Chapitre 23
Quand le bruit de son moteur s'éloigne, je resserre ma prise sur le coussin et me mets à sangloter. Le matelas s'affaisse et Lucas soupire.
— Tu m'as promis des explications, Max...
Je remonte le drap sur mon buste dénudé et ferme les yeux.
— S'il-te plaît Lucas, pas maintenant, je ne peux pas.
Mon meilleur ami se rassoit sur le lit.
— Non, il n'y a pas de « pas maintenant », s'agace-t-il. Ce mec est dingue de toi. D'accord, au début j'avais des doutes sur lui, mais... C'est quoi ce plan que tu nous fais, à lui et moi ? Tu te rends compte que c'est mort, maintenant ?
Je sèche mes larmes et agrippe le drap avant de me redresser.
— Lucas... S'il te plaît.
J'enroule le tissu autour de moi et me relève. Je m'éloigne du lit afin de remettre mon t-shirt. Lucas, toujours en jean, s'assoit au bord du lit.
— C'est grave à quel point ?
— Il n'y a rien.
Je n'ose pas le regarder, il me connaît trop bien et comprendrait. Mais comme une lâche, je ne sais pas si je suis prête à ça.
— Prends-moi pour une bille.
Voyant qu'il ne lâchera pas l'affaire, je décide de lui dire une demi-vérité.
— Son père est venu me menacer et a menacé ma mère, ça te va comme réponse ?
— Et tu n'aurais pas pu le lui dire ? Tout simplement ? me demande-t-il dubitatif.
— Non, Lucas. Écoute, merci pour le service. Je te revaudrai ça.
Je ne peux pas m'empêcher d'être froide et sèche et je m'en veux. Je n'ai jamais parlé sur ce ton-là à mon meilleur ami, même lors de nos plus graves disputes. On n'en a pas eu souvent, mais c'est déjà arrivé. Pourtant, je ne l'ai jamais traité ainsi. Je culpabilise, mais je m'en voudrais encore plus de lui dire la vérité. Lucas se relève et se place devant moi, il attrape le pull que je suis en train de plier de façon machinale et le jette sur le lit.
— Dis-moi la vérité, Max. On est amis depuis trop longtemps pour que j'arrive à te croire.
Je sens les larmes monter et je n'arrive plus à les retenir. C'est tellement dur.
— Il y a quelque chose, je le sens. Ça fait deux semaines que tu ressembles à un zombie. Tu crois qu'on n'a rien remarqué, avec Julia ? Tu pensais vraiment que ça passerait inaperçu ?
Alors, parce que je suis seule, parce que je ne sais pas comment l'annoncer à ma mère ni à Julia. Parce que j'ai l'impression de me noyer. Je décide de parler, de briser un premier cœur.
— Je vais mourir...
Simple, concis et cruel, mais tellement vrai. Lucas se fige et me regarde, un sourire incrédule aux lèvres. Si au départ, il ne me croit pas, son sourire disparaît dès qu'il voit les larmes rouler sur mes joues. Son regard devient perdu. Il cherche la vérité dans mes yeux, celle que je ne peux pas lui donner.
— Non..., murmure-t-il.
— Si, Lucas.
Lucas retourne s'asseoir sur le rebord du lit. Il passe la main dans ses cheveux et relève la tête pour me regarder. Je suis toujours au milieu de ma chambre, immobile. J'ai peur qu'il parte. Qu'il me laisse. Qu'il fuie.
— Comment ?
Sa voix est à peine audible.
— On s'en fout de comment, c'est ce qui va arriver !
— Peu importe ce que tu as, tu vas te faire soigner et on va trouver une solution. Tu verras ! ajoute-t-il tout à coup confiant.
C'est ce que j'aime le plus chez lui. Lucas ne s'est jamais laissé abattre par rien. Il cherche toujours une solution, même quand tout semble perdu. Pourtant, aujourd'hui, il n'y a vraiment aucun remède miracle.
— Tu sais, maintenant, il y a un tas de recherches médicales, tout se soigne. Il y a forcément quelque chose à faire, rajoute-t-il.
Son regard est suppliant, il me prie de lui dire qu'il y a une solution. Mais non. Les sanglots m'envahissent dans un cri de détresse. Mes pleurs sont incontrôlés, saccadés. Je l'ai dit. Je m'effondre. Je vais mourir.
Je vais mourir. Je vais mourir. Je vais mourir. Cette litanie ne me quitte plus.
Je ne sais pas si je le pense ou si je le dis vraiment. Lucas s'est relevé rapidement et s'est agenouillé devant moi. Il me berce dans ses bras avec force. Mes doigts s'agrippent à ses épaules. Faites que la douleur parte. Je veux que mon cœur cesse de me faire mal. Je ne veux pas m'effacer, disparaître jusqu'à mourir. Je veux danser, rêver, aimer. Lucas tremble et je m'en veux de lui imposer ça, de lui transmettre cette douleur, ce secret.
Nous sommes à présent sur le lit, la tête renversée dans le vide. Lucas me tient la main. Il ne la lâche pas. Ses larmes ont séché, tout comme les miennes. Mais ses yeux sont toujours aussi rouges. Il se racle la gorge et tourne sa tête vers moi.
— Quel rapport avec lui, Max ?
Je soupire et lui raconte ma discussion avec son père ainsi que mes doutes.
— T'es vraiment conne, Max, si tu veux mon avis.
— Tu voulais que je fasse quoi ? demandé-je résignée.
— Juste que tu le quittes. Pourquoi aller jusque-là ?
— Et prendre le risque qu'il se batte ou qu'il me cherche dans un an ? Dans deux ans ? Et à ce moment-là, quoi ? Il se rendra compte du possible état végétatif dans lequel je me trouverai... Non, je préfère qu'il me déteste, qu'il me haïsse et qu'il ne veuille plus jamais avoir affaire à moi.
— Et toi, dans tout ça ?
— Moi ? lui demandé-je étonnée.
— Oui, toi, Max. Tu vas faire quoi ? T'empêcher d'aimer parce qu'un jour tu mourras ? Tu passes à côté de ce qui est vraiment important et tu vas le regretter.
— Cinq ans, c'est court.
— Mais seul, c'est long. Et si jamais ils se trompaient ? On peut vivre plus longtemps que ça.
— Et dans quel état tu crois que je serai ? Je suis une danseuse, mon corps, c'est mon mode d'expression. Et tu m'imagines dans un fauteuil ? Puis ensuite ne plus pouvoir communiquer ? Je n'attendrai pas d'en arriver là, Lucas.
— Qu'est-ce que tu es en train de dire ? m'interroge-t-il soudainement paniqué.
— Rien... Je dis juste qu'il est hors de question qu'il assiste à ça.
— Et ta mère ?
Je ne lui réponds pas de suite, parce que cette idée me terrorise plus que tout.
— J'ai peur, avoué-je. Je n'ai pas pu lui dire. Je ne sais même pas comment faire. Elle va mieux depuis quelque temps et je vais bousiller tout ça.
Je souffle pour ne pas craquer à nouveau et mes yeux s'humidifient.
— Tu dois le lui dire, Max.
— Je sais, oui, mais pas de suite. Laisse-moi digérer.
— Deux semaines, c'est suffisant.
— C'est toi qui vas mourir peut-être ?
Je sais que ma réflexion est cruelle, mais il ne peut pas savoir ce que c'est.
— Max... Ne le prends pas comme ça.
— Ça va la détruire, sangloté-je.
Mes larmes reprennent. Je n'en peux plus de cette détresse, de ces larmes, de cette peine. Je suis fatiguée de l'état dans lequel je me trouve.
Une heure plus tard, Lucas est parti. Il voulait rester, mais je l'ai poussé à rejoindre Iris. Je l'ai supplié de ne rien dire pour l'instant. Lorsque je passe le seuil de ma chambre, mon téléphone se met à sonner. Il est toujours posé sur ma table de nuit, mais je n'arrive pas à le saisir. Assise sur le lit, mes doigts tremblants l'attrapent enfin. Pourtant, ils n'arrivent pas à le déverrouiller. Quand enfin ils se décident, mes yeux me confirment ce que je redoutais déjà : c'est Seth.
« Chez moi. Dans une heure. »
Le téléphone s'échoue à mes pieds. Suis-je capable de le voir ? Je me lève et m'enferme dans la salle de bain. Quand je suis douchée, j'enfile un jogging et un pull large. Tenue morose, mais en accord avec mon humeur, de toute façon.
C'est avec cinq minutes d'avance que j'arrive en bas de son immeuble, le cœur battant à mille à l'heure. J'ai la douloureuse impression que ma cage thoracique va céder sous la pression. Après avoir pris une grande inspiration, mon doigt actionne le bouton de l'interphone. Un clic m'informe que la porte est ouverte et c'est sans conviction que je la pousse.
Mes jambes me portent difficilement jusqu'à son appartement, où il a emménagé la semaine dernière. Celui-ci est beaucoup plus petit, mais il lui va très bien puisqu'il lui ressemble réellement. Cosy, mais moderne. C'est lui qui l'a cherché et il m'a demandé de l'accompagner lors des visites. Lorsque nous avons visité celui-ci, il a eu un coup de cœur. Quand son dossier a été accepté, sans grand étonnement, il était vraiment heureux comme un gamin. Pourtant, il quittait un immense loft pour un appartement bien plus petit. Mais non, il était vraiment heureux.
Mon poing s'abat mollement sur la porte, vain espoir pour qu'il ne m'entende pas. Rapidement, la porte s'ouvre sur un Seth distant. Il ne me regarde pas, son regard est fixé sur le mur derrière moi. Même si c'est le résultat que j'attendais, je ne peux pas m'empêcher d'avoir mal. Je passe devant lui et un frisson me parcourt. Un frisson d'appréhension.
J'avance dans le petit salon, mal à l'aise, et je ne sais pas quoi faire de mes mains qui pianotent nerveusement sur ma cuisse. Je les accroche l'une à l'autre et je commence à me sentir mal. La porte claque derrière moi, me faisant sursauter. Je le sens, je l'entends. Un courant d'air me fait comprendre qu'il passe derrière moi, avant de se diriger vers sa cuisine américaine. J'ose enfin me retourner. Après tout, n'est-ce pas pour ça que je suis venue ? Autant arracher le pansement le plus tôt possible.
Il ouvre un placard et en sort une bouteille. Chacun de ses gestes est brutal. Il pose un verre dans un claquement sonore et le remplit. Quand ses yeux se lèvent enfin sur moi, j'aimerais lui dire que je l'aime et que je suis désolée. Que ce que je suis en train de faire est la pire chose qu'il ne me soit jamais arrivé. Mais je ne peux pas. Plus maintenant.
— Ça dure depuis combien de temps ? commence-t-il.
— C'est récent, mens-je.
Ma réponse est courte, parce que je dois contrôler chacun des mots qui sort de ma bouche au risque de tout lui avouer. Sa main attrape le verre et le porte à sa bouche. D'un mouvement sec, il vide le contenu d'alcool.
Alors que je ne m'y attends pas, le verre traverse le salon et vient se briser contre le mur. Son excès de rage est vite remplacé par la douleur.
— Pourquoi ? Putain, Max ! Pourquoi ?
Sa voix tremble et je me sens navrée de lui infliger ça.
— J'ai beaucoup réfléchi et je me suis rendue compte que je n'aurais rien pu sacrifier pour toi, murmuré-je. Je ne t'aime pas à ce point-là.
— Et le rapport avec lui, au juste ? me demande-t-il dans un rire sarcastique.
— Je ne sais pas...
— Tu voulais être sûre de ton choix en couchant avec un autre ?
Le ton de sa voix augmente en volume.
— Sans doute, oui, mens-je à nouveau.
— Alors qu'est-ce qui était vrai entre nous ? J'ai tout quitté pour rien ?
— Je suis désolée, Seth.
Un silence suit mes piteuses excuses, Seth serre le comptoir de ses mains et je peux voir ses muscles se tendre, signe qu'il tente de contenir ses émotions.
— Ne le sois pas, me dit-il froidement en relevant la tête. C'est moi qui le suis.
Nos regards se plongent l'un dans l'autre. Je tente de cacher ma peine, de lui montrer que je suis indifférente. Indifférence que je feins.
— Je ne veux plus jamais te voir, tu m'entends ?! me hurle-t-il soudain.
Il s'approche de moi et me pointe du doigt.
— Si jamais je venais à te croiser, je te le ferai payer, crois-moi. Je t'en ferai baver. Tu perdras ta place dans ton école et je peux être aussi imaginatif que mon paternel, si ça ne suffit pas.
— Très bien, me contenté-je de répondre.
— Barre-toi, crie-t-il.
Je sursaute, mais ne bouge pas. Je n'y arrive pas. Je sais que ces instants sont nos derniers. Alors peu importe s'il me déteste, je tente de graver dans ma mémoire chacun de ses traits.
— Barre-toi, putain ! Maxime, pars !
La rage qu'il tente de contenir est palpable, alors sans un mot ni un au revoir, je quitte son appartement. Je descends les escaliers et me retrouve dans la rue.
Mon cœur bat la chamade et la nausée me prend. Une petite ruelle vient accueillir ma détresse et j'y vomis mes tripes et ma tristesse. Je pleure sans parvenir à m'arrêter. Je me redresse à l'aide du mur et sèche mes larmes, qui continuent pourtant de couler, d'un revers de main. En soupirant, je me promets que tout ira bien. Le pire sera bientôt derrière moi.
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