma maladresse est à blâmer. Je me rattrape à son torse et le temps se fige à nouveau, mais de manière plus intense. L'oxygène semble avoir quitté mon corps et mon cœur semble vouloir sortir. Bouger est impossible tant je suis paralysée. Alors que je pense qu'il va m'aider à me redresser, il fait tout l'inverse et rapproche un peu plus nos corps.
Mon cœur cogne de plus belle et ma main, toujours sur son torse, peut sentir que le sien bat tout aussi vite.
Son regard passe de mes yeux à mes lèvres. Je déglutis face à cette intensité et je dois dire que cette attente est un délicieux supplice. Chaque fibre de mon corps semble n'attendre que lui et ma peau frissonne dans l'expectative de ce que ses yeux me promettent.
Sa tête se baisse et sa bouche se rapproche de la mienne. Comme au ralenti, nos lèvres se rejoignent enfin. Il m'embrasse lentement, délicatement. Son baiser est chaud, doux. Mon corps entier frissonne quand il passe sa main dans mes cheveux et incline ma tête pour l'approfondir. Si ce baiser était d'abord timide, il est maintenant plus audacieux. Un soupir m'échappe, laissant sa langue pénétrer ma bouche.
Je dois dire que je n'ai jamais connu de baisers aussi intenses, aussi enivrants. Je fonds littéralement sous son étreinte. Alors que je pense qu'il va se détacher de moi, il agrippe mes fesses et me soulève. Comme si mon corps n'était fait que pour ça, mes jambes s'enroulent autour de lui. Je pousse un cri de surprise quand mon dos brûlant rencontre la fraîcheur du miroir.
Il recule un peu et cette soudaine distance me fait ouvrir les yeux. Nos regards se croisent et je crois deviner des excuses dans le sien. Mais je ne les comprends pas et, surtout, je n'en veux pas. Je ne les accepterai pas. Alors, je l'embrasse à mon tour. Comme si c'était la seule chose qui comptait.
Je passe ma main dans ses cheveux et il se rapproche à nouveau de moi. Son corps presse le mien contre le miroir et je sens entre mes jambes à quel point nos baisers l'électrisent. Le sentir ainsi aurait pu me gêner ou m'effrayer, mais c'est tout l'inverse qui se produit.
Contrairement à ce que j'aurais pu penser, il ne cherche pas à aller plus loin. On s'embrasse, encore et encore, et je ne sais pas combien de temps s'écoule. Cinq minutes ? Une heure ? Je sais juste que quand il me repose, ses lèvres sont rouges et ses cheveux ébouriffés.
Nous sommes essoufflés et avons du mal à redescendre sur terre. Il me surprend encore en m'embrassant à nouveau, mais cette fois, avec douceur et délicatesse. Un sourire tendre vient illuminer son visage et je ne sais pas si je le regretterai, mais j'ai envie de le voir me sourire ainsi tous les jours.
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