Chap 8 : pdv Lana (passé)

   -Comment allez-vous ce matin, madame Edwige ? s'exclama une infirmière de petite taille.

Sa chevelure épaisse et foncée avait été sommairement peignée et tressée, quelques mèches rebelles s'échappaient de sa coiffure à chaque pas effectué. Son visage était rond et laissait présager une forte fatigue, voire de l'épuisement.

Pourtant, ce matin-là, comme tous les autres matins, l'infirmière sourit à sa patiente mal lunée. Ses grands yeux bruns se posèrent avec bienveillance sur la dame âgée.

-Cessez de m'importuner avec vos questions, voulez-vous ?

Lana ne releva pas sa réponse agressive. Elle avait l'habitude. Cela faisait un bon moment maintenant qu'elle soignait cette patiente. Elle la connaissait par cœur et ne se surprenait plus de rien.

-Encore et toujours les mêmes questions indiscrètes qui ne servent à rien, continua de marmonner la vieille dame.

Muette, Lana se contenta de poser un plateau « petit déjeuner » sur la table à cet effet, guidée par une routine bien rodée.

Tous les jours, les mêmes gestes, le même rituel, encore et encore et pourtant ne pas s'aigrir, ne jamais laisser transparaître ses émotions. Rester polie et aimable même si les pensionnaires se permettaient de ne pas l'être du tout.

Lana se forçait à demeurer irréprochable.

Chaque euro comptait et c'était le visage de sa petite fille, Auréa, qui lui insufflait l'énergie de se lever chaque jour afin d'affronter les humeurs changeantes de quelques patients grincheux.

L'infirmière tourna la tête pour observer madame Edwige qui, d'un seul coup d'œil, venait de jauger le contenu de son plateau-repas.

-Au secours populaire, ils mangent certainement mieux que nous ! s'exclama-t-elle.

Elle s'éloigna de la table, à l'aide de son fauteuil roulant afin d'appuyer sa désapprobation.

Lana ne répondit rien puis finit par quitter les lieux.

Heureusement qu'Auréa, sa petite fille, lui donnait des ailes ; que son sourire éclairait les journées les plus maussades. Heureusement que Lana avait cette raison de vivre sinon elle n'aurait jamais tenu le coup. Elle serait déjà tombée en burn-out ou en dépression, elle le savait. Parfois, elle ne comprenait pas comment elle tenait encore sur ses deux jambes après toutes les tuiles qui lui étaient tombées dessus.

Lana marcha d'un pas déterminé dans le couloir, respirant une odeur étrange qui ne la dérangeait plus, écoutant un festival de sons qui ne l'agaçait plus ; quinte de toux, cris, télévision au volume poussé au maximum, radio braillant une musique classique tonitruante.

Étonnement, ce brouhaha, elle avait appris à l'affectionner, car il effaçait le silence qui régnait bien trop souvent autour d'elle et qui lui faisait peur. Elle détestait cette solitude qui habitait sa vie depuis des années. Ces sons insolites lui permettaient de ne pas trop réfléchir. Ils l'empêchaient de culpabiliser ou de s'inquiéter.

Il n'y avait plus qu'elle, déambulant dans les couloirs de la maison de retraite, loin de ses tracas, très loin de sa vie compliquée.

Ce qui la poussait à rester dans cet établissement, c'était justement cet isolement insupportable qui régnait dans les couloirs. Tout au fond d'elle, elle avait le désir de le faire disparaître parce qu'elle savait pertinemment à quel point être seul pouvait être brutal et tuer à petit feu.

Elle passait par là et cela lui donnait envie d'aider les autres. Elle n'avait personne pour l'aider à élever sa petite fille. Lana connaissait ce sentiment d'abandon. Elle connaissait cette tristesse qui vous mine lentement, qui vous épuise et vous terrasse.

Lorsqu'elle croisait les regards quelques fois égarés et désenchantés de ses pensionnaires, elle se sentait responsable de leur offrir encore quelques beaux instants de vie avant qu'il ne soit trop tard, avant que le rideau ne se referme une fois pour toutes.

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