Lorsque je me mis à marcher aux côtés d'Auréa, je compris qu'il n'y aurait pas de retour en arrière possible. Ma décision pèserait lourd sur ma réputation dans l'école. Marcher à côté d'elle n'était pas anodin. Je le pressentais. Auréa n'était pas n'importe quelle fille aux yeux des autres, elle était en fauteuil roulant. Ce n'était pas sans conséquence, surtout dans mon école où le paraître était très important.

Je savais que je devrais affronter certains élèves pleins de préjugés. Beaucoup étaient obnubilés par l'apparence. Ils ne se gêneraient pas pour se moquer d'elle ouvertement. De plus, dans mon école, il n'y avait jamais eu d'enfant avec un handicap physique. En tout cas, pas à ma connaissance. C'était une première. 

Je sentis les regards posés sur nous, perçus quelques gloussements. Nous ne passions pas inaperçus dans la cour. On ne voyait que nous.

Son Goku nous suivit discrètement, trois mètres derrière, blême et mal à l'aise. Il ne connaissait pas Auréa et ne comprenait pas pourquoi, d'un seul coup, je me bornais à l'accueillir et à passer du temps avec elle.

Il hallucinait que soudain je niais Sibylle, la plus belle fille du lycée. Au fond, je ne savais pas vraiment moi-même pourquoi j'agissais de la sorte. J'aurais voulu expliquer à mon pote tout ce que je ressentais, mais tout était en vrac dans ma tête. Il ne comprenait pas mes choix, mais il les respectait malgré tout. Je lui fus reconnaissant, car il ne me laissa pas tomber. Même s'il restait en retrait, il n'était pas parti en courant.

Je tournai la tête pour le regarder un instant. Il fixait Auréa avec attention, ne remarquant même pas mon coup d'œil sur lui. Il scrutait ma nouvelle amie pour essayer de comprendre ce qu'il se passait d'un seul coup dans nos vies.

Peut-être espérait-il qu'elle disparaisse comme par magie ?

Auréa roula fièrement à nos côtés, bien dans sa peau, bien dans sa tête. Elle n'avait plus l'air d'avoir peur de ce premier jour d'école tant redouté.

Étonnement, elle ne semblait pas subir son handicap. On aurait dit qu'il n'existait plus. Elle survolait le regard des autres avec classe. Rien ne paraissait l'atteindre ni lui faire mal. Elle semblait au-dessus de tout ça.

D'où sortait-elle cet aplomb, cette confiance en elle hors du commun ? Comment faisait-elle pour ignorer les sourires narquois ?

J'eus l'impression que je lui avais donné la confiance nécessaire pour surmonter ce premier jour d'école, mais était-ce vrai ? Avait-elle vraiment eu besoin de moi pour y arriver ?

Nous nous retrouvâmes tous les trois devant le bâtiment principal. Je poussai la grande porte pour lui permettre d'entrer.

Elle me fixa quelques instants avant de s'engager dans le bâtiment :

-Tu es sûr de toi, Aaron ?

Je fus surpris par sa question. Elle ne me lâchait pas du regard. Ses yeux sombres me bouleversèrent.

-Pourquoi tu me demandes ça ?

-Sans regret ? insista-t-elle.

Je lui souris sans hésiter un seul instant.

-Sans regret ! répondis-je tout en tenant la porte ouverte pour la laisser passer.