Chap 66 : pdv Auréa (présent)
Maman m'avait déjà affirmé plusieurs fois que j'étais belle, Edwige aussi. Même Nell me l'avait dit, un jour où nous trainions toutes les deux à la maison de retraite.
Depuis que j'étais devenue une adolescente, maman et Edwige ne cessaient de vanter mes qualités. Intelligente, marrante, attachante, pétillante, puis elles répétaient toujours que j'étais devenue si jolie.
Bizarrement, je ne les croyais jamais. Je ne pouvais pas être belle comme Lily-belle ou comme Jade, des filles à l'école. Encore moins comme Sibylle qui était juste parfaite. Ces filles, elles avaient de beaux cheveux soyeux, un charmant sourire parfait, de grands yeux bleus ou verts et surtout, elles avaient de longues jambes de ballerine, elles savaient marcher, danser ou courir.
Impossible que je sois aussi belle qu'elles, pas avec ce fauteuil roulant encombrant, pas avec mes cheveux foncés et épais, pas avec des yeux bruns si laids et si communs. J'aurais tellement voulu naître avec des yeux bleus et des jambes valides.
Puis, brusquement, je m'étais dit qu'elles avaient peut-être raison. Aaron était venu me voir dans le couloir entre deux cours. J'étais devant mon casier en train de chercher mon livre de latin. Il se posta devant moi, un beau sourire sur les lèvres. Jamais un garçon ne m'avait regardée de cette façon. Je plongeai dans son regard envoutant et restai comme muette.
Avaient-elles raison lorsqu'elles disaient que j'étais devenue une jolie fille ? Aaron pouvait-il vraiment voir autre chose en moi que mon handicap ?
-Auréa ? J'aimerais passer plus de temps avec toi après les cours... juste tous les deux pour pouvoir se parler comme avant.
-Juste toi et moi ?
-Je tiens très fort à toi. Tu le sais, ça ? Je ne veux plus que nous soyons fâchés.
Je restai bouche bée, sans savoir quoi lui répondre. J'en étais encore scotchée par cette phrase hallucinante : je tiens très fort à toi. Je ne parvenais pas à l'assimiler.
Un garçon tenait fort à moi. Et ce n'était pas n'importe quel garçon. C'était Aaron. J'aimais sa compagnie, j'aimais son sourire, son humour, mais je sus pourtant automatiquement que je devais dire non à sa proposition. La peur me paralysait.
Allait-il encore agir comme l'autre fois avec madame Héloïse ? Allait-il de nouveau se mettre en colère pour me défendre ou pour me prouver son attachement ?
-Je ne suis pas fâchée contre toi, murmurai-je soudain.
-Si tu l'es, insista-t-il tristement. Tu as changé.
Il avait raison et ce constat me chagrina.
J'avais changé, mais c'était l'ignorance qui me faisait réagir comme cela.
Son regard intense me mit mal à l'aise. Du haut de ses dix-sept ans, j'avais l'impression qu'il m'emmenait dans un tourbillon avec lui. Un tourbillon trop fort pour moi, qui m'effrayait et qui me déstabilisait. Tout en lui m'impressionnait. Sa beauté, sa carrure, sa personnalité étonnante, prête à tout.
C'était particulièrement ce sourire étrange qui me donnait envie de l'aimer et de le fuir.
L'histoire de la canne m'avait marquée et je n'arrivais pas à l'oublier. Il était vraiment prêt à tout pour moi. Aaron était adorable, mais il était aussi instable. Je ne pouvais pas prendre le risque de rester seule avec lui, même si j'en mourais d'envie.
-Je ne préfère pas, Aaron. Je suis désolée ...
Comprendre d'un seul coup qu'Aaron avait des sentiments pour moi me perturba. Quelqu'un pouvait tomber amoureux de moi, quelqu'un pouvait me trouver belle. J'étais en train de le vivre. C'était réel.
Des rêves que je gardais tout au fond de mon cœur semblaient tout à coup possibles, accessibles. Mais étrangement, je sus au même instant que tous ces songes, je ne les réaliserais peut-être pas avec lui.
Certes, son attitude envers moi était flatteuse, mais ce n'était peut-être pas lui que j'attendais. Comment le savoir ?
-J'hallucine ! lâcha-t-il. Tu dis non ?
Je restai silencieuse face à Aaron qui était en train de bouillir de colère. Il n'acceptait pas ma réponse négative.
-C'est ta mère qui t'a retourné le cerveau ? dit-il sur un ton agressif.
-Non, je te le promets.
-Arrête de mentir.
-Je ne mens pas, Aaron.
-Je sais qu'elle me déteste. Elle est vraiment égoïste et elle ne veut pas que tu sois heureuse. Tu ne devrais pas l'écouter.
-Pourquoi parles-tu de ma mère ? C'est de nous deux qu'on parle ici, pas d'elle.
-Je parle de ta mère, car je sais que tu ne veux pas me voir à cause d'elle. Elle veut gâcher ta vie, tu sais ? Edwige aussi.
-Si tu tiens vraiment à moi, tu ne parlerais pas si méchamment de ma famille.
-Ce n'est pas méchant. C'est juste la vérité. Ta mère est une parano !
-Aaron, tu peux toujours rêver pour que j'aille quelque part avec toi. Et, je t'interdis de dire du mal de ma mère.
Aaron se calma aussitôt. Il regrettait déjà ses paroles blessantes. Je le fixai avec mélancolie. Comment devais-je réagir face à ce comportement perturbant ?
Il s'exclama immédiatement :
-Désolé Auréa.
-C'est bon.
-Je voulais simplement que tout redevienne comme avant.
Perdue, je pris mon livre de latin puis je le laissai en plan devant mon casier. Je ne savais plus quoi lui répondre.
-Moi aussi, j'aimerais tellement que tout redevienne comme avant, murmurai-je.
Il n'avait pas tort en plus, j'avais écouté les mises en garde de maman et d'Edwige, mais ce n'était pas ça qui m'avait poussé à lui dire non.
En fait, il s'était plombé tout seul à force de me suivre partout comme un petit chien, à force de réagir si vivement. Il ne savait pas se maitriser.
J'étais loin de me douter que la situation allait encore empirer.
Aaron ne pouvait que s'en prendre à lui-même. Il n'avait pas réussi à prouver que ma famille se trompait. Pourtant, j'espérais de tout mon cœur qu'elle se trompe.
Déçue par son attitude, je me rendis à mon cours de latin, la mine défaite. Cette conversation m'avait lessivée. Je n'arrêtais pas de me refaire le film dans mon esprit. Les larmes aux yeux, je penchai la tête sur mon livre pour ne pas attirer l'attention sur moi.
Si tu savais Aaron ce que je ressens pour toi.
Ses phrases résonnaient encore dans mon esprit avec puissance :
« Je tiens très fort à toi »
« C'est ta mère qui t'a retourné le cerveau ? »
« Juste tous les deux »
Si tu savais, Aaron.
Je me sentis déprimée tout à coup. J'avais juste envie de rentrer chez moi et de pleurer. De plus, je n'avais pas envie de le voir trois bancs à côté du mien avec son air de chien battu. Lui aussi était malheureux. cette situation était absurde.
Pourquoi tout est toujours si compliqué avec toi ?
Pourquoi Aaron ?
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