Chapitre 7

Arrivée au rez-de-chaussée, je sors de l'ascenseur, traverse le hall d'entrée et m'engouffre dans les portes-tambour, en prenant garde à ne bousculer personne. Dehors, une température agréable caresse ma peau, il fait bon. Ma mauvaise humeur se dissipera peut-être sous le soleil. J'inspire profondément et traverse le parvis.

Soudain, une main retient mon bras. Je me retourne, choquée. Wes est face à moi. Il me fait signe d'attendre, s'abaisse et pose ses mains sur ses genoux. Sa respiration est difficile.

— Attends, deux secondes.

Je le regarde, interrogative.

— Tu as couru ?

— Oui, l'ascenseur du parking, me répond-il, comme si c'était une réponse à ma question. Je me suis comporté comme un con.

— Je ne te le fais pas dire.

Il se redresse doucement, l'air nerveux, et se gratte la tête.

— Je suis désolé. Je ne suis juste pas habitué à ce qu'une furie entre en trombe dans mon bureau, me dit-il, à moitié amusé.

— Oui, ce n'était pas vraiment correct, admets-je, mais j'étais à bout.

— Disons qu'on est quittes. Je n'aurais pas dû te dire ça et j'en suis vraiment désolé.

J'acquiesce.

— On remonte ? me propose-t-il.

— Tu as viré Marie pour moins que ça, lui dis-je taquine.

— C'est vrai, mais tu n'es pas Marie, me répond-il, sérieux.

Gêné par sa propre réflexion, il se racle la gorge et me fait signe de le suivre. Nous retournons à l'intérieur et traversons le hall. Blondie ne se cache pas pour me lancer un regard meurtrier lorsque nous passons devant l'accueil. Nous approchons de l'ascenseur qui va se fermer et il fait signe aux autres personnes de descendre. Il place la clé dans la serrure privée du dernier étage, nous permettant de monter directement.

Me voilà complètement seule avec lui, dans un espace confiné. Et bon dieu, ce que quarante étages c'est long, finalement. Je suis consciente de chacun de ses gestes. J'entends chacune de ses respirations. Je sens le moindre de ses regards m'effleurer la peau. Cette cabine me semble soudainement bien trop étroite. Quand il passe la main dans sa tignasse, c'en est fini de moi. Et alors que mes rapports avec les hommes sont compliqués... Merci Aaron... J'aimerais qu'il agrippe mes cheveux, au lieu des siens et qu'il m'embrasse.

Je secoue la tête, non mais je divague complètement !, et me concentre sur les étages qui défilent au-dessus de la sortie.

— Je suis désolé pour tout à l'heure, me dit-il, brisant ainsi le silence qui devenait de plus en plus pesant pour moi. Je sais ce que c'est d'avoir une passion. Je ne voulais pas...

— Ce n'est rien, le rassuré-je. Tu parles de la photo ?

Je me tourne vers lui et il me sourit tristement.

— On doit parfois sacrifier ses rêves.

— C'est dommage. Personne ne devrait faire ça.

Il ne dit plus rien et nous arrivons enfin au quarantième. Je rejoins Marie qui semble surprise de me voir de retour et qui m'adresse un clin d'œil appréciateur.

Je pose mon sac et ma veste dans le petit placard qui se trouve derrière le bureau. Je m'assois à ma place et mon regard tombe sur un flacon de vitamines posé sur un post-it où est écrit : "Trêve ? »

— Il l'a déposé à midi, me renseigne Marie. Il a cru que je n'étais pas là, mais je l'ai vu faire. Il a dû le sortir et le remettre dans sa poche une bonne dizaine de fois, se moque-t-elle.

Je ris en l'imaginant faire, parce que oui, c'est tout à fait son genre.

Pour lui montrer que j'ai bien reçu son petit cadeau, je profite de ma pause pour aller lui acheter un café corsé au Columbus d'en bas. Je remonte, attrape un post-it, écris mon petit message en réponse à sa proposition de trêve et frappe à son bureau.

Je rentre après qu'il m'y a autorisée. Je m'approche de son bureau et dépose le café. Il semble concentré et, comme à son habitude, il fronce les sourcils.

— Tu devrais arrêter de froncer constamment les sourcils. Tu seras ridé avant l'âge, sinon.

Il me regarde, amusé, et je quitte son bureau. Je l'entends alors rire et suis contente de ma petite blague. Moins de dix secondes plus tard, mon téléphone vibre.

[ Wes : Vraiment ? "Plutôt mourir" ?]

Je tente de retenir un gloussement et range mon téléphone, satisfaite. Au moins, j'ai réussi à le dérider.

L'après-midi est passée relativement vite et il est l'heure pour moi de rejoindre Lucas pour boire un verre et manger un morceau.

Nous discutons de mes cours, de mon travail, du sien, de sa nouvelle petite amie et d'autre chose. Mon téléphone bipe dans mon sac et je l'en sors. C'est une notification de Wes. J'ouvre le message et éclate de rire en voyant la photo qu'il m'a envoyée. Il s'est collé un bout de scotch au-dessus de chaque sourcil pour ne pas les froncer. Je ne le savais pas aussi drôle. Ma réponse lui confirme qu'il fait des progrès et qu'il doit continuer ses efforts. Je repose mon téléphone et relève la tête pour croiser le regard de Lucas et reconnais sa mine.

— Quoi ? lui demandé-je agacée.

— C'était qui ?

— Wes, réponds-je

— Wes ? Ton patron ? s'étonne-t-il.

— Celui-là même.

— Ça ne me plaît pas trop...

Un soupir m'échappe. Lucas a toujours été ainsi : ultra protecteur. Adolescent, il passait son temps à éloigner les garçons qui s'approchaient trop près de moi. Certains ont cru qu'il était amoureux. Et pourtant, non. On a même essayé de s'embrasser quand on avait seize ans. C'était un fiasco total. Autant pour lui, que pour moi.

— Max... C'est un riche, son entreprise est cotée en bourse, il n'a été qu'avec des jolies filles de bonne famille, reprend-t-il.

— T'as fait ton enquête ? m'exclamé-je.

— Je dis juste que...

— Je sais, je ne suis pas assez bien pour lui, le coupé-je.

— Je n'ai pas dit ça, tente-t-il de se rattraper.

— Alors qu'est-ce que tu insinues ? De « belles filles de bonne famille », ça veut dire quoi ?

Il ne se rend parfois pas compte de ce qui sort de sa bouche et combien il peut être blessant.

— Je dis juste qu'il veut profiter d'une pauvre petite naïve.

De mieux en mieux.

— C'est bien, tu te rattrapes, m'indigné-je. Bon, quand tu auras fini de jouer au détective privé, tu m'appelles. En attendant, je suis fatiguée. Ma semaine a été longue et la dernière chose dont j'ai envie, c'est d'entendre ce genre de choses. Bonne soirée, Lucas.

Je me relève et récupère mes affaires sous son regard surpris. Il n'a pas le temps de me rattraper que je suis déjà dehors. Je suis furieuse contre lui, comment peut-il se montrer aussi méchant sans même s'en rendre compte ? J'ai bien vu que Wes était en haut du panier. Je ne suis pas stupide ! Il est canon, je ne peux pas dire le contraire et je l'apprécie, mais rien de plus n'est envisageable.

Le bus me dépose à quelques pas de chez moi. Maman est à la maison et elle dort. Depuis la rentrée, on ne fait que se croiser. Je me sens vraiment seule dans cette maison. Je ne lui en veux pas du tout, je sais qu'elle fait ça pour nous et que depuis la mort de papa la situation est devenue compliquée. Mais par moments, j'ai vraiment l'impression de vivre seule. Et je ne peux pas dire que ce soit une situation qui me plaise.

Je monte dans ma chambre, jette mes chaussures à l'autre bout de la pièce et me vautre sur mon lit. Je sors mon téléphone de ma veste et rit en regardant une nouvelle fois, la photo de Wes.

Le lendemain, nous regardons un film avec ma mère. Notre choix s'est porté pour la énième fois sur Titanic et nous finissons en larmes, comme toujours. Après avoir préparé le repas de ce soir ensemble, je remonte dans ma chambre. L'eau chaude de la douche me fait du bien quand je suis prise d'une crampe à la jambe.

Je retiens un cri et gémis de douleur en me mordant la main. Je me masse à l'eau chaude et les larmes aux yeux, attendant que la douleur passe. Quand celle-ci disparaît enfin, je sors de la douche. Ma main applique la crème contre les contractures musculaires que m'a prescrite le kiné ce matin et je m'allonge sur mon lit, accompagnée d'un livre, quand ma mère m'appelle. Je descends sans me presser, autant ne prendre aucun risque.

— Il y a un jeune homme dehors pour toi...

Elle m'indique la porte, visiblement curieuse. Je la regarde confuse et me dirige vers l'entrée. Un homme se tient de dos et je ne mets pas longtemps à le reconnaître.

— Wes ?

Il se retourne, visiblement gêné de se trouver là.

— Salut... Je t'ai appelée ce matin..., bredouille-t-il.

— Désolée, je n'ai pas consulté mon téléphone.

Me voilà perdue. Je ne comprends pas pourquoi il s'est déplacé.

— Comment t'as eu mon adresse ?

— Les fiches du personnel, m'avoue-t-il.

— Ça fait un peu stalker, tu ne trouves pas ? demandé-je taquine.

— Oui, désolé. Je n'ai pas trop l'habitude avec ça.

— Ça ? lui demandé-je en fronçant les sourcils.

— Oui, ça.

Il nous désigne l'un l'autre, et là, je dois dire que je suis complètement perdue. Puis je repense à ce que m'a dit Lucas et sans que je ne puisse résister, le doute s'insinue en moi. Je ne sais pas ce que "ça" signifie, mais à l'instant, alors qu'il est devant moi, "ça" me fait peur.

— Il n'y a pas de "ça" Wes, tu n'avais pas à te déplacer.

Je ne peux m'empêcher de lui répondre sèchement et, dès que ces mots sortent de ma bouche, je m'en veux.

— Tu as raison, rit-il faussement. Je ne sais pas pourquoi je suis venu jusqu'ici. Je suis désolé. Je vais te laisser.

Il s'approche et m'embrasse la joue. Ses lèvres se posent délicatement, m'effleurant à peine et je peux sentir son parfum subtilement épicé. Mes yeux se ferment et je profite de l'instant en retenant ma respiration, de peur qu'il ne s'aperçoive de l'effet qu'il a sur moi. Je ne sais pas ce qu'il se passe entre nous, mais je mentirais si je disais qu'il me laisse indifférente.

Il se détache doucement de moi et s'éloigne pour remonter dans sa voiture. Je respire à nouveau et le regarde partir. Je reste plantée là quelques minutes, le cœur affolé, les mains moites.

— Donc, qui était ce jeune homme ? me questionne ma mère à peine ai-je mis un pied dans la cuisine.

— Personne, maman.

— Il n'est pas un peu vieux ? s'amuse-t-elle.

J'ouvre le placard pour attraper des assiettes et me retourne pour la regarder.

— Tu trouves ?

— Ha, tu me demandes. C'est qu'il t'intéresse ? se moque-t-elle.

— Je ne sais pas, avoué-je.

Parce que c'est la vérité. Je le connais peu, il m'agace, il m'énerve. Et pourtant, il m'attendrit et je deviens guimauve quand je le vois. Elle s'approche doucement et me serre dans ses bras.

— La vie est bien trop courte, ma fille.

Je la regarde, amusée.

— L'amour peut attendre, ma p'tite maman. J'ai tout mon temps.

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