Chapitre 14

Le trajet en limousine est long et la destination reste inconnue. Comme une idiote, je n'ai pas regardé l'adresse sur le carton d'invitation. J'ai le temps d'avoir des bouffées de chaleur, des crampes d'estomac et d'autres symptômes liés au stress. L'idée d'arriver là-bas, parmi ces gens si différents de moi, et sans Seth pour m'introduire dans les lieux, m'angoisse. Je pianote sur mon téléphone et décide de lui envoyer un message.

[Merci pour la robe. Hâte de te retrouver.]

Je tente à plusieurs reprises de faire la discussion au chauffeur de la limousine, mais celui-ci ne semble pas être du genre à faire la causette. Je patiente alors en silence et fais quelques exercices de respiration. Au bout de quarante minutes, nous arrivons sur les lieux. Le chauffeur entre dans une allée fleurie et bordée de lampadaires. Au bout se trouve une immense fontaine qui fait office de dépose-minute. La voiture s'arrête et un jeune homme vient m'ouvrir. Il me présente sa main et je la saisis pour sortir de la limousine. J'en ai bien besoin parce que mes fesses sont endolories par le trajet en voiture.

Ma tête se lève vers la bâtisse qui se présente devant moi, elle est majestueuse. Ce n'est pas un château, mais presque. Sûrement un manoir. De grandes fenêtres laissent passer la lumière de l'extérieur et le bruit des convives se fait entendre malgré le bruit de cascade émis par la fontaine. L'escalier est revêtu d'un tapis bleu menant jusqu'à de grandes portes en bois, ouvertes. Je parviens, non sans mal, à monter les marches. Je ne suis pas vraiment habituée aux talons hauts et la robe est suffisamment longue pour que j'aie peur de marcher dessus. C'est d'un pas mal assuré que je pénètre à l'intérieur.

Je fais attention à ma posture, je ne veux pas faire honte à Seth, et tente de faire en sorte que les invités ne s'aperçoivent pas que mon monde est complètement différent du leur. Une hôtesse vient m'accueillir et, après avoir vérifié que mon nom soit bien sur la liste des invités, m'accompagne jusqu'à la salle de réception.

Je souris en entrant dans la grande salle et cherche Seth à travers la foule. Malheureusement, mon regard ne le trouve pas. Je fais le tour de la salle quand un homme monte sur la petite estrade et nous demande de retrouver nos places pour le début du dîner. Un peu perdus, mes yeux tombent sur un vieux monsieur à l'allure bienveillante. Je lui demande le plus poliment possible comment sont définis les emplacements.

— Vous n'êtes pas une habituée vous, s'amuse-t-il. Pourquoi vous perdre ici ? À votre âge, il y a plein d'autres choses à faire !

— Je ne pouvais pas refuser une invitation, lui réponds-je en souriant.

— Et en plus de ça, vous êtes polie. Quel gâchis, si j'avais votre âge, je vous aurais fait la cour.

Je tente de rire le plus discrètement possible et le monsieur m'adresse un clin d'œil.

— Vous trouverez le plan de table à l'entrée de la salle, m'indique-t-il. Mais j'espère qu'après le dîner, vous me ferez le plaisir d'une petite danse.

— Je vous le promets. Merci beaucoup, lui dis-je avant de m'éloigner.

Je parviens jusqu'au plan de table sans encombre. Mon regard parcourt la liste jusqu'à trouver mon nom. C'est parfait, Wes sera juste à côté de moi. Je m'engage entre les tables et trouve enfin la mienne. Avant de m'asseoir, je salue poliment les gens qui se s'y trouvent déjà.

— Bonjour, vous êtes de la famille de Monsieur Wes ? me demande une dame assise à ma gauche.

— Non, une amie de son fils, lui réponds-je simplement.

— Bien, c'est un gentil garçon.

— Je suis tout à fait d'accord, confirmé-je d'une voix chaleureuse.

Nous bavardons quelques instants quand l'homme de tout à l'heure monte à nouveau, sur l'estrade avant de saisir le micro. Je regarde autour de moi, mais Seth n'est toujours pas là. J'ouvre ma pochette, en sors mon téléphone et vois qu'il ne m'a pas répondu. Mes doigts commencent à pianoter l'écran afin de lui demander s'il a eu un empêchement.

— Mesdames et Messieurs, nous tenions à vous remercier pour cette soirée caritative au profit de notre association. Nous sommes heureux d'accueillir ce soir l'un de nos plus grands bienfaiteurs : Monsieur Wes et sa fiancée, Lucie Lambert.

Les gens autour de moi applaudissent, tandis que mes doigts se figent, le regard toujours sur mon téléphone. Je dois avoir mal compris. C'est sûrement le père Wes, pas lui. J'entends le bruit des chaises et devine que les gens se sont levés pour saluer les invités d'honneur. Moi, je n'ai pas bougé, je n'ose pas le faire. Je n'arrive pas à faire face ni à affronter ce qu'il se passe. Alors que je le sais, je sais que ce que j'imagine est en train d'arriver.

Ma tête est sens dessus dessous et mon cœur agonise. Pourquoi est-ce que ça fait aussi mal ? Mon cœur tambourine, fort. Le couple passe devant moi et je relève la tête. Je n'ai pas besoin de le voir se retourner pour savoir que c'est bien lui. Lui qui m'a fait venir ici pour m'humilier, lui qui m'a menti depuis le début. Lui que j'ai fait entrer sans réserve dans ma vie. Je le déteste de me faire si mal et je me hais de lui avoir donné ce pouvoir. Seth et sa fiancée montent sur l'estrade tandis que je retiens un haut-le-cœur.

Mes yeux se baissent et se concentrent sur mes mains qui serrent mon téléphone, faisant blanchir mes phalanges. Je dois me ressaisir, je dois partir d'ici avant d'exploser. Je dois quitter cet endroit avant d'avoir l'impression de mourir ici. Je range mon téléphone et relève la tête.

L'assemblée se rassoit quand mon regard croise le sien pour la première fois depuis que je suis ici. Alors que je devrais fuir, je me retrouve prisonnière de ses yeux. Je me rends compte que je ne l'ai jamais connu, qu'il ne m'a montré que ce que je voulais voir, qu'il m'a manipulée. Je ne devais être qu'un jeu dans la vie d'un bourgeois. Il n'a vu en moi qu'une pauvre fille manipulable et c'est ce que j'ai été.

Me reviennent alors les premiers mots qu'il m'a dit et, à cet instant, je ne peux que lui donner raison. Je refais le fil de notre rencontre, du temps qu'on a passé ensemble et la bile me monte à nouveau à la gorge.

Je prends appui sur ma jambe pour partir, mais celle-ci ne me répond pas. Non, pas maintenant. Ne me force pas à assister à ça. Je n'entends plus rien autour de moi. La fiancée de Wes fait un discours que je n'écoute même pas. Je prends le temps de l'observer avec attention. Elle est jolie, blonde, grande et fine. Je souris en me rendant compte qu'elle est tout mon contraire. Il devait trouver ça amusant, je devais paraître si pathétique à ses yeux. Je masse nerveusement mon mollet et tente de retenir les larmes.

Mon regard se tourne vers celui de Seth qui me fixe, paniqué. Ne t'en fais pas, je ne gâcherai pas ta vie parfaite. Tout ce que je veux, c'est quitter cet endroit et ne plus jamais le revoir. Le discours prend fin et le couple est acclamé, avant de rejoindre notre table. Leur table. Je ne peux pas. Je me relève maladroitement malgré la douleur et ma jambe affaiblie a du mal à me soutenir. Je parviens de justesse à me rattraper à la chaise. La gentille dame à côté de moi me regarde, inquiète. J'ai le cœur au bord des lèvres et il faut que je sorte vite.

— Vous allez bien, mademoiselle ?

— Oui, non, je dois couver quelque chose. Je vais rentrer.

Son regard compatissant me montre qu'elle a entendu les trémolos dans ma voix.

Je replace ma chaise et quitte la table, avant que Wes n'arrive. Wes. Ce n'est même plus Seth, désormais.

Je traverse la salle de réception en boitillant et maudis ma jambe de pousser mon humiliation à son paroxysme. Je m'apprête à passer les portes quand une silhouette se poste devant moi, me forçant à m'arrêter. Je relève la tête et reconnais le monsieur d'hier soir, celui de la boîte.

— Vous ?

— Il fallait que je vous ouvre les yeux. Mon fils n'est pas pour vous.

— Comment ? lui demandé-je, interloquée.

— Vous pensiez avoir été assez discrets ? Vous n'êtes qu'une sotte. Vous pensiez arriver ici et être présentée à son entourage, son monde ? Vous n'êtes qu'une danseuse et il est à la tête d'une des plus grosses entreprises du pays. Vous pensiez vraiment l'épouser un jour ? Vous n'étiez qu'une distraction, mademoiselle. Au mieux, vous pourriez être sa maîtresse. Mais je suis sûr que vous aspirez à mieux que ça.

Durant son monologue, il n'a pas élevé une seule fois la voix. Tout a été débité de manière consciencieuse, chaque mot a été prononcé avec une froideur extrême.

— Père !

La voix de Seth tonne derrière moi, me faisant sursauter.

— Laissez-moi passer, s'il vous plaît, lui dis-je d'une voix suppliante.

Je n'ai pas le temps pour ces machinations, ces manipulations. Ce monde est aussi pourri que je l'avais imaginé. Je pensais Seth différent, mais il est encore pire que tous les autres.

Seth me retient par le bras, tandis que son père s'écarte.

— Lâche-moi. Tout de suite.

— Max...

Je ne sais pas s'il me supplie, mais je n'y crois plus.

— Mon chauffeur va vous raccompagner, mademoiselle.

J'ai envie de lui dire d'aller se faire voir, lui et son chauffeur. Ma fierté préférerait encore marcher pendant des jours. Mais je ne suis pas stupide, mon corps ne supporterait pas un tel trajet et la danse est tout ce qu'il me reste. Je ne lui laisserai pas me prendre ça, aussi.

— S'il vous plaît.

Je retire vivement mon bras et m'éloigne le plus loin possible de cet homme que je pensais connaître.

Je me presse dans l'entrée et quand j'arrive au bas des escaliers, ma jambe me lâche. Elle m'aura au moins permis d'arriver jusque-là. Je ne peux plus retenir mes sanglots. Les larmes coulent avec abondance. Seth se retrouve à mes pieds et tente de me relever. Je me fous qu'il me voie ainsi, je ne suis plus à ça près.

— Lâche-moi.

— Laisse-moi t'expliquer, bébé.

— Bébé ? répété-je comme s'il m'avait brûlée avec de l'acide.

Je me tourne vers lui et le fixe avec colère. Mes dents mordent ma joue dans un effort désespéré de ne pas paraître encore plus pathétique. Je ne sais pas ce que signifie son regard, mais là, à l'instant, je voudrais qu'il souffre autant que moi. Je refuse sa main et me relève seule. Dans ma chute, ma robe s'est déchirée. Je suis au comble de l'humiliation. Je me sens sale, trompée. J'ai l'impression d'étouffer. Devant cette constatation, mes dents se resserrent encore plus fort et un goût de fer m'envahit la bouche, cruel témoignage de cette soirée.

La limousine se gare devant moi et sans un regard pour Seth, je quitte ce monde qui n'est pas le mien.

Il retient la porte.

— Je peux tout t'expliquer. S'il te plaît, Maxime.

— Plutôt mourir, Wes !

Car oui, à ce moment-là, je préférerai mourir que de le laisser me blesser encore plus.

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