Chapitre 16

Le lendemain, je profite de mon après-midi libre pour rester plus longtemps à l'école. Il est hors de question que je retourne travailler auprès de lui. Je préfère encore faire la manche. À l'heure de la pause déjeuner, je m'installe sur un petit muret face à l'école, et rappelle le service boursier. Ils ont enfin reçu mon dossier. Le mois passé devrait m'être versé en même temps que le prochain. Un miracle. En attendant, je dois quand même trouver un autre travail... Je navigue sur le net en mangeant un sandwich. Au diable les bonnes habitudes. Je parcours les sites à la recherche d'un job étudiant, mais l'année ayant déjà commencé, les annonces sont rares. Je pourrais travailler dans un fast-food, mais l'odeur de graisse m'écœure. Oui, en plus de ça, je suis difficile...

Je quitte mon petit muret et me raidis quand je le vois. Sa voiture est garée face à moi. Il y est adossé, lunettes de soleil sur les yeux. Je suppose qu'il me regarde, mais je préfère l'ignorer. J'affiche mon air le plus indifférent et passe devant lui, sans dire un mot.

Sa paume chaude saisit mon bras et j'en veux à mon corps d'être aussi réactif.

— Max, s'il te plaît. Je peux...

Je retire brusquement mon bras, incapable d'en entendre plus, et reprends ma route. Mon cœur galope, mes jambes flageolent, mais je garde la tête haute. J'essaie de cacher que le voir me blesse. Je ne veux pas lui donner ce plaisir. Et ne veux pas qu'il sache à quel point sa trahison m'est douloureuse.

Après lui avoir montré ma carte étudiante, le gardien me fournit un jeu de clés et je me dirige vers la salle de danse, sac en main. Une fois que je me suis changée, mon doigt fait défiler ma playlist jusqu'à trouver une chanson sur laquelle danser, m'exprimer.

Mon choix se porte sur « Lost on you ». Oui, déprimant. Mais c'est ce que je veux danser : la peine, la colère et la déception. Je laisse la musique m'imprégner et visualise déjà les mouvements que je vais faire, alors que je m'échauffe. Je le fais toujours, et pourtant quand je danse, j'improvise. Mais c'est une habitude que je n'ai jamais lâchée. Une manière pour moi d'échauffer ma créativité et mon mental.

Je me redresse et me positionne au milieu de la pièce, après avoir relancé mon morceau. Les premières notes de gratte se font entendre et mon corps se met en mouvement. Je danse ma rage, ma douleur. Je m'évade, exorcise. C'est le pouvoir qu'a la danse sur moi. Elle me permet de dévoiler mes sentiments, de m'en décharger. Je le déteste de m'avoir fait subir ça et je me déteste encore plus de m'être fait avoir aussi bêtement. Voilà ce que je danse. Je continue une fois, deux fois, trois fois, mille fois. Je finis par m'arrêter, essoufflée et transpirante. Mon corps s'effondre au sol et j'ai du mal à reprendre ma respiration, je m'étouffe. Je m'allonge sur le côté et tousse pour débloquer ma gorge. Mes voies respiratoires se dégagent enfin, me permettant de prendre une profonde inspiration. Je me repositionne sur le dos, mes doigts dansent sur le parquet de la salle pendant que je regarde le plafond.

Mes mains quittent le sol pour se positionner sur mon ventre quand je repense à mon prochain rendez-vous. Jérôme m'a appelée ce matin, il a pu m'avoir un rendez-vous pour jeudi après-midi. Tout en écoutant la musique, la peur que tout s'arrête me glace le sang. Je suis une danseuse et je sais qu'un rien peut mettre fin à une carrière avant qu'elle ne commence. Il suffit d'un simple problème musculaire et on n'est plus personne dans ce monde à la concurrence difficile. Je me redresse doucement et lorsque je lève les yeux, je vois que Sylvie se trouve adossée à la porte.

— Madame, lui dis-je honteuse. Je ne savais pas que la salle était prise.

— Elle ne l'est pas. Je passais par-là, se contente-t-elle de me répondre.

Je me relève et cours éteindre la musique avant de récupérer ma bouteille d'eau. Je m'assois sur un des bancs et laisse couler une énorme gorgée d'eau dans ma bouche. Sylvie traverse la salle de ses pas légers puis s'assoit à mes côtés.

— Je dois dire que je ne t'ai jamais vue aussi bien danser, me dit-elle en me souriant. Tu ressens beaucoup de choses et ta danse n'est pas superficielle, Maxime. Tu as ce don que peu de danseurs ont, tu es entière.

Je lui souris, reconnaissante.

— Mais au vu de ton choix musical et de ta chorégraphie, je dirais que tes émotions ne sont pas positives.

— Pas vraiment, non, confirmé-je.

— Je vois, sers-t'en. Tu en fais quelque chose de très beau.

Sylvie se relève et quitte la salle.

— Madame, pourquoi être devenue professeur ?

Sylvie se retourne et se regarde dans le miroir, un sourire triste aux lèvres.

— Parce que je ne pouvais plus danser, en tout cas, pas comme une danseuse.

Je la regarde avec tristesse. Ne plus pouvoir danser, c'est ce qui pourrait m'arriver de pire.

— Mais je suis heureuse de ce que je fais, dit-elle en se tournant vers moi. J'ai la chance de rencontrer des danseuses comme toi, Maxime.

Elle me sourit une dernière fois avant de quitter la pièce. Je m'allonge sur le banc puis me perds dans mes pensées. Seth, la danse, les rendez-vous médicaux... Tout s'emmêle, se mélange.

Le jeudi arrive bien vite. Je passe les portes de l'hôpital et me retrouve devant la dame de l'accueil.

— Bonjour, j'ai rendez-vous avec Monsieur Langlois.

Elle me demande mon nom et vérifie dans l'agenda. Elle m'indique le chemin à prendre et une secrétaire médicale m'accueille puis me demande de patienter dans la salle d'attente. J'attends, téléphone en main et en profite pour faire le tri dans mes photos. Je n'ai toujours pas pu effacer celles de Seth et moi. Mon doigt les sélectionne une à une et appuie sur « Effacer ». Un message me demandant de confirmer mon choix s'affiche. Je fixe longuement les deux choix s'offrant à moi. « Tout supprimer » ou « Annuler ». Je ne peux pas m'y résoudre. Je sais que ce n'est que s'enfoncer dans sa tristesse, mais les sentiments sont toujours présents, alors effacer ces moments où j'étais heureuse avec lui, c'est au-dessus de mes forces. Peu importe s'ils étaient faux pour lui. Les gens me trouveraient stupide. Une amourette de quelques semaines. Mais qui peut juger le temps que peuvent mettre des sentiments à naître ? Personne. L'amour n'a pas de loi, pas de règles.

La porte en face de moi s'ouvre et un monsieur d'un certain âge m'appelle. Je me lève et lui serre la main. Il n'a pas une allure franchement sympathique, mais je ne vais pas faire ma difficile. Après tout, il m'a prise en urgence. Je rentre dans son cabinet et il me demande de prendre place sur une chaise. Mon regard parcourt la pièce. Des monticules de dossiers sont éparpillés dans la pièce et une vieille armoire renferme des vieux livres médicaux. Il s'assoit à son bureau et en sort un document. Il me questionne sur mon âge, mes habitudes, mes antécédents familiaux. Il relève la tête vers moi et je vois que je l'agace.

— Pour être honnête, je ne vois pas ce que vous faites là, mademoiselle, soupire-t-il. Jérôme m'a appelé et je lui devais un service. Mais franchement, d'autres personnes doivent attendre des semaines avant d'avoir un rendez-vous.

Je m'enfonce sur ma chaise, honteuse.

— Toutefois, vous êtes là, alors on va procéder à une série d'examens. Ça nous prendra l'après-midi et, normalement, je ne devrais plus vous revoir.

Dis comme ça, ça ne donne pas envie de le revoir de toute façon. Il m'envoie vers le service d'hospitalisation de jour et je patiente encore.

Un message arrive sur mon téléphone.

[Ju : T'es où biche ?]

[En ville, je prospecte.]

[Ju : On se retrouve après ?]

[Désolée, Ju' mais j'ai eu une semaine difficile. Je vais rentrer me reposer.]

Elle ne me répond pas et je m'apprête à reposer mon téléphone quand il sonne à nouveau.

[Marie : Bien remise de ta grippe ?]

Alors c'est ce qu'il a dit pour expliquer mon absence ? Une grippe. Je rirais presque.

[Ce n'est pas une grippe. J'ai démissionné.]

Je décide de lui poser la seule question qui me taraude.

[Tu étais au courant pour sa fiancée ?]

Son message me répond pour elle.

[Marie : Je suis désolée.]

Même elle... Je range mon téléphone et souffle. Je suis lasse de ces mensonges.

Je passe l'après-midi à voyager de salle d'examens en salle d'examens. Certaines ont une allure futuriste quand d'autres sont de simples petits locaux. On prend mon sang, je n'ai rien contre les petites aiguilles et ils ont également prélevé un peu de ma moelle. Là, en revanche, ça m'a arraché quelques larmes. J'ai l'impression d'avoir été enlevée par des extra-terrestres et d'être un cobaye. C'est une sensation horrible.

Je termine ma batterie de tests en fin d'après-midi et quitte l'hôpital, épuisée. Je n'aspire qu'à rentrer chez moi, prendre un bon bain et oublier cette journée. Cette semaine.

Au moment où j'arrive chez moi, maman part travailler.

— Je sais ! On ne fait que se croiser cette semaine, mais la semaine prochaine, je suis de jour. On pourra profiter de nos soirées ensemble, me dit-elle avant de partir.

Je monte dans ma chambre et me couche. En ce moment, c'est tout ce que je fais de mes soirées. Dormir. Je n'ai envie de rien, j'ai juste envie d'oublier.

Mon téléphone sonne et je vois un message d'un numéro inconnu.

[Numéro inconnu : Il faut qu'on parle. S'il teplaît. Seth]

Je ne lui réponds pas. Qu'est-ce que je pourrais lui dire ? Rien qui ne saurait m'aider. Je repose mon téléphone et ne parviens à m'endormir que très tard dans la nuit.

Le lendemain, un bâillement m'échappe en sortant des cours. Ma nuit de sommeil a été courte et je suis fatiguée, complètement sur les nerfs. Je traverse le hall d'entrée quand elle se pointe devant moi : la fiancée. Et vu son air revêche, elle n'est pas venue me parler chiffons.

Je passe devant elle, mais ne m'arrête pas.

— Alors, c'est toi ?

Je poursuis ma route, sans ralentir.

— Tu vas jouer la salope jusqu'au bout ?

Cette insulte me stoppe net et je me retourne. Je sais que je n'aurais pas dû, mais étant donné la nuit que j'ai passée, mon cerveau n'est pas rationnel.

— Pardon ?

Elle s'approche de moi, les yeux exorbités. La première fois, elle était vraiment jolie, aujourd'hui je la trouve monstrueuse. L'archétype de la méchante des mauvais films. Ses cheveux sont hirsutes et ses lèvres forment une grimace démente. Un véritable stéréotype ambulant.

— Tu ne t'approches plus de Seth. On est bien d'accord ? Tu l'oublies.

— C'est déjà fait, la coupé-je.

Elle se prend pour qui elle ? Si elle croit que cette situation était plaisante pour moi, elle se trompe.

— Notre mariage est très important pour moi. Peu importe si je dois te menacer, te frapper, je le ferai. Alors tu restes dans ta petite vie de banlieusarde et tu laisses les grands aux grands.

Je ris avec amertume. Je déteste ce genre de discours, mais pour une fois je suis bien d'accord avec ce qu'elle me dit.

— Je te le laisse. Vous êtes faits pour être ensemble. Aussi détestables l'un que l'autre.

Elle comprend que ma remarque n'est pas un compliment et c'est avec rage qu'elle me gifle. Cette garce a une sacrée force. Mon visage suit le mouvement de sa main et ma joue est brûlante, endolorie, mais pas autant que mon cœur. Je le lui laisse, qu'elle le prenne. C'est tout ce qu'elle mérite. Je relève la tête et la regarde dans les yeux. La douleur a fait apparaître des larmes au coin de mon œil.

— Frappe-moi autant que tu veux si ça peut te soulager. Mais finalement, je comprends qu'il soit allé voir ailleurs. Tu dois être imbuvable.

Son bras se lève à nouveau, mais une main la retient.

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