Chapitre 20
Mon corps se détend dans la baignoire quand j'entends un fracas provenant du bas de l'appartement. En faisant attention à ne pas glisser, je sors doucement de l'eau et attrape une serviette avant d'essuyer mes pieds sur le tapis de bain. Je traverse la chambre et, en arrivant devant la porte, mon corps se fige. La voix du père de Seth tonne dans le loft.
— Tu t'es assez amusé. Maintenant, tu arrêtes tout de suite ce que tu fais avec cette fille et tu reprends ta vie en main.
Mes yeux se ferment à l'entente de ces paroles.
— Je te remercie, mais justement, c'est ce que je fais.
— Tu imagines dans quel état étaient Monsieur et Madame Lambert, après ton coup d'éclat ? Tu crois que ça va arranger mes affaires ?
Le rire de Seth résonne dans mon oreille collée contre le bois. Je sais, c'est mal d'écouter aux portes...
— Parce que tu crois que ça m'importe ? Tout ce qui compte pour vous, c'est que ce mariage soit bon pour vos business. Je n'épouserai pas Lucie, je ne l'ai jamais aimée.
— On n'est pas obligé d'aimer.
— Oui, et on voit ce que ça a donné avec maman !
— Ne parle pas de ta mère, vocifère son père.
— Pourquoi ? Tu oses me dire ce que je dois faire, mais toi, qu'as-tu fait ?
— Je l'aimais.
La froideur avec laquelle il prononce ces mots me fait frissonner. Sait-il ce que veut dire aimer ?
— Non, tu la possédais. Le résultat a été mortel, elle a préféré en finir que de rester avec toi.
Un claquement retentit et me fait sursauter contre la porte. Je ferme les yeux en espérant qu'ils ne m'aient pas entendu, ce qui, compte tenu du bruit de leur dispute, m'étonnerait.
— Tu vas me lâcher cette petite pute et rappeler Lucie, éructe le paternel.
Aucune réaction ne me vient à cette insulte.
— Ne parle pas d'elle comme ça ! rugit Seth.
— Tu as jusqu'à demain. Sinon, je te jure que tu peux dire adieu à ton poste et à tout ce que tu possèdes.
— Tu crois peut-être que ça va me décourager ? Tu crois sans doute que j'aime ce travail ? Je ne suis pas comme toi. Je ne veux pas passer à côté de ma vie.
— Alors je m'occuperai d'elle.
Un silence s'abat, si bien que je me demande s'ils sont toujours dans la pièce, puis un bruit de choc me parvient aux oreilles.
— Touche un seul de ses cheveux et je te jure que je te tue.
— Regarde-toi. Tu me fais honte, fils. Tu as une semaine pour quitter les lieux et pas besoin de revenir lundi. Je me chargerai de l'intérim'.
Plus un bruit ne filtre à travers la porte et un claquement m'informe que son père a quitté l'appartement.
Malgré le fait que son père soit un homme horrible, je me sens coupable d'infliger ça à Seth. Avant moi, sa vie était beaucoup plus simple. Il ne l'aimait certes pas beaucoup, mais il n'avait pas à se battre. Ma main s'apprête à baisser la poignée de porte lorsqu'un cri de rage se fait entendre. Sa souffrance s'infiltre en moi et une perle salée roule sur ma joue. Je l'essuie rapidement avant d'ouvrir la porte, il n'a pas besoin de savoir que j'ai tout entendu et encore moins que cela m'affecte. Tout ce dont il a besoin, c'est que je le soutienne.
À pas feutrés, mes jambes descendent les escaliers. Seth est assis sur l'accoudoir du canapé, la tête entre les mains. Ses inspirations et expirations sont tout ce qui rompt le silence de la pièce.
— Seth, l'appelé-je doucement.
Sa tête se relève, me laissant voir ses yeux rougis. Je ne suis pas dupe. Il a beau faire le fier, je sais qu'il souffre plus qu'il ne veut le montrer. Il rebaisse la tête et toute volonté de le soutenir et de rester forte me fuit. Je m'en veux d'être celle qui lui impose ça, l'amour ne devrait pas être un combat. Je l'aime, justement et trop pour le voir souffrir sans rien faire. Je ne veux pas être la cause de son chagrin. Son père est peut-être un connard, mais il est la seule famille qui lui reste.
Je fais demi-tour et remonte en silence dans la chambre. Mes affaires sont éparpillées dans la pièce, une à une, je les ramasse et m'enferme dans la salle de bain. Une fois mes joues séchées, je m'habille et attache mes cheveux mouillés par l'eau du bain. Je me passe de l'eau sur le visage puis retourne dans la chambre. J'ai fini de me chausser quand Seth apparaît au seuil de la porte. Je relève la tête, mais fuis aussitôt lorsque mes yeux tombent sur son regard interrogateur.
— Qu'est-ce que tu fais, Max ? me demande-t-il, la voix dénuée de douceur.
Mes yeux croisent les siens et ma bouche s'étire en un sourire triste.
— Je vais rentrer chez moi, Seth. Tu devrais réfléchir à tout ça, avant de prendre une décision.
Ma voix est presque un murmure, si bien que je me demande s'il peut m'entendre du seuil de la porte.
— Tu te fous de moi ? gronde-t-il.
— Seth...
— Non, non, rit-il.
Ce rire-là, je ne l'ai jamais entendu. Il sonne faux et me semble paniqué.
— Il est hors de question que tu partes, reprend-il. Je pensais ce que j'ai dit. C'est avec toi que je veux être. Oui, c'est dur et ça le sera encore sûrement. Mais, ce serait encore pire de te perdre.
Je ne l'ai pas lâché des yeux. Il est toujours devant la porte et me pointe du doigt. Seth est beau, mais quand il s'énerve, que ses muscles se contractent et que son regard se fait dur, il est diablement sexy. Je soupire, résignée.
— J'ai peur que tu le regrettes et qu'un jour, tu te réveilles en te disant que ton choix n'était pas le bon.
Seth s'approche du lit et s'agenouille devant moi. Ses doigts viennent attraper ma nuque et, d'un mouvement brusque, nos fronts se retrouvent collés l'un à l'autre. Je retiens mon cri de douleur.
— Ça n'arrivera pas. S'il te plaît, reste.
Je le regarde et la détermination, ou peut-être l'amour, que je lis dans son regard me convainc de rester. Au moins jusqu'à ce qu'il décide que je doive partir.
— D'accord.
Ses traits se détendent instantanément et un sourire serein naît sur son visage. Ses lèvres déposent une pluie de petits baisers partout : mes joues, mon front, mon nez et enfin ma bouche. Il se détache alors de moi.
— Allez, prenons ce bain.
Seth se redresse et me prend par la main. Il nous conduit jusqu'à la salle de bain où il retire mes vêtements et enlève les siens. C'est le premier à s'immerger dans l'eau, puis sa main m'aide à entrer à mon tour. Mon corps s'allonge contre le sien, dos à lui. L'eau est un peu plus froide que tout à l'heure, mais ça m'est égal. Profitant du calme, de ce moment de détente, je me décide à en savoir plus sur ma mère.
— Tu m'as peu parlé de ta mère. Tu m'as dit qu'elle était morte quand tu avais douze ans, mais...
Les mots pour terminer ma phrase ne me viennent pas.
— Je n'ai pas l'habitude d'en parler, en fait... Les gens l'ont oubliée alors il ne me reste presque plus personne avec qui parler d'elle.
— Elle était comment ?
Je suis sincèrement curieuse. En effet, quel type de femme épouse un homme comme Wes père ?
— C'était une danseuse.
Cette révélation est si surprenante que je me détache de lui pour me retourner.
— Oui, elle faisait de la danse classique. Sylvie était une de ses meilleures amies. C'est comme ça que je l'ai connue. Ma mère était vraiment talentueuse. Enfin... c'est ce qu'on m'a dit.
Je me repositionne contre lui.
— Tu ne l'as jamais vue danser ?
— Non. Dans son milieu, la danse était plutôt mal vue, quelque chose de trop fantasque. Les riches n'aiment pas vraiment les artistes. Elle a rencontré mon père et a dû arrêter. Elle n'était pas heureuse, je l'ai toujours su. Pour mon père, elle n'était qu'un trophée, mais de ceux dont on est tellement fier qu'on les enferme derrière une vitre. On les exhibe, sans leur laisser de liberté.
Le silence suit, seulement interrompu par nos respirations et les clapotis de l'eau. Je n'ose pas lui en demander plus, alors je caresse sa main posée sur mon ventre.
— Elle a fait une dépression, reprend-il quelques minutes plus tard. Ses médecins l'ont bourrée de médicaments, et ensuite, elle ne ressemblait plus qu'à une pâle copie d'elle-même. Son sourire avait disparu à jamais et son rire ne résonnait plus dans la maison. Elle n'était plus qu'une ombre, un fantôme. Quelque temps plus tard, je suis rentré chez moi et mon père m'a dit qu'elle ne reviendrait pas. Je n'ai pas mis longtemps à comprendre ce qu'il voulait dire. Quelques années plus tard, j'ai appris qu'elle m'avait laissé une lettre avant de mettre fin à ses jours.
— Qu'est-ce qu'elle disait cette lettre ?
— Je ne sais pas.
J'exerce une pression sur sa main pour lui signifier que je suis désolée pour l'enfant qu'il était et pour l'adulte qu'il est devenu.
— Tu ne l'as pas lue ?
— Mon père a refusé de me la donner.
Je me mets à réfléchir. Cet homme est vraiment horrible. Non pas que ça me surprenne, mais sa cruauté envers son fils dépasse tout.
— Tu ne peux pas la récupérer ?
— Et comment ? Je ne sais même pas s'il l'a toujours.
— Elle t'appartient Seth, tu as le droit de connaître les derniers mots de ta mère.
Il me prend dans ses bras et soupire. Je sens à la rigidité de ses bras que cette conversation n'est pas facile pour lui, alors je décide d'en rester là.
Le week-end avec Seth est agréable et, heureusement, la visite de son père n'a en rien gâché le plaisir que nous avons à être ensemble. Nous roucoulons et ne quittons pas son appartement jusqu'au dimanche soir. Seth voulait que je reste encore, mais j'ai préféré rentrer chez moi pour dormir un peu, avant d'aller en cours. En début de soirée, nous arrivons devant chez moi. Sa main vient empoigner mes cheveux et sa bouche m'offre un baiser qui m'amuse.
— Quoi ? me demande-t-il en me libérant enfin.
— On dirait que je pars au front.
Vexé, monsieur l'enfant me fait une pichenette. Je lève les yeux au ciel et l'embrasse une dernière fois avant de descendre de la voiture. Quand j'arrive devant ma porte, Seth m'appelle. Je me retourne pour le voir accoudé à sa voiture telle une gravure de mode.
— Du coup, commence-t-il hésitant, je peux venir te chercher après tes cours, demain ? Vu que je n'ai plus de travail.
— Ça me ferait très plaisir, oui, affirmé-je dans un sourire tendre.
Il m'envoie un baiser et je le salue de la main avant d'entrer chez moi. Le saluer de la main ? Vraiment ?
Quand je pénètre dans le salon, je trouve maman sur le canapé. Mon corps vient s'échouer à côté du sien.
— Alors, cette garde ? lui demandé-je en me pelotonnant contre elle.
— Crevante. Et ton week-end ?
— Crevant, dis-je, amusée.
— Ce que ces week-ends me manquent, ajoute-t-elle rêveuse.
Je me serre un peu plus contre elle. Parfois, j'en oublie que si moi j'ai perdu mon père, elle a perdu l'homme de sa vie.
— Maman ?
— Hmm.
— Tu sais, si un jour tu veux..., hésité-je. Je veux dire, sortir avec un homme. Je te soutiendrai.
— Je n'en suis pas encore là, ma puce.
Sa main vient tendrement me caresser les cheveux. Papa et maman se sont rencontrés à la fac, un coup de foudre paraît-il. Ils étaient vraiment beaux ensemble, très amoureux et véritablement complices. Le genre de couple que tout le monde envie. Chacun était le meilleur ami de l'autre. Je sais que leur histoire était unique, mais maman mérite d'avoir quelqu'un avec qui être heureuse à nouveau. Sans doute pas maintenant, mais je veux qu'elle sache que si un jour, la solitude lui pèse, je l'encouragerai à rencontrer un autre homme.
— Je sais, mais si un jour...
— Merci, mon cœur, se contente-t-elle de répondre en m'embrassant le crâne.
Notre conversation s'achève sur ces paroles.
On passe la soirée à regarder une nouvelle série sur Netflix tout en mangeant du pop-corn.
Le lendemain, je n'ai pas entendu mon réveil et ai dû me préparer à la hâte. Forcément, quand je quitte la maison, je suis un peu en retard. Je cours pour arriver au métro quand mon téléphone sonne. Tout en maintenant la cadence, mes doigts partent à sa recherche dans ma besace. Ma course s'arrête net lorsque mon cerveau analyse le nom du correspondant.
Mon corps est paralysé et mes yeux fixent le téléphone, pourtant je n'arrive pas à décrocher, trop angoissée. Pourquoi m'appellerait-il si tôt ? Mon téléphone sonne encore, puis l'appel prend fin. Je suis toujours au milieu du trottoir quand je reçois une notification : un message vocal. J'appelle ma messagerie et tremblante, porte le téléphone à mon oreille.
«Bonjour Max... C'est Jérôme. Est-ce que tu pourrais venir au cabinet ? Ce matin s'il te plaît. Je dois te voir... »
Ma respiration se bloque au ton de sa voix. Il n'a rien d'engageant et je comprends que les nouvelles ne sont pas bonnes. Mon regard se baisse sur ma jambe et les larmes me viennent. Mon rêve va-t-il prendre fin aujourd'hui ? Cette perspective me fait blêmir.
« Je t'attends... »
Le message prend fin et je ne m'attarde pas. Mes pas reprennent d'eux-mêmes et me dirigent vers le cabinet. Que tout s'achève le plus tôt possible.
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