Chapitre 30
Seth :
Je rentre à l'appartement. Plus que quelques jours et je quitterai cette entreprise, ce travail qui me bouffe et ce père qui n'en a de titre que le nom. Je n'aurai plus jamais affaire à lui.
Je suis pressé de voir Max. Je l'ai enfin retrouvée. Ces mois loin d'elle ont été une véritable torture, mais quand j'ai appris la vérité, j'ai d'abord cru que mon monde s'écroulait. J'aurais encore préféré qu'elle m'ait réellement trompé.
« Je ne peux pas me marier. » C'est la première chose que je me suis dite en me réveillant ce matin. Peu importe si elle me déteste, mais je disais vrai quand je lui ai promis que si je devais épouser quelqu'un, ce serait elle. Je n'ai jamais aimé Lucie. On n'est même pas sortis ensemble, merde. Je ne peux pas épouser quelqu'un pour le business. Encore moins pour un business dont je me contrefiche.
Ça fait des heures que je tente de joindre Maxime, mais si au début, son téléphone sonnait, maintenant, je tombe directement sur sa messagerie. J'ai besoin de la voir. Je déboule dans sa rue avec ma voiture, je ne me gare même pas correctement, je n'en ai pas le temps. J'en sors quand je vois quelqu'un devant sa porte. Lucas. Putain. Il se fige quand il me voit.
— Qu'est-ce que tu fais là ? me demande-t-il étonné.
— Je dois la voir.
— Elle n'est pas là, me dit-il désolé.
— T'es quoi ? Son ange gardien, maintenant ?
— Elle n'est vraiment pas là, Wes.
Je me contiens, je me retiens de lui péter sa gueule d'ange. Pourtant, Dieu sait que depuis ce jour-là, j'en ai envie. Il s'approche de moi.
— Garde tes distances, crois-moi, le menacé-je.
Il soupire et se passe une main dans les cheveux. Il s'approche encore et là, je ne peux plus. Mon sang ne fait qu'un tour et je me jette sur lui avant de lui coller une droite.
— Mec, arrête. Ce n'est pas ce que tu crois !
— T'as baisé ma meuf et ce n'est pas ce que je crois ?
La rage me consume, je revois leurs deux corps dans ce putain de lit. Lucas finit couché au sol et je m'apprête à lui en coller une deuxième.
— Elle m'a demandé de te le faire croire.
Je me fige, le poing en l'air.
— Quoi ?
— Elle voulait que tu la quittes, que tu la détestes. Crois-moi, j'ai essayé de l'en empêcher, mais elle est butée.
— Pourquoi elle aurait fait ça ?
Je le lâche et il se décale un peu. Il attrape sa mâchoire et la masse en grimaçant de douleur. Je ne me suis pas retenu.
— Ce n'est pas à moi de te le dire, se contente-t-il de répondre.
Je l'attrape par le col et il voit la menace dans mes yeux.
— Pourquoi elle aurait fait ça ? répété-je en détachant chacun de mes mots.
— Elle est malade.
Je ris, je n'ai jamais vu un plus gros mensonge.
— Je ne plaisante pas, ce ne sont pas des conneries ! Je préférerais, tu peux me croire.
— Parce qu'elle est malade ? Juste pour ça ?
— Oui, pas la peine de faire cette tête. Et elle n'est pas « juste » malade.
— Malade comment ? demandé-je tout à coup angoissé.
— C'est grave. La maladie de Charcot. Tu peux me lâcher, s'il te plaît ?
Je vois à son regard triste qu'il ne me ment pas. La gravité de son état est bien réelle.
— Elle n'est pas chez elle. Elle a dû partir faire un tour, m'annonce-t-il en se relevant.
— Très bien. Je vais l'attendre ici.
Lucas est parti de suite et j'ai patienté toute la journée, en espérant que ce soit un mensonge. Mais non, c'était vrai. J'ai passé la journée à faire des recherches et quand je l'ai vue sur ses béquilles, mon cœur s'est arrêté. J'étais désolé pour elle, pour ce temps passé seule. J'étais désolé de l'avoir abandonnée.
Aujourd'hui, on est enfin ensemble et peu importe le temps qu'on aura, je la rendrai heureuse.
Je pousse la porte de mon appartement. Celui-ci est plongé dans le silence.
— Max ? appelé-je.
N'obtenant aucune réponse de sa part, je m'avance et la trouve dans la cuisine, immobile. Ça lui arrive parfois en ce moment. Elle est en train de couper des légumes, puis ses mains se figent. Elle observe longuement la lame du couteau et passe son doigt dessus. Une goutte de sang perle sur son doigt avant de tomber sur la planche à découper. Je sais à quoi elle pense et ça me met en colère, putain !
— Max, l'appelé-je calmement.
Elle ne répond pas, toujours perdue dans ses pensées sombres, à dix mille lieues de moi. Je déteste les chemins qu'elles prennent.
— Maxime, tonné-je.
Elle sursaute et lâche le couteau qui tombe sur le comptoir dans un bruit sourd.
— Tu es là ? me dit-elle en se composant un sourire de façade.
Mais ça ne prend pas. Pas avec moi. Pas après tout ce qu'on a traversé. Je contourne l'îlot central et ramasse le couteau. Je tire la manche de son pull et la relève. La lame la frôle.
— Où ça ? Tu veux que je le fasse où ?
Je hurle et elle se raidit à nouveau.
— C'est ça que tu veux, non ? Tu veux en finir ? Dis-moi où, Max ?
Mon corps entier est tendu, et le sien tremble. Je m'en veux de réagir ainsi, mais je lui en veux encore plus de me mettre à l'écart. Tout ce que je voudrais, c'est la protéger, mais elle ne m'en donne pas l'occasion.
— Arrête, me supplie-t-elle en larmes en essayant de retirer son bras.
Je resserre ma prise et l'empêche de m'échapper, sa peau est devenue blême et ses yeux fixent intensément la lame.
— Non, toi arrête. C'est ça que tu veux ? Gaspiller notre temps ? Tu veux l'écourter encore plus ? Tu veux gâcher ce qu'il nous reste en te taillant les veines ? Je peux te trouver des cachets, si tu préfères ?
Je ne retiens plus mes mots, leur débit, ma colère. Je suis blessé. J'ai déjà vécu ça une première fois, je ne le supporterai pas à nouveau. Elle relève sa tête et je me noie dans son regard. Mon cœur se brise à la vue des émotions qui se déchaînent dans ses pupilles. Je jette le couteau dans l'évier et la prends dans mes bras.
— J'ai peur, j'ai tellement peur, m'avoue-t-elle le corps pris de secousses.
Ses petites mains s'accrochent à mes bras et sa tête se niche dans mon cou. Elle ne me l'avait jamais dit. Bien sûr, je le savais. Mais elle gardait tout pour elle, ne verbalisait rien.
— Je ne veux pas mourir.
Elle sanglote de plus belle et s'effondre au sol. Je la dépose sur mes genoux et empêche mes larmes de couler. La boule à la gorge, je me retiens de ne pas rajouter à sa peine. Mais j'ai mal, putain que j'ai mal.
Elle s'endort dans mes bras, épuisée. Je la porte jusqu'à ma chambre et l'observe quelques minutes en caressant ses longs cheveux bruns. Sa poitrine se relève calmement, et quand sa respiration s'approfondit, je quitte la chambre sans un bruit. Ma main serre la poignée de la porte lorsque je la referme. Elle vient ensuite essuyer mes joues humides et je pose mon front contre le bois. Juste le temps de reprendre mes esprits. Juste quelques secondes.
Je retourne à la cuisine pour couper le feu quand mon regard tombe sur quelque chose qui ne devrait pas être là. Je n'ai pas besoin de lire ce qui est écrit dessus, je reconnaîtrai cette carte à n'importe quelle distance. Mon sang se glace et je jure que là, maintenant, je pourrais commettre un meurtre.
Je quitte précipitamment l'appartement et me rends jusque chez mon paternel. Sans frapper ni m'annoncer, j'entre dans la demeure familiale. Familiale ? Il n'y a jamais eu un seul bruit, ici. Pas un seul cri d'enfant, c'était interdit. Si cette maison est depuis toujours, occupée, personne n'y a jamais vraiment vécu. Ce foyer est mort quand maman a commencé à disparaître.
Je n'ai pas à chercher longtemps avant de le trouver. Il est dans son bureau et ne semble même pas surpris de me voir. Il se recule dans son siège quand il voit mon état de fureur. Mon poing se lève et dans un élan vient se fracasser contre sa joue. Putain, ça soulage ! Je secoue ma main en savourant le sentiment. Des années que j'attendais ça. Mon père se recule et se lève de son siège. Sa main posée sur sa joue, il grimace et me regarde les yeux emplis de haine.
— Tout ça pour une pute ? me dit-il furieux.
— Je t'interdis de parler d'elle comme ça.
On peut être deux à crier. Il ne m'intimide plus. Avant, il me faisait peur. Je le craignais pour les coups quand j'étais enfant puis pour ses menaces quand je n'ai plus eu l'âge d'être corrigé. Mais aujourd'hui, j'ai quelque chose pour lequel me battre. Aujourd'hui, j'ai Max.
— Tu gâches ta vie pour quelqu'un qui va mourir.
Je ne suis même pas surpris qu'il soit au courant.
— On va tous mourir ! Je pourrais me faire renverser par un bus, demain ! Alors peu importe le temps qu'elle vivra, je ne gâche pas ma vie. Tu restes éloigné d'elle. Tu lui voulais quoi ? La menacer, encore ?
— Je lui ai proposé mon aide. Peut-être sera-t-elle plus intelligente que toi.
Je comprends ce qu'il insinue quand il parle d'aide. Mon père est tordu et il n'a aucune limite. Sauf le crime. Il est bien trop lâche pour ça.
— Si tu fais ça à cause de l'entreprise, sache que je l'aurais quittée, avec ou sans Maxime.
— Si tu ne reviens pas, je te jure que je mettrai mes menaces à exécution.
Je passe à côté de son bureau et fais tomber, un à un, les objets qui s'y trouvent. Il veut m'intimider ? Je peux faire la même chose. Je jubile déjà en pensant à la bombe que je vais lâcher.
— Fais-le. Mais je ne me laisserai pas faire. Qu'est-ce que tu crois que j'ai fait, ces deux derniers mois ? Tu crois que j'ai repris sagement mon poste sans assurer mes arrières ? ris-je sardonique.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Détournements de fonds, harcèlement sexuel à la pelle... Tu as besoin que je poursuive ?
— Espèce d'ingrat ! éructe-t-il avant de me gifler.
Sa main qui s'abat sur ma joue ne me fait même pas mal. Je suis rodé.
— J'ai été à bonne école. Demain, je quitte mon poste. Je veux récupérer les affaires de maman. Tout. Je veux que tu me rendes ce qui est à moi. Autrement, je te jure que j'ai des contacts dans certains journaux. Ça fera les choux gras de la presse.
— Il ne reste plus rien d'elle.
— La lettre ?
Je n'ai pas besoin de préciser. Il sait de quoi je parle.
— Brûlée. Tu la voulais ? Pour quoi faire ? Lire qu'elle était désolée d'en être arrivée là ? Elle nous a abandonnés. Elle ne méritait pas que tu la lises.
Ça ne m'étonne même pas. Après tout, je m'en doutais. Je m'éloigne vers la sortie et ouvre la porte, avant de me retourner.
— Approche-toi encore une seule fois de Maxime et je te jure que je te tue.
Je ressors de la pièce et traverse le couloir sans demander mon reste. J'aperçois une lueur d'amusement dans les yeux du personnel. Oui, mon père est un vrai connard.
Je remonte dans ma voiture et rentre chez moi. Quand je pénètre dans l'appartement, je constate que Max n'est pas là. Elle n'est pas non plus dans la chambre ni dans la salle de bain. Je m'approche de la cuisine et trouve une note, mais aucune trace de la carte de mon père.
« J'avais quelque chose d'important à faire. Je reviens vite. Je t'aime. Max. »
Putain, non.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top