Chap 75 : pdv Aaron (présent)

   Souvent, mon grand-père me manquait. Ces derniers temps, je pensais de plus en plus à lui. 

Peut-être parce que mes souvenirs de lui me touchaient davantage maintenant.

Étrangement, j'avais l'impression d'avoir eu deux grands-pères différents. Vous devez vous dire que je raconte n'importe quoi, mais je vous assure que c'est vrai. 

Dans sa vie, mon grand-père avait eu deux personnalités différentes.

Tout d'abord, il avait été un grand-père génial, une vraie pile électrique qui avait toujours le mot pour rire. Ses blagues n'étaient pas spécialement marrantes, mais elles donnaient envie d'être heureux et de sourire.

Il savait raconter des anecdotes excellentes et des histoires invraisemblables. C'était un homme intelligent qui nous surprenait chaque jour. Il avait toujours eu des idées incroyables, avant-gardistes, même un peu folles.

Maman disait parfois qu'il était incontrôlable, mais que tant qu'il arrivait à gagner sa vie et à survivre alors elle ne pouvait pas se plaindre. C'était un homme passionné qui déstabilisait les autres. Il réussissait toujours tout ce qu'il entreprenait grâce à sa force de caractère et cela l'avait amené à devenir très riche. C'était de ce grand-père-là que je voulais me rappeler, pas de l'autre.

Au début de mon adolescence, mon grand-père avait changé, il avait commencé à avoir des comportements bizarres et incohérents. Il était parfois redouté aussi, il savait être intimidant.

Ma mère s'était mise à se disputer avec lui, lui reprochant d'avoir construit la réputation de la famille pour ensuite la saccager. Elle lui criait dessus, le sermonnait comme s'il était un petit garçon puis elle l'avait forcé à aller consulter plusieurs médecins. Il ne voulait pas, mais elle ne lui avait pas laissé le choix. Elle disait que grand-père était devenu fou, qu'il était malade. Il avait été obligé de prendre des médicaments.

Souvent, il disait que c'était ma mère qui les lui donnait de force pour l'abrutir, pour se débarrasser de lui au plus vite. Ces propos m'avaient perturbé, car ensuite maman avait agi totalement différemment avec mon état de santé. Elle avait fait exactement le contraire, comme si elle avait refusé que je devienne petit à petit comme lui.

-Je deviens gênant, c'est ça ? criait-il parfois.

Malgré mon jeune âge, j'avais constaté que les médicaments lui avaient lentement volé sa joie de vivre, sa bonne humeur et sa créativité. Mais je ne comprenais pas ce qu'il se passait réellement. Ma mère ne me racontait rien et elle s'énervait quand je lui posais des questions.

Parfois, je lui demandais :

-Vais-je devenir comme lui ?

Maman se mettait à hurler comme une hystérique et je finissais par m'enfuir dans ma chambre.

Ce grand-père-là n'était pas celui dont je voulais me rappeler, car il n'était plus que l'ombre de lui-même. Ensuite, il avait fini en maison de retraite. C'était ma mère qui avait cherché un établissement et qui l'y avait emmené contre sa volonté. J'avais détesté assister à cette scène, impuissant.

Je me rappelle très bien de cette période. Parfois, je demandais à maman, les larmes aux yeux :

-Grand-père est-il malade ?

Elle s'énervait et se mettait à gesticuler nerveusement.

-Ne t'occupe pas de ça. Tu ne comprendrais pas.

Sombre et mélancolique, mon grand-père s'était fait une raison. Dans sa petite chambre, il restait assis dans son fauteuil à en vouloir à tout le monde. Il râlait, mais il ne bougeait plus. Ce n'étaient plus que des mots, plus jamais des actions.

J'allais le voir le mercredi après-midi. Au début, j'essayais de rire avec lui comme avant, mais il n'était plus le même. Les blagues, c'était fini. Il avait changé. Il ne riait plus. Il était devenu un homme malheureux.

Un jour, alors que ma mère était partie chercher une infirmière dans le couloir, je m'approchai de mon grand-père pour le questionner :

-Pourquoi tu ne rigoles plus comme avant ?

-Demande à ta mère ! m'avait-il répondu brusquement.

-Pourquoi tu m'agresses ? Je n'y suis pour rien.

-C'est sa faute si je suis devenu comme ça.

-Je ne comprends pas.

-C'est pas compliqué à comprendre, gamin. Elle me gave de médocs pour garder sa belle réputation dans le quartier. Elle se débarrasse de moi et si tu ne te tiens pas à carreau fiston, elle fera pareil avec toi.

-Cela n'a rien à voir avec moi.

-Vraiment Aaron ? Tu ne prends pas des médocs, toi aussi ?

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