Chapitre 27

Deuxmois plus tard :

Nous sommes déjà en février. Les fêtes sont passées, accompagnées d'une tristesse infinie. Je passe désormais mon temps à me disputer avec maman. Elle n'est jamais là et, si au début je comprenais, aujourd'hui, je lui en veux terriblement. Je voudrais la réveiller, la secouer, mais rien n'y fait. Elle reste butée. Alors je la laisse faire ce qu'elle veut, s'enfermer dans ses espoirs. Moi je n'en ai plus. Surtout maintenant que je dois marcher avec des béquilles.

Suite à ma chute, je suis allée voir Jérôme. Il trouvait que marcher sans devenait trop dangereux. Une chute dans les escaliers, sur la route. Tout pourrait aller trop vite. Alors maintenant, je marche avec. Je les déteste. Je les fixe parfois quand je suis sur mon lit et je les maudis de rendre tout ça trop visible à mes yeux. Le psy, que je consulte depuis un mois maintenant, m'a demandé de les regarder comme une aide et non pas comme une punition. J'aime bien mon psy, il est gentil. Il a de bons conseils, mais, pour être honnête, je n'arrive pas à appliquer la plupart d'entre eux. Ils sont bien beaux, mais je n'en suis pas encore là.

Je soupire avec lassitude et regarde à présent ma fenêtre parsemée de gouttes d'eau. Il pleut encore. Il n'a presque pas arrêté depuis deux mois, depuis cette fameuse nuit.

J'ai tenté de joindre Seth pendant plus d'une semaine. Sans succès. Je suis allée jusqu'à me déplacer à ses bureaux. Blondie, toujours là, était fière de m'annoncer que j'avais interdiction de monter. Je suis restée assise dans le hall, des heures entières. Combien ? Je ne saurais dire.

Marie a fini par descendre. Elle semblait désolée quand elle m'a annoncé qu'il ne pouvait pas me recevoir. J'ai compris à sa grimace que je devais remplacer le verbe pouvoir, par vouloir. Ça m'a fait mal, mais, au moins, il est passé à autre chose. Dès lors, je l'ai laissé tranquille. J'ai loupé ma chance. Cette dernière entrevue était le signe que les choses devaient rester ainsi.

Hier, Lucas, Julia et moi étions dans ma chambre. Nous parlions de tout et de rien quand le téléphone de Julia s'est mis à sonner. Je l'ai vu blêmir et fuir mon regard. Je l'ai menacée quand elle a refusé de me montrer ce qui l'avait mise dans cet état. À contrecœur, elle m'a tendu son téléphone. Je crois que ce que j'y ai lu restera à jamais gravé dans ma mémoire... Un article titrant « Mariage presque princier chez les Wes-Lambert, demain. » J'ai ravalé mes larmes. Je ne pleure presque plus, je n'en ai plus ni l'envie ni la force.

Lucas m'a regardée, il semblait désolé. Je l'ai rassuré et leur ai confirmé à tous les deux que tout allait bien. C'était complètement faux. Mais qu'auraient-ils pu y faire ? Rien. Rien du tout.

Alors voilà, aujourd'hui j'ai besoin de partir. De quitter Paris, juste quelques heures. Juste le temps d'une journée. Je suis à la gare Austerlitz, sans destination en tête. Mon regard observe avec attention le panneau d'affichage à la recherche de la ville qui me permettra de respirer le temps de quelques heures.

J'ai pris quelques affaires de rechanges dans mon sac à dos, de quoi tenir une nuit ou deux. Au cas où je ne voudrais pas revenir. Mes yeux parcourent les horaires d'entrée en gare lorsque mon regard s'arrête sur « Étretat ». Je me souviens qu'avec papa et maman nous y allions souvent quand j'étais petite. Je m'approche de la borne et paye mon billet, puis me dirige vers les quais où j'attends patiemment que le train entre en gare.

Vingt minutes plus tard, je suis assise, destination Étretat. La Normandie me fera sans doute du bien. Je dois fuir de toute façon. Peu importe où. Je place mon casque sur les oreilles et lance ma playlist. Celle-ci a considérablement changé depuis quelques mois. Les titres pop ont laissé place aux titres plus sombres, plus tristes. J'observe le paysage défiler et changer. Les murs bétonnés disparaissent gentiment pour laisser place à la campagne et à ses étendues de verdure. Je ferme les yeux avec, pour la première fois depuis des semaines, une sensation de sérénité. Je m'imagine danser. Voler. Alors qu'il y a quelques semaines c'était une torture, aujourd'hui ça m'apaise. La maladie peut me prendre mes jambes, elle n'aura pas ma tête. Quand je ferme les yeux, j'enchaîne les figures, les sauts, mon corps accompagne la mélodie.

Presque trois heures plus tard, me voilà arrivée à destination. Je marche environ trente minutes pour arriver jusqu'à la falaise d'Aval, bien que la falaise d'Amont soit bien plus proche, mais je trouve la première plus jolie. Il pleut encore et je n'ai pas pensé à prendre mon parapluie. De toute façon, avec mes béquilles, j'aurais eu du mal à le tenir. Capuche sur la tête, j'avance prudemment. C'est mieux que rien.

La marche m'a épuisée. Mes béquilles sont un peu abîmées par le chemin qui n'est pas très praticable. Enfin plus pour moi, en tout cas. J'arrive enfin et observe l'horizon. Je pense à papa, à maman, à Seth, à mes amis et à la danse.

Je m'approche du bord et me dis que, pour une fois, je pourrais écouter mon psy et ses conseils. Je regarde l'eau s'agiter et le ciel s'obscurcir de minute en minute. Mes yeux se ferment, mes poumons se remplissent d'air et je me mets à hurler. Je m'époumone, je dois probablement avoir l'air d'une folle au bord de cette falaise, mais je m'en fous. Je laisse la colère me submerger : le ressentiment, la douleur, la jalousie, tout. Absolument tout.

À ce moment-là, mon téléphone sonne. Je l'ignore, mais la sonnerie reprend de plus belle. Je n'en peux plus. Mais qu'on me laisse ! Qu'on me fiche la paix. Je le hurle, ça aussi. Je hurle à dieu que je le déteste. À l'amour d'aller se faire voir et à la maladie qu'elle est une pute. Je crie tout ça et beaucoup d'autres choses. Et ce putain de téléphone qui ne s'arrête pas.

Je le prends et, sans le regarder, je le jette. Je le jette en lui priant de me laisser tranquille. Il vole par-dessus bord et disparaît dans le vide. Mon corps s'écroule au sol, essoufflé, lessivé. Mes poings se ferment désespérément sur les brins d'herbe, mes genoux s'enfoncent dans le sol trempé et mon front est posé à même le sol. Des litres de larmes coulent de mes yeux. Beaucoup, longtemps. Je suis fatiguée et j'ai peur. Oui, je suis terrorisée à l'idée de ce qui va m'arriver.

Je me redresse à l'aide de mes béquilles et sèche mes larmes, puis redescends le chemin qui mène à la plage. Mon sac et mes béquilles viennent s'échouer au sol avant d'être rejoints par mes chaussures et mes vêtements. Je suis maintenant en sous-vêtements. Peut-être étrange à cette période de l'année, mais qu'ils aillent tous au diable si ça ne leur convient pas.

Mes pieds s'enfoncent dans le sable mouillé et me conduisent au bord de l'océan. Mon premier pied entre en contact avec l'eau. Elle est glacée au point qu'elle me brûle, mais ça ne m'arrête pas. Je continue mon avancée et le niveau monte petit à petit. Je n'ai bientôt plus pied. L'eau glacée m'engourdit, et le sel dont elle est remplie me pique.

Mon corps se positionne sur le dos et se met à flotter, bercé par les vagues qui me fouettent le visage à intervalles réguliers. Mon regard reste ancré sur le ciel. Les nuages sont gris et noirs et la pluie continue de tomber. Je relâche l'air contenu dans mes poumons et me laisse couler, lentement. Le silence est appréciable, je n'entends rien d'autre que le sang battre dans mes oreilles. Le sel me force à fermer les yeux, me laissant dans un noir complet. Il n'y a plus rien, juste du silence, du noir. Il n'y a plus rien, sauf lui. Son sourire, son rire, ses étreintes et sa douleur. Ses derniers mots. « Au Revoir, Maxime ».

Mes pieds touchent le sol et, en une poussée, je remonte à la surface. Je reprends ma position initiale sur le dos et continue d'être ballottée de droite à gauche. Je commence à trembler de froid, mais cette sensation est revigorante. Je me redresse et vois quelqu'un sur la rive me faire des signes.

Mes bras plongent l'un après l'autre pour me conduire jusqu'au bord. Quand j'ai pied, j'arrête de nager et marche jusqu'à l'homme maintenant au bord de l'eau.

— Madame ?

Je sors de l'eau en boitant et passe devant lui. C'est un homme qui doit avoir une trentaine d'années.

— Vous êtes folle ? me demande-t-il avec agressivité.

Je soupire. Il a mal choisi son jour, lui. J'attrape mes vêtements et me rhabille.

— Je ne vous ai rien demandé.

Il me regarde, choqué.

— Ne vous gênez pas pour reluquer surtout, ne puis-je m'empêcher de lâcher.

— Vous êtes cinglée.

Puis comme ça, il part. C'est bien, bon débarras.

— C'est ça ! Connard, va ! hurlé-je tandis qu'il quitte la plage.

Je m'assois sur le sable et observe l'horizon. La pluie a cessé, me permettant de rester là encore un moment. Un soupir agacé s'échappe de mes lèvres, il a gâché mon moment de relaxation. Je suis perdue dans mes pensées quand je sens quelque chose de chaud tomber sur mes épaules. Je relève la tête et découvre une jeune femme rousse.

— Je suis désolée pour mon mari. Il est un peu bourru. J'habite dans la maison, juste là, m'indique-t-elle. Je vous ai vu hurler depuis la falaise, puis ensuite nager. En plein mois de février, ce n'est pas vraiment courant.

Sa gentillesse me surprend et malgré ce qu'elle me dit, je comprends qu'elle ne me juge pas.

— Vous devez me prendre pour une folle.

— Non... me rassure-t-elle. Je sais qu'on vit tous un moment comme celui que vous devez traverser.

Nous ne disons plus rien et mon regard se tourne à nouveau vers l'océan. Elle repart pour revenir quelques minutes plus tard avec une tasse de thé en mains. Ses mains glissent entre les miennes pour m'encourager à la prendre. Un remerciement sort de ma bouche, tel un chuchotement, et je porte la tasse jusqu'à mes lèvres. Le liquide chaud coule dans ma gorge et je peux le sentir réchauffer la totalité de mon corps.

Nous discutons un peu de tout. Elle me parle de son mari, de leurs enfants et de ses rêves. Avec attention, je l'écoute, mais ne veux pas parler. Elle doit le sentir puisqu'elle ne me pose aucune question. Quand l'après-midi s'achève, je me redresse et plie la couverture avant de la lui tendre.

— Merci pour tout.

— Il n'y a pas de quoi, me dit-elle en accompagnant sa parole d'un geste de la main.

— Je vais devoir y aller. J'ai un train à prendre, lui souris-je, reconnaissante.

— Bonne chance pour la suite.

— Merci.

Je récupère mon sac à dos et mes béquilles. Ces dernières s'enfoncent dans le sable et c'est avec difficulté que je rejoins le chemin me permettant de quitter la plage. Trente minutes plus tard, me voilà à la gare. Heureusement, je ne rate pas le train. Je m'installe et m'endors tout de suite, sans musique.

Arrivée à Paris, je me retrouve dans la foule, la cohue et le brouhaha insupportable. Finalement, la Normandie ce n'était pas si mal. Le bus me conduit jusqu'en bas de ma rue. Mes béquilles glissent un peu sur le trottoir, mais en faisant attention, je parviens à ne pas tomber. Le cliquetis de mes nouvelles amies est le seul bruit qui rompt le silence de ce début de soirée. J'arrive enfin chez moi et je me réjouis déjà à l'idée de me détendre dans un bon bain chaud. Je passe devant une voiture sans y prêter attention. Arrivée devant mon portillon, je le repousse à l'aide d'une de mes béquilles quand j'entends une portière claquer. Une voix tonne et mon cœur loupe un battement.

— Tu comptais me le dire quand ?

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