Chapitre 1
— Max ! Active-toi, tu vas être en retard !
J'entends maman m'appeler d'en bas. Si je ne me dépêche pas, je vais rater mon bus. Je ne suis pas du genre pressée, mais j'aimerais autant être à l'heure pour mon premier jour.
J'enfile mon sweat à capuche, lasse mes converses et attache mes cheveux. Je me regarde dans le miroir d'un œil incertain puis évalue le temps qu'il me reste en jetant un coup d'œil sur l'horloge suspendue. J'ai beau me lever tôt, c'est toujours la course pour me préparer. Comprenant que, de toute façon, le résultat que me montre mon reflet sera le meilleur que je pourrais avoir, je quitte ma chambre et dévale les escaliers avant de rejoindre maman dans la cuisine.
— Salut 'man, la salué-je, en attrapant un croissant sur le comptoir.
— Max..., il y a des assiettes, une table et tout ce dont tu as besoin pour manger correctement. Regarde, tu en mets partout !
— Echcuse, maman. Mais che peux pas m'asseoir, mon buch va arriver.
— Très bien, alors va, dépêche-toi et profite.
Ma mère se rapproche de moi et me prend affectueusement dans ses bras.
— Tu rentres enfin dans l'école de tes rêves, me dit-elle en me caressant la joue. Papa serait vraiment fier de toi, mon Cœur.
— Merci maman...
Je détourne légèrement la tête pour masquer l'émotion qui me gagne. Maman et moi vivons seules depuis la mort de papa, il y a un peu plus d'un an. Nous faisons face, même si certains jours sont difficiles.
Ne souhaitant pas me morfondre en ce jour si particulier, j'embrasse ma mère et quitte la cuisine. Je cours hors de la maison, puis fais demi-tour précipitamment. Ma mère, toujours dans l'entrée, observe mon petit manège, amusée.
— J'ai oublié mes affaires, dis-je en remontant les marches quatre à quatre, tandis qu'elle se moque de moi.
Je m'engouffre dans ma chambre et récupère mon sac, ainsi que ma veste.
Je cours à temps pour voir mon bus arriver, puis m'installe au fond. Mon casque sur les oreilles, j'écoute "Cake" de Mélanie Martinez.
Vingt minutes plus tard, j'arrive sur place et en avance, ce qui ne me rend pas peu fière. Julia, ma meilleure amie, apparaît à côté de l'entrée, bras croisés. Elle s'impatiente. C'est notre rêve à toutes les deux. Nous avons réussi à intégrer le Conservatoire de danse de Paris ensemble. Je suis en première année et Julia a intégré l'école l'année dernière. Papa est décédé quelques jours avant les examens préparatoires. Maman m'avait encouragée à les passer quand même, mais je n'ai pas pu m'y résoudre. J'ai donc attendu une année supplémentaire avant d'en avoir la force.
Julia se détend dès qu'elle m'aperçoit et me saute dans les bras. C'est le genre d'amie hyper démonstrative. Mais attention, ça peut-être un inconvénient lorsqu'elle est en colère. Autant dire qu'il vaut mieux ne pas se la mettre à dos. Ses longs cheveux blonds contrastent avec ma tignasse brune. Ses origines scandinaves font d'elle une fille complètement à part. Elle est une beauté atypique tandis que moi, je suis plutôt classique.
— Max ! s'extasie-t-elle. Je suis tellement heureuse que tu sois enfin là avec moi.
Je partage sa joie et la prends à mon tour dans mes bras tout en me faisant étouffer par les siens. Autre différence entre nous deux : notre taille.
— Bon... un an plus tard mais vaut mieux tard que jamais, puis on n'aurait pas été en classe ensemble, de toute façon. Et l'essentiel c'est que tu sois là, rajoute-t-elle, en riant. Cette école était d'un ennui, je te jure ! Les rivalités, les filles. Arg ! Un, Dos, Tres, c'est du pipi de chat.
Elle poursuit sans même respirer. Quand la machine Julia est lancée, il est presque impossible de l'arrêter. Comme elle l'a dit, nous n'aurions pas pu suivre nos cours ensemble puisque nous ne pratiquons pas la même discipline. Ma meilleure amie fait de la danse classique alors que je suis la formation de danse contemporaine.
— Je vais t'expliquer, reprend-elle.
Depuis que je suis arrivée, je n'ai pas pu en placer une... mais je sais que c'est un combat perdu d'avance.
— Tu n'as qu'à aller à l'accueil et Mme Brunet, la secrétaire, te donnera tout ce dont tu as besoin. Bon... Je ne te cache pas qu'elle n'est pas très agréable, mais on doit faire avec. Ensuite, tu ramènes ton joli fessier et on va se prendre un café !
Je reste dubitative devant la maigre quantité de tâches qu'il me faut effectuer en ce premier jour. Où est la rigueur ? La discipline ? Ses sourcils se haussent et, si j'interprète bien, elle me demande silencieusement ce que je fais encore là. Quinze ans d'amitié, ça crée une forme de télépathie que même les plus vieux couples peinent à créer.
— Attends, mais... C'est tout ? Je veux dire, pas de cours ? Pas de réunion ? lui demandé-je, étonnée.
— Mais non, bécasse, s'amuse-t-elle. Tout commence lundi. Aujourd'hui, c'est la paperasse. Allez, bouge-toi, je t'attends.
Julia me donne une petite tape sur les fesses et je m'éloigne après l'avoir assassinée du regard. En traversant la cour, je lève la tête pour contempler le lieu où tous mes rêves deviendront possibles. L'architecture de l'école est particulière. Les bâtiments sont presque tous étranges : ils forment un U, mais aucun ne semble en harmonie avec l'autre. À ma droite, le bâtiment semble former des vagues, tandis que celui à ma gauche ressemble à d'étranges formes sortant de terre. Je ne m'y connais pas vraiment en art, mais je dois avouer que je ne saisis pas ce que l'architecte a voulu représenter. Le bâtiment face à moi est beaucoup plus traditionnel.
Je traverse la vaste cour, pénètre dans le bâtiment le plus banal et suis les panneaux d'indication jusqu'à arriver au bureau des admissions. Pendant une dizaine de minutes, je me retrouve à remplir tout un tas de documents qui ne semble jamais finir. Je fais poliment remarquer à la secrétaire, madame Brunet, que j'ai déjà tout complété pour passer les examens d'entrée – piètre tentative pour passer la case paperasse – et pour toute réponse, elle me désigne du pouce la pile de documents derrière elle, sans même lever les yeux de son magazine. Interloquée, je le regarde pendant quelques secondes, puis serre les dents en lui adressant un sourire crispé qu'elle ne voit même pas. T'as qu'à poser ton « Voici » et faire le tri, pensé-je, mauvaise.
Vingt minutes plus tard, j'ai enfin terminé. Je récupère mon emploi du temps et cours rejoindre Julia.
Alors que je traverse à nouveau la grande cour, je m'arrête pour fouiller dans mon sac à la recherche de ma paire de solaires. Je dois dire que je suis désorganisée dans chaque aspect de ma vie. Je pense que la discipline de la danse m'a poussée à décompresser sur absolument tout le reste.
Ma tête pivote lorsqu'un bruit étrange me parvient et mon cœur manque un battement quand je me rends compte que l'homme à quelques mètres de moi vient de me prendre en photo.
— Tu peux sortir de mon champ ? me réprimande-t-il.
— Pardon, dis-je sans savoir où aller.
Comme une cruche, je le fixe sans arriver à bouger tandis qu'il se redresse. Il est grand, peut-être une tête de plus que moi, assez bien bâti, mais sans exagérer. Ses cheveux bruns, indisciplinés, font ressortir ses yeux bleus. Il ne doit pas être loin de la trentaine. Un bel homme, vraiment, encore plus s'il arrêtait de froncer les sourcils. Il faudrait qu'il se détende un peu. Je me rends compte que je le détaille un peu trop et tente de m'excuser pour reprendre contenance.
— Je suis désolée, je n'avais pas vu que vous étiez là, j'étais distraite...
— Oui, ça c'est certain, me coupe-t-il, irrité. En même temps, vous les danseuses, vous avez quoi ? Un pois chiche à la place du cerveau ?
Mes yeux s'exorbitent d'effroi. Pardon ? Ah oui, donc là on est dans la gratuité des insultes... Je resserre ma prise sur mon sac et l'assassine du regard.
— Vous êtes un sacré con, le photographe.
Je lui passe devant, furibonde, quand mon corps est tiré en arrière et que mon sac s'échoue au sol, déversant son contenu.
— Pardon, je voulais vous retenir pour m'excuser, me dit-il en se baissant pour m'aider à ramasser mes affaires. Je n'aurais pas dû dire ça.
— Oui, ça c'est certain !
Mes affaires ramassées, je me redresse et m'éloigne de lui sans lui accorder le moindre regard. Les gens sont remplis de préjugés à l'égard des danseuses : pestes, idiotes, compétitrices. C'est quelque chose que j'ai du mal à supporter.
Je rejoins Julia qui fume une cigarette à l'entrée. Encore. Je ne sais pas comment elle peut avoir autant d'endurance en fumant presque un paquet par jour. Comme elle et moi avons, depuis longtemps, dépassé le stade des non-dits, je me permets de lui faire la réflexion.
— Tu ne te fais jamais plaisir, toi ? riposte-t-elle.
— Avec un cancer des poumons ? Non, suis-je bête. Tu as raison, je ne sais vraiment pas m'amuser, ironisé-je.
— Bon ce café, allons-y avant qu'il n'y ait plus de place.
Elle lève les yeux au ciel, se décolle du mur avec nonchalance et écrase sa cigarette dans une poubelle avant de prendre la direction d'un petit café cosy. Nous passons les deux heures suivantes à parler de ce qui m'attend ce premier semestre : des examens et de la compétition entre les danseurs. Elle me nomme les choses et surtout les personnes à éviter, puis lorsque les recommandations sont faites, nous dérivons vers Mike : son petit-ami musicien.
Son groupe commence à démarrer et ils font de plus en plus de scènes sur Paris. Ça fait maintenant deux ans qu'ils sont ensemble. Julia était la choriste de son groupe les « Pixels », à leurs débuts. Ils étaient amis, puis sont tombés amoureux. Aujourd'hui, ils allient à merveille leurs plannings respectifs et trouvent même du temps pour voyager. Je les envie un peu, mais je n'ai vraiment pas la tête à avoir moi-même une relation amoureuse.
— Donc, demain soir, les Pixels jouent au Batofar, tu viens ? Il y aura aussi Lucas. D'ailleurs, il n'a pas arrêté de me répéter que tu étais la pire des meilleures amies.
Je lui souris, contrite. Je reviens tout juste d'un séjour à l'étranger, et j'ai été plutôt avare en nouvelles. Mais j'avais besoin de me couper de ma vie, de prendre l'air.
— Oui je sais... Il n'a pas apprécié mon voyage de deux mois en Espagne. Si j'ai bien retenu, il m'a dit que j'étais une « lâcheuse égoïste », ris-je
— Tu m'étonnes, vous êtes inséparables depuis quoi ? La maternelle ?
— Le primaire, pour être exacte. Mais ! souligné-je. Moi, je ne me plaignais pas trop quand il sortait avec l'autre pouffe et qu'il avait disparu des radars.
Julia écarquille les yeux et éclate de rire. Je ne parle jamais mal, mais elle, c'était un cas particulier et elle mérite que je salisse un peu mon vocabulaire.
— Clara, c'était son prénom, il me semble, me sermonne-t-elle.
— Non, non, c'était Sarah, rétorqué-je aussitôt.
— Tu vois, tu le sais ! Alors pourquoi la pouffe ?
— Ça lui va mieux. Et c'est gratuit.
Nous rions et poursuivons notre discussion, quand arrive le sujet épineux, dérangeant, désagréable. Je pourrais trouver tout un tas de synonymes. En bref, ma vie sentimentale.
— Et sinon... Majorque ?
— Chaud.
— Genre chaud ou chaud-chaud ? demande-t-elle en agitant ses sourcils de façon suggestive.
Je ne suis pas dupe, j'ai clairement compris le sous-entendu. À son « Et sinon... » j'ai deviné qu'elle ne voulait pas parler tourisme.
— Quarante degrés pour être précise. Donc oui, chaud, j'imagine, dis-je innocemment.
— Tu m'exaspères. Rien de plus chaud ? me questionne-t-elle curieuse.
— Si tu entends par là un bel espagnol aux tablettes de chocolat, à la peau mate et hyper sexy...
Je me tortille sur ma chaise pour dessiner dans l'air un corps d'Apollon et les yeux de Julia me dévorent avec curiosité. C'est vrai qu'il était vraiment beau. Je prenais plaisir à le mater lorsqu'il sortait torse nu dans sa chambre.
— Dis donc ! On ne se refuse rien !
— Ouais c'était mon coloc'. Il avait un truc à part, tu vois ?
À la vue de mon air mystérieux, Julia s'est rapprochée de moi, avide d'en savoir plus. Et intérieurement, je jubile. Il n'y a pas d'autre mot.
— Vas-y me fais pas plus attendre, balance. Est-ce qu'elle était grosse ? Ou pas forcément, mais est-ce qu'il savait s'en...
— Servir ? la coupé-je. Oui, d'après les cris que poussait Sergio, son mec.
Je vois son visage former une grimace quand elle comprend que je me suis moquée d'elle.
— T'es pas possible. J'ai cru que...
— T'as cru que quoi ? Je t'ai pourtant dit que je n'étais pas partie là-bas pour trouver quelqu'un, râlé-je.
Ma petite farce était méritée. J'arrêterai de me jouer d'elle quand elle arrêtera de me prendre la tête.
— Je ne t'ai jamais suggéré de rentrer fiancée et enceinte, Max. Juste de t'amuser. Je sais, reprend-elle avant que je ne puisse la couper, ce n'est pas ton genre. Mais même pas un petit flirt ? Tu ne t'es pas fait draguer ? Rien du tout ? Niet ?
— Que dalle.
Si je m'avise de lui dire que mon beau chef de salle m'a fait du rentre-dedans tout l'été et que j'ai repoussé ses avances, c'est fini, elle me tue. Elle me reprochera de ne pas avoir su profiter de ce qui s'offrait à moi.
— Écoute, je pense qu'il est peut-être temps que tu passes à autre chose. Ça fait bientôt un an, maintenant. Et depuis, tu n'as même pas eu de rencard, me dit-elle craintive.
— Si tu fais référence à Aaron, en effet, je suis passée à autre chose. Mais merci de t'en soucier. Et tu peux dire son nom, ce n'est pas Voldemort, m'agacé-je.
Je porte mon café à mes lèvres, tentant de dissiper la colère qui s'est emparée de moi. Je ne sais pas ce qu'il fait de sa vie. Il peut bien accumuler les rencards si ça lui fait plaisir. Mais ça m'agace qu'on pense que si je ne fais pas la même chose c'est parce que je n'ai pas tourné la page.
— Pardon, je ne voulais pas te vexer. J'aimerais juste que tu profites un peu, t'as vingt ans, Max...
— Je sais oui, mais là je n'ai pas le temps... Entre les cours et ma mère qui a besoin de moi, je n'ai pas envie de m'engager dans quoi que ce soit, d'accord ? En plus, je dois trouver un job pour payer l'école. Parce que figure-toi que la bourse ne couvre pas tous les frais. Et en dehors de ça, je veux juste profiter de mes meilleurs amis. Puis, si je rencontrais quelqu'un, tu te plaindrais que je n'ai plus assez de temps à te consacrer. Quelle amie égoïste serais-je, non ? rajouté-je en faisant la moue.
Elle se redresse de sa chaise, tout en enfilant sa veste.
— Oui, oui, joue-la altruiste. Bon je vais devoir y aller. Je dois rejoindre Mike avant sa répet'. On se retrouve demain soir alors ?
Je me lève à mon tour et nous nous quittons. En regardant ma montre, je me rends compte que je vais devoir courir pour prendre le prochain bus, si je veux voir maman avant sa garde de nuit. Elle est infirmière dans un hôpital et si je sors demain soir, je risque de ne pas la voir avant samedi.
Je me dépêche, mais arrive trop tard à l'arrêt de bus. Tout en râlant, ma main saisit mon téléphone dans mon sac et j'envoie un message à maman.
« Désolée maman, je viens de raterle bus. Je te fais plein de bisous. On ne se verra sûrement pas demain, je sorsavec Julia. Xx »
Elle me répond de suite.
« Okay ma belle, je t'ai mis unplat à réchauffer. Amuse-toi bien, mais n'oublie pas de m'envoyer un messagequand tu pars de la maison. Et aussi quand tu rentres. Et si tu dors à lamaison ou chez Ju. »
Je ris, ma mère est un peu trop protectrice. Mais je ne manque jamais de faire ce qu'elle me demande. Je sais qu'elle a tendance à vite s'angoisser depuis la mort de papa, alors si je peux lui éviter de passer une mauvaise garde, je le fais.
Je ne remarque la voiture qui s'est arrêtée devant moi que quand un klaxon retentit par-dessus ma musique. Je relève la tête et suis étonnée de voir le photographe, dans une voiture jaune à m'en faire saigner les yeux. Il me parle, mais mon casque sur la tête m'empêche d'entendre ce qu'il me dit. Je l'abaisse pour l'écouter.
— Approche, me demande-t-il simplement.
Non, mais il est sérieux ? Certainement pas.
Je remets mon casque après avoir haussé les sourcils de façon exagérée. S'il croit en plus que je vais lui faire le plaisir de répondre, il peut toujours rêver ! Le vrombissement de la voiture, exagérément élevé, m'informe qu'il s'éloigne et je relâche alors mon souffle. J'avais beau faire la fille sûre d'elle, je ne le suis absolument pas et ce qui vient de se passer a provoqué chez moi un pic d'adrénaline.
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