Chap 36: pdv Edwige (passé)

   Auréa arriva une heure en retard ce matin-là. Elle entra timidement dans la chambre de madame Edwige, certaine de recevoir une remarque blessante de sa part.

Elle ne put s'empêcher de sourire lorsqu'elle entendit la phrase suivante l'accueillir :

-Et bien ? C'est à cette heure-ci que tu daignes venir me voir ?

-Désolée madame Edwige.

-Pourquoi es-tu en retard ?Tu sais que c'est important d'être ponctuelle.

-Nous avons eu une fuite d'eau à l'appartement. Maman a dû faire venir un plombier d'urgence.

Edwige sentit son cœur se pincer. Décidément, cette pauvre Lana n'avait vraiment pas de chance.

-N'en parlons plus !

Edwige lui tendit le roman sans lui poser plus de questions. Elle la contempla avec perplexité lorsqu'elle comprit que l'enfant ne réagissait pas. Les yeux rivés vers le sol, Auréa restait silencieuse.

-Je n'ai pas très envie de lire, ce matin.

-Dans la vie, on n'a pas toujours le choix. Il faut avoir un peu de volonté !

-Je n'ai pas envie de lire ! C'est aussi avoir de la volonté, non ?

Edwige la contempla avec stupéfaction. La petite commençait à avoir de la répartie.

-Pourquoi n'as-tu pas envie de lire?

L'enfant baissa la tête en silence.

-Pourquoi, Auréa ?

-Je m'inquiète pour maman. Elle fait toujours tout ce qu'elle peut pour moi, mais nous n'avons que des galères.

-Vous n'êtes pas les seules à avoir des soucis.

-J'ai parfois l'impression que si.

-La vie n'est simple pour personne.

-Pour certains, elle l'est. Je le sais. Pour certaines personnes, tout est toujours parfait et facile.

-Pour d'autres, non.

-Je suis triste quand maman est malheureuse. C'est comme ça, je ne sais pas faire autrement.

-Tu penses vraiment que ta maman est malheureuse ?

-Oui.

-Pourquoi en es-tu si sûre ?

-Parce que la vie coûte cher, parce que l'argent ne tombe pas du ciel, parce qu'elle ne peut compter que sur elle-même. Personne ne l'aide jamais. Parce qu'elle est fatiguée et qu'elle n'a jamais le temps de se reposer, parce qu'elle a peur et que quand on a peur, on ne peut pas se sentir totalement bien.

-Je suis désolée, Auréa, mais tu dois apprendre à vivre avec tout ça. Même si c'est compliqué à gérer pour ton jeune âge.

-Je n'y arrive pas.

-Cela viendra avec le temps.

-Puisque je vous dis que je n'y arrive pas.

Auréa était au bord des larmes, elle frotta ses yeux d'un geste rapide.

-Tu y arriveras !

-Je ne parviens pas à comprendre pourquoi tout est si difficile alors que tout pourrait être si simple.

-À ton âge, je me posais les mêmes questions que toi.

-C'est vrai ? demanda Auréa.

Son visage s'éclaira enfin.

-Vous vous posiez les mêmes questions que moi ? Vraiment ?

-Oui, comme toutes les petites filles tristes qui ne comprennent pas pourquoi la vie peut faire si mal.

-Vous étiez une petite fille triste ?

-Tu as déjà ta réponse, Auréa.

Silence.

-C'est toi-même qui m'a dit que j'avais le regard de la souffrance.

-Je sais, mais l'entendre une fois de plus, cela me fait du bien.

-J'ai été une petite fille triste tout comme toi.

Auréa la dévisagea avec reconnaissance.

-Merci madame Edwige.

-Pourquoi me remercies-tu ?

-Parce que, quand je suis à la maison de retraite avec vous, je me sens moins seule.

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