« 𝑂ℎ 𝑚𝑖𝑠𝑒̀𝑟𝑒.. »

Izuku est perplexe.
Profondément perplexe.

Toute la sainte journée, il n'a su que se déconcentrer et faire tourner sa chaise à roulettes d'un côté à l'autre, les mains sur son bureau et les yeux sur son écran sans le regarder pour autant.
Ses doigts tapotent machinalement le plateau de son espace de travail, l'index près de la souris qui, malgré sa proximité, reste abandonnée et inutilisée depuis plusieurs dizaines de minutes.
Derrière la porte entrebâillée de la pièce qui lui est réservée quand il travaille dans le bâtiment, il soupire en percevant les pas et les voix de ses collègues.

Lui aussi voudrait bien se motiver à reprendre ses dossiers en cours, tandis qu'une petite pile de papiers attend sagement d'être tamponnée à quelques centimètres de son clavier froid de n'avoir presque pas servi depuis ce matin.
De plus, à force de se laisser emporter par les divagations de son esprit, il slalome interminablement entre crise existentielle et ennui mortel.
Le dos droit, martelant le sol sous ses talons agités, il baisse lentement les yeux vers l'affichage de l'heure en bas de son écran d'ordinateur.

Officiellement, sa journée se termine dans six minutes, même s'il a l'impression désagréable qu'elle n'a jamais commencé.
Tout du moins, il n'a plus ou moins rien foutu de son lundi, trop occupé par les vagues d'incertitudes de son cerveau confus.
Nom d'un chien, il n'avait pourtant rien demandé à personne, qu'à t-il fait de mal pour se retrouver dans cette situation ?

Dans sa petite vie stable et calme qu'il s'est tellement tué à construire après les années de souffrance de son adolescence, il voulait simplement continuer son chemin tout droit et bien éclairé sans se perdre dans de nouvelles routes escarpées et tordues de doutes.
Pourtant le voilà bien ici, comme un con plus capable de se concentrer sur son travail alors qu'il n'en revient pas d'avoir passé son week-end à s'emmêler les pinceaux sur ses propres décisions.

Oh, Izuku tient à être clair, il maintient son choix quant à la discussion échangée avec Katsuki samedi après-midi.
Il pense vraiment que, du haut de ses presque trente trois ans, il n'est pas la personne dont le tout jeune adulte qu'est Katsuki a besoin dans sa vie.
Les années qui les séparent et le manque d'expérience du plus jeune constituent de vrais arguments dans lesquels il croit, et qui lui ont permis de ne pas hésiter plus que de raison quant à la réponse qu'il devait donner à l'intérêt de Katsuki pour sa personne.

C'est vrai ..
A quelques mois près, il était encore mineur, et il reste un étudiant en recherche de sa propre identité et vivant chez ses parents.
Ce n'est certainement pas avec un homme de plus de trente ans qu'il doit et peut envisager sérieusement une relation amoureuse.
Outre même l'avis et l'idée que pourraient s'en faire leurs entourages, Izuku demeure convaincu d'avoir fait le choix en stoppant Katsuki le plus vite possible.

En vérité, ce qui le met dans tous ces états de confusion, c'est la façon dont s'est terminée l'entre vue de samedi.
Après une réponse pressée, chargée par ailleurs de contrariété et d'une peine mal dissimulée, Katsuki a quitté la table et les lieux dans la foulée.
La scène n'avait rien de théâtral, le garçon ne s'est pas enfui comme une adolescente en pleurs, et Izuku ne l'a pas poursuivi les cheveux au vent.
Non.

À vrai dire, il aurait peut-être préféré ça.
Non pas pour le côté romance américaine, mais bien parce que la réalité s'est montrée bien plus pénible et complexe à gérer.
En restant assis à la petite table du café, Izuku n'a juste pas bougé en suivant du regard le départ lent et tendu du jeune blond.
Il l'a vu franchir la porte et s'éclipser dans les reflets de soleil de la rue, et pendant ce temps-là, lui, n'a pu que rester perplexe et muet.

Un petit nœud s'est formé dans sa gorge.
À l'idée d'avoir blessé le jeune homme, avec qui il avait pourtant partagé un très bon moment d'échange le week-end précédent chez Eijiro, un sentiment de remords l'a soudain étreint.
Naturellement, il se doutait que l'annonce risquait de le froisser, mais le voir s'en aller comme ça, vexé et touché dans son égo, l'a mis profondément mal à l'aise.
Ce n'était vraiment pas ce qu'il voulait, pas du tout.

Et puis ..

Peut-être qu'il peut se le dire au moins à lui-même, si Katsuki avait eu quelques années de plus, il ne l'aurait pas recalé de la sorte.
Bien au contraire en fait .. alors qu'il a repéré en lui tout ce qu'il fallait pour faire rougir ses joues et son cœur.
Derrière la barricade qu'il s'est évertué à garder autour de lui chez Eijiro, en maintenant sa bouche fermée et sa présence discrète, Izuku a rapidement remarqué l'humain sensible planqué dans son petit château fort portatif. 
Il l'a d'abord vu au travers de son regard, dans les éclats timides mais bien existants qui brillaient dans les recoins secrets de ses iris.

Il s'est attaché à lui en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, et leur longue conversation sur le canapé a terminé le travail.

Enfin ..
Quoi qu'il en soit, il n'en reste pas moins qu'Izuku maintient sa décision, encore et toujours.

Mais ..

Il regrette que leur dernière entrevue se soit si mal passée, et tout au long du week-end jusqu'à maintenant, il s'est arraché les cheveux sur une question.
Doit-il oui ou non lui écrire pour s'excuser de la tournure des évènements ?

Au fond de lui, il crève d'envie de lui envoyer un message pour lui présenter ses excuses et pour s'assurer qu'il va mieux depuis son départ contrarié.
Mais sa raison lui tambourine le crâne de contre indications.
Lui écrire pourrait rendre les choses plus difficiles, et pire encore, cela pourrait même embrouiller Izuku qui, pourtant, s'efforce sans relâche de rester sûr de lui et de sa décision.

Et ce débat interne ... Mon dieu qu'il le fatigue.

Mais en attendant, sa maudite journée est enfin terminée alors que le coin de son écran affiche un agréable dix-huit heure trente.
Et puisque de toute manière il n'a rien foutu depuis ce matin, il se contente d'éteindre l'ordinateur et de récupérer rapidement ses quelques affaires avant de quitter la pièce sans un regard en arrière.
Avec un peu de chance, il aura retrouvé son calme d'ici demain et il pourra réellement reprendre ses tâches professionnelles ...

Traversant le couloir, il passe par l'accueil où plus personne ne se trouve à cette heure-ci, puis, dans le petit placard des employés, il retrouve son casque, sa veste et ses gants.
Poussant ensuite la porte de sortie de l'établissement, il s'affaire déjà à enfiler ses protections sans attendre tout en rejoignant sa moto, garée sur le parking du personnel.
Toute propre et brillante, fraîchement lavée d'hier soir, sa carrosserie grise pétillante reflète les rayons du soleil comme un sublime miroir à deux roues.

Sur les courbes sportives de sa Kawasaki Ninja, il cligne des yeux en souriant, comme à chaque fois qu'il s'apprête à monter dessus, quand bien même il l'a possède depuis bien assez longtemps pour l'avoir fait des centaines de fois.
Croyez bien qu'il l'aime, cette machine, et quiconque aura le malheur de la rayer de verra maudit sur huit générations dans la minute suivante.
Enfin, son casque attaché et ses gants bien enfilés, il s'offre une énième fois l'infini plaisir de grimper sur la selle de la belle moto, le ventre couché sur les lignes du réservoir et le dos légèrement cambré.

Néanmoins, et malgré le rugissement jouissif du moteur et l'adrénaline déjà présente à peine deux cent mètres après son départ, son cerveau se remet à cogiter.
Ignorant les embouteillages en passant entre les voitures ralenties, il maintient une vitesse stable en serrant son guidon, mais ses pensées repartent déjà en vrille.
Agacé de sentir son plaisir entaché par ces questionnements, il peste derrière sa visière avant de mettre un léger coup d'accélérateur à l'approche du carrefour giratoire.

Il devrait le traverser et prendre la deuxième sortie pour rentrer chez lui, mais il ne peut plus supporter ces doutes et ce flou dans ses idées !

_ Fait chier ! râle t-il dans son casque.

Contournant entièrement le rond-point pour revenir sur ses pas, il emprunte la direction opposée, celle qui mène à un autre logement ..
Celui d'Eijiro.

Parce qu'il faut qu'il crache ce qu'il a sur le cœur et parle à un ami de confiance, il fait chanter son moteur en s'éloignant des bouchons.
Poussant sur les vitesses, il voit l'asphalte défiler de plus en plus rapidement sous ses deux roues et, au tournant des virages, il n'hésite pas à pencher sa machine pour les prendre sans trop ralentir.
Le vent commence à frapper ses vêtements, s'engouffrant à peine dans l'épaisse veste coquée qui protège le haut de son corps.

Le paysage se fond en mélange de couleur à mesure que sa vitesse augmente pour profiter au maximum de son engin dont il est si fier.
Dépassant les voitures en moins d'une seconde, frayant son chemin sur le goudron en se nourrissant d'adrénaline, il lui faut moins de vingt minutes à ce rythme pour atteindre la maison de son ami.

Ainsi, garant son véhicule sur le parking avant d'en descendre, il cale son bébé sur la béquille avant de retirer son casque et ses gants.
Puis, en marchant jusqu'à la porte d'entrée voulue, il se défait de sa veste de protection.
Comme souvent, son arrivée n'est pas passée inaperçue et, averti par le bruit du moteur, Eijiro lui ouvre avant même qu'il n'ait besoin de toquer à l'entrée.

_ Toujours dans la mesure et la discrétion ! ricane doucement son ami en l'accueillant. Tu vas bien ?

Les cheveux légèrement collés à son front par la chaleur et la transpiration, Izuku répond au check qu'il lui envoie avant de souffler un bon coup.

_ Ça va, ça va .. Je te dérange pas ?

_ Jamais. Entre.

Joyeux par le simple fait de recevoir un de ses amis, Eijiro l'invite à s'avancer dans le salon agréablement climatisé, avant de lui offrir une bière sans avoir pris la peine de lui poser la question.
Ici, quelque soit la situation, une bière est toujours bienvenue.

_ Aller. commence Eijiro en s'asseyant face à lui autour de la table. Vas y crache, qu'est ce qui t'emmène un lundi soir ?

Grillé d'avance, Izuku sourit à la perspicacité de son ami qui, visiblement, le connait trop bien.
Il faut dire que, pour Izuku, il est rare de se pointer quelque part sans avoir prévenu à l'avance. Encore moins un jour de semaine.
Et Eijiro, en décapsulant sa petite bouteille en verre, semble très fier de sa devinette improvisée.

_ Aaaaah ! geint Izuku en étirant ses épaules en arrière. Je suis dans une situation de merde.

_ De merde ? répète Eijiro. C'est grave ?

_ Non, non pas vraiment. Mais ça me pourrit la tête depuis deux jours.

_ Vas y balance.

Malgré lui un peu gêné par la situation, Izuku dévisage l'étiquette de sa bière tout juste entamée pendant plusieurs secondes avant de vider l'air de ses poumons dans un interminable soupir.
Puis, dégainant son courage, il lève la tête au plafond pour se lancer.

_ Tu te souviens à la soirée de samedi dernier, ton frère a ramené ses potes.

Hochant la tête, Eijiro qui, au contraire de Denki n'est pas dérangé par l'appellation "frère", attend sagement la suite de l'histoire.

_ Parmi eux, il y avait Katsuki.

_ Hmm, c'est celui qui ne parlait pas beaucoup, c'est ça ?

_ Ouais ..

_ Ok je vois qui s'est. confirme Eijiro. T'as passé une partie de la soirée à parler avec lui d'ailleurs.

Arquant un sourcil désabusé, Izuku affirme en remuant le menton, pensant pour lui même que c'est précisément à ce moment là que les problèmes ont commencés.

_ Je l'ai vu samedi pour lui parler, parce que visiblement .. je lui plais.

Pris par la surprise, Eijiro recrache dans son goulot avant de déposer très lentement sa bouteille sur la table.

_ Pardon ?

_ Je sais .. souffle Izuku. Quand on s'est vu samedi, je lui ai expliqué que ... Que je suis bien plus âgé que lui et qu'il devrait plutôt s'intéresser à quelqu'un d'autre, de son âge disons. Ça l'a plutôt blessé et il est parti tout de suite après. Et depuis je ne sais pas si je dois lui envoyer un message pour .. je sais pas .. m'excuser ou lui demander si ça va.

Un long silence suit sa déclaration et, les yeux écarquillés, Eijiro reste pantois plusieurs secondes.
La bouche entrouverte et les paupières clignotantes, il se ressaisit au bout d'une minute en fronçant les sourcils.

_ Par pitié Izuku, dis moi d'abord que son attirance pour toi n'est pas réciproque.

Muet et incapable de répondre convenablement, Izuku pince ses lèvres en détournant le regard.
Bien sûr que Katsuki est certainement trop jeune pour lui, mais il n'en reste pas moins qu'il ne peut pas s'empêcher de revoir son visage mature et les lignes de sa mâchoire soulignées par ses mimiques et ses expressions.

_ Oh misère ... souffle Eijiro en massant son front.

_ C'est ce que je me suis dit toute la journée ...

_ Je .. Je sais pas si j'ai une réponse à te donner .. J'ai envie de te dire qu'il est majeur et que tu fais bien comme tu le sens .. dans tous les cas y'a rien de fondamentalement grave. Mais je me dis aussi que .. merde il a l'âge de Denki ! Et je t'assure mec qui s'il y avait quoi que ce soit entre toi et Denki, je te devisserai la tête. Je suppose que c'est pas objectif.. mais il en reste pas moins qu'il n'a que dix-huit ans.

_ Je le sais ça ..

_ Je .. Je pense que le premier conseil qui me vient c'est : lui envoie pas de message et laisse tomber. Y'a peu de chance pour que vous vous revoyez par hasard, alors laisse ça derrière toi et puis c'est tout. Vous vous connaissez à peine, alors ça vous passera vite.

_ Mais ça lui a fait de la peine, et j'ai pas envie qu'il croit que je m'en fou.

_ Il a dix-huit ans Izuku. Dans deux semaines il aura un nouveau crush et puis basta. T'as eu dix-huit ans toi aussi, tu sais à quel point tout passe vite à cet âge là.

Puis, après sa réplique un peu pressée, Eijiro reconcidere ses mots en plissant le front, se rappelant soudain de la jeunesse d'Izuku qu'il ne peut assurément pas comparer à celle d'un adolescent normal.

_ Pardon. Reprend-il en secouant la tête en signe de regret. Ce que je veux dire, c'est qu'à cet âge là, ce genre de choses ça file aussi vite que le vent. Et toi tu es assez raisonné pour prendre la bonne décision.

Étrangement contrarié plus qu'il ne s'y attendait, Izuku baisse la tête pour réfléchir.
La bouche tordue d'une légère grimace, il ne parvient pas à se convaincre de la parole de son ami.
Pourtant, il lui présente exactement les mêmes arguments qu'il se donne à lui même, mais envers et contre lui, une étincelle de voix dans sa tête ne veut pas lâcher le morceau.

_ Je te sens pas convaincu. relance Eijiro après une minute.

_ C'est pas .. Je sais que t'as raison, c'est ce que je me dis depuis samedi .. mais ça me travaille tellement, j'arrête pas d'y penser et de me cogner la tête sur les murs.

_ Écoute, je peux pas prendre la décision à ta place, et je suis désolé si j'ai pas pu te faire avancer dans tes réflexions .. Tout ce que je peux te dire c'est de garder à l'esprit tout ce que je t'ai dit, et de le prendre en compte peu importe ce que tu feras.

_ Bien sûr. Merci d'écouter mes problèmes à la con. rie nerveusement Izuku, toujours aussi incertain.

_ Mais non, t'excuse pas ... En revanche .. Je te conseille de pas en parler aux autres .. Je veux dire .. On sait pas trop comment ils pourraient réagir, et c'est aussi pour ça que je pense pas que ce soit une bonne idée de garder le contact avec lui.

_ Mais si c'est juste pour m'excuser ?

_ Je t'en prie Izuku, là tu pues la mauvaise foi. Tu sais aussi bien que moi que le : juste pour s'excuser, va se transformer en 400 messages jusqu'à trois heures du matin.

Touché.

_ Pas forcément .. tente t-il malgré tout en se raccrochant aux lianes.

_ Mais bien sûr ...

Et finalement, Izuku ne ressort rien de concluant de cette discussion avec son ami qui, malgré son effort de compréhension, semble lui aussi lui indiquer la voie de la raison.
Celle qu'il devrait prendre d'ailleurs !
Mais celle que son fichu cœur à deux balles refuse d'intégrer, et en conclusion, il est toujours aussi confus, perdu, paumé, et excédé par ses pensées.

_ En plus, reprend Eijiro, je voudrais pas en rajouter hein, mais t'as pensé à la manière dont les parents d'un gars de dix-huit ans pourraient réagir en apprenant qu'il flirt avec un mec de trente trois ans ? Tu sais que tu t'exposes à un risque considérable de te faire traiter de pervers et de te faire casser la gueule par des parents potentiellement bien en colère.

Oh ..

Il est vrai qu'il n'y avait pas vraiment pensé et, en dépit de ce que Katsuki lui a décrit de son cercle familial, il n'a aucune idée de la tournure que ça pourrait prendre si ses parents venaient à réagir de manière violente à un potentiel rapprochement entre eux.
L'argument est sans doute celui qu'il manquait pour faire pencher la balance du côté de la raison, et Izuku le considère avec beaucoup d'intérêt, repensant toutes ses réflexions en y ajoutant cette donnée.

Le risque encouru vis à vis de la famille de Katsuki.

Alors, en cette fin de journée compliquée, la balance penche t-elle enfin, comme elle le devrait, du côté de la raison ?

Bien sûr que non ...!

___________

Hola !

J'ai encore mis un peu de temps à m'y mettre sur ce chapitre, mais finalement il s'est presque écrit tout seul tellement c'était fluide dans ma tête une fois lancé 😁

J'espère qu'il vous aura plu, et je vous embrasse fort en attendant le prochain 😘

Prenez soin de vous ❤️🦩

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