Chapitre 10 › Cliché Wattpad
Les mots ont du mal à sortir de ma bouche. Mes yeux sont écarquillés, je suis effrayé par le choc émotionnel que m'impose le visage de mon ami ensanglanté. J'ai toujours été sensible à la violence. Ça me dépasse complètement. Comment peut-on infliger autant de souffrance à un corps ?
Je suis pris d'une panique ingérable, néanmoins, je tente d'articuler quelques phrases :
— Qu'est... qu'est-ce qui t'est arrivé ? Entre, ne reste pas là !
Sans même attendre qu'il s'exécute, je saisis son poignet et l'entraîne à l'intérieur, puis je claque la porte. Gabriel est hésitant, il s'excuse sans même expliquer ce qui lui arrive.
— J'veux pas déranger ta famille, j'savais juste pas vers qui m'tourner.
— Tu ne déranges personne, t'en fais pas pour ça.
Ma voix est agitée. Je ne cesse de faire les cent pas dans la cuisine, les mains posées sur la tête.
— On devrait appeler les pompiers, soliloqué-je. Ou peut-être que je devrais d'abord appeler ma mère, elle sait toujours ce qu'il faut faire dans ces cas-là. Ouais, je devrais faire ça.
Les mains tremblantes, je récupère mon téléphone pour appeler ma mère, mais le sportif bondit aussitôt sur l'appareil. Il s'exclame tout en me l'arrachant des mains :
— Non ! Surtout pas. Ne dis rien à ta mère ni à qui que ce soit !
— T'as vu dans quel état tu es ? crié-je, les larmes au bord des yeux. Je... je ne sais pas ce que je dois faire, je suis complètement dépassé...
Les fourmillements se propagent dans chacun de mes membres. Ma vision se trouble au point où je m'assieds sur l'un des hauts tabourets de la cuisine. Je témoigne d'une main sur mon cœur ; il bat à toute allure. Là, mes coudes se déposent sur le plan de travail afin de laisser mes mains recouvrir mon visage crispé par l'anxiété qui monte en moi. Je m'exprime d'une voix cassée qui retient mon essoufflement dû à mon pouls instable.
— Je ne voulais pas.
— Quoi ? Tu voulais pas quoi, Allan ?
— Je ne voulais pas te voir comme ça. Ça me fait trop mal au cœur.
J'entends les pas du grand brun faire le tour du meuble central afin de me rejoindre. Caché derrière mes mains, je tente des exercices de respiration pour ramener la sérénité dans mon corps. Mon torse se bombe à chaque inspiration, mais je suis pris de spasmes dès que j'expire. Les courbatures dans ma nuque et mes omoplates se réveillent, preuve que je suis tendu comme je ne l'ai pas été depuis un moment.
— Tu m'en veux ? demande-t-il.
Je réponds par la négative d'un mouvement de tête.
— Tu veux qu'on fasse les cinq reconnaissances ?
La même réponse lui est transmise.
— J'peux te toucher ?
Une larme m'échappe alors que j'acquiesce à sa requête. Gabriel se positionne dans mon dos. Il passe ses bras autour de moi et encercle mon buste recroquevillé. Ses mains longent mes coudes dans une étreinte et remontent jusqu'à mes poignets qu'il agrippe gentiment. Il dégage mon visage avec douceur en éloignant mes paumes. Je peux sentir sa joue se coller contre l'une de mes omoplates, juste là où mes muscles me font souffrir.
— J'suis désolé, murmure-t-il.
Ma gorge est si rétractée qu'avaler ma salive devient une corvée. Mes yeux s'abaissent sur ses phalanges ; celles de sa main droite sont recouvertes d'hématomes et égratignées. Un sentiment atroce de tristesse me percute de plein fouet. Je retiens des pleurs et superpose ma paume sur ses doigts.
À cet instant, je prends conscience que je suis habité par une peur de l'abandon qui me dévore. Elle est là, confortablement logée dans ma pièce secrète. Elle me grignote lentement, sans faire un bruit. C'est juste assez pour me plonger dans une anxiété permanente sans que je puisse soupçonner sa présence. Mais, maintenant que je l'ai repérée, une zone d'ombre s'éclaircit dans mon esprit : j'ai peur de perdre mes proches. Voir Gabriel dans cet état a tout de suite envoyé l'information à mon inconscient que lui aussi peut disparaître de bien des manières.
Son enlacement me rappelle qu'il n'est pas prêt de sortir de ma vie. Cela dissipe peu à peu mon anxiété, au point où je peux de nouveau respirer convenablement. Identifier ce qui me tourmente est un grand pas vers l'apaisement.
L'esprit plus décontracté, je m'en vais à l'étage à la recherche de la trousse à pharmacie. Lorsque je rejoins la cuisine, Gabriel est assis sur le siège que j'occupais précédemment. Il tient son front, l'air affaibli.
— Comment tu te sens ?
— J'ai mal au crâne.
J'ouvre la boite et y déniche un médicament contre le mal de tête. Je l'accompagne d'un verre d'eau que je pose sur la table. Il l'avale d'une traite tandis que je me place face à lui ; antiseptique dans une main et compresse dans l'autre.
— Ça va piquer un peu, avertis-je alors que je prépare le tout.
— T'inquiète. Le pire est passé.
Je commence à appliquer la compresse contre son arcade et le sportif grimace aussitôt avec un mouvement de recul.
— Il va falloir que tu te laisses faire si tu veux avoir meilleure mine.
Il me lance un regard mécontent, tel un enfant qui appréhende d'être soigné. Avec un peu de patience, je finis par réussir à intégralement essuyer le sang séché et à désinfecter ses plaies.
— Tu n'auras pas besoin de point de suture, mais tu auras un bel hématome, constaté-je.
— En gros, j'suis le dark boy cliché de Wattpad.
Un rire spontané m'échappe.
— C'est tout à fait ça. Tellement mystérieux et vilain, ce Gabriel.
Je réussis à lui arracher un rictus, ma première victoire depuis qu'il est entré.
Pendant que je cherche mes plus beaux pansements, j'ose, avec une pointe d'appréhension, lui demander de se confier sur ce qu'il s'est produit :
— Je suppose que si tu es venu ici, c'est parce que tu peux me parler de ce qui s'est passé, non ?
Il détourne le regard. J'en profite pour lui coller un pansement de couleur bleu nuit recouvert de motifs de petites étoiles dessinées. Je ne peux m'empêcher d'être amusé par l'allure que cela lui donne tandis qu'il se contente de soupirer en roulant des yeux.
— Ça a dégénéré avec mon père, avoue-t-il.
Je reprends aussitôt mon sérieux et m'installe sur un tabouret face à lui afin de montrer que je suis apte à l'écouter attentivement.
— J'savais qu'il serait vite au courant qu'son fils est gay. Mais j'pensais pas que ce serait aussi rapide.
— C'est lui qui t'a..., commenté-je en observant ses hématomes.
— Ouais. Il est d'abord venu s'assurer que l'info était vraie. J'lui ai répondu que j'faisais c'que j'voulais de ma vie, mais pour mon père, être gay, c'est être une tapette. C'est la honte, tu comprends ?
Il rit jaune avant de poursuivre les explications.
— Il m'a giflé et j'l'ai repoussé. Ça a été plus un rapport de force qu'autre chose, j'suis tombé et j'me suis pris un meuble en pleine face. Après ça j'ai préféré m'barrer.
Mes traits se tordent de compassion, je suis bouleversé par l'histoire de mon ami. Son regard se voile, comme perdu dans ses pensées.
— Qu'est-ce que tu vas faire ?
Gabriel hausse les épaules, dépassé par sa situation.
— Ma mère m'a inondé d'appels. Je retournerai chez moi demain et on verra.
— Tu penses qu'il va te mettre à la porte ?
— Non. Enfin, j'en sais rien. Je suis désolé de te déranger, c'était sûrement pas la soirée à laquelle tu t'attendais.
— Tu ne me déranges pas. Tu as bien fait de venir.
Un sourire se dessine sur ma bouche alors que je pointe son pansement enfantin de mon index.
— En plus, tu as gagné un joli pansement.
Nous rions un peu, mais cette première source de joie depuis son arrivée détend l'atmosphère.
— Merci pour tout ça, dit-il subitement.
Je ne comprends pas pourquoi il me remercie dans une situation qui est, à mes yeux, des plus évidente quant à l'aide que j'ai apportée. Néanmoins, si ça lui plaît de me le dire, j'accepte ses mots avec plaisir.
Je me redresse afin de tout ranger, mais je remarque sans difficulté par le comportement hésitant et timide de l'athlète qu'il y a non-dits. Je lui laisse l'occasion de se lancer en prenant le temps de mettre la trousse de secours en ordre après mon passage hâtif.
— J'abuse peut-être, débute-t-il enfin, mais tu crois qu'je peux dormir ici ? Juste cette nuit.
Je m'arrête dans mes mouvements. Je ne m'attendais pas vraiment à une question de ce genre, car le laisser dormir implique de le laisser voir ma chambre. Pire, dormir dans ma chambre.
— Il faut que j'en parle à ma mère, rétorqué-je d'un ton hésitant.
Ma réticence se lit sur mon visage comme un livre ouvert. Sans grande surprise, il se redresse du tabouret et s'excuse d'avoir abusé de mon hospitalité, l'intonation compréhensive quant à mon embarras. Encore une fois, je me suis mal exprimé et il est hors de question que Gabriel puisse penser qu'il me dérange. De ce fait, je me place devant lui alors qu'il se rapproche de la porte d'entrée et l'arrête dans sa lancée.
— Reste, s'il te plaît. Ma mère ne refusera jamais quelqu'un dans le besoin. Il faut juste que je lui explique ce qu'il s'est passé.
Il amène une main à ses sourcils qu'il touche en soupirant. Il paraît décontenancé et épuisé, ses yeux sont rouges et vitreux.
— Ta mère est avocate, Allan. J'veux pas qu'elle sache ça.
— Alors, on va trouver une autre explication.
— J'ai bien vu qu't'as pas envie que je dorme ici et je suis OK avec ça. Ça va rien changer entre nous.
Mes lèvres se pincent, j'ai du mal à répondre sans bégaiement.
— J'ai envie que tu restes ici, en sécurité. J'ai juste des difficultés à faire entrer quelqu'un dans ma chambre. J'ai besoin d'un temps d'adaptation pour me faire à l'idée.
Je soutiens son regard qu'il a implanté dans mes pupilles. Secrètement, j'espérais qu'il reste afin de ne pas me faire de soucis durant la nuit. Je suis insomniaque, mais si en plus mes proches doivent dormir dehors, je deviendrai complètement fou.
Gabriel finit par accepter de rester, mais je lui ai ordonné de prévenir sa mère qu'il ne dormira pas dans la rue ce soir. De mon côté, j'ai appelé la mienne afin de lui raconter le monstrueux bobard concernant la visite improvisée de mon ami. Pour elle, Gabriel s'est fait pousser par quelqu'un qui lui a volé son vélo. Malheureusement, il s'est violemment cogné la tête. Le pauvre garçon est venu se réfugier à l'endroit le plus proche qu'il connaissait : chez nous. Je n'étais pas convaincu de mon mensonge, cependant elle y a crû sans que je n'aie à insister. Il y a une tonne de choses que je reproche à ma génitrice, mais le fait est qu'elle a toujours ouvert sa porte à ceux qui sont dans le besoin.
Bon, elle a tout de même imposé une condition : aller en cours demain après-midi.
Elle nous a au moins accordé le répit du matin.
Une fois cette mission accomplie, l'ambiance dans la maison se radoucit. J'observe Gabriel accrocher sa veste sur le porte-manteau de l'entrée et cette vision me provoque une brève crampe dans le ventre. À présent, je ne peux plus revenir en arrière. Ce qui n'était qu'une éventualité se concrétise : il va rester dormir à la maison.
— Tu as faim ?
— Un peu, dit-il en regagnant son siège.
— Ma grand-mère a cuisiné des lasagnes. Tu vas voir, c'est la cosa migliore che mangerai nella tua vita. | la meilleure chose que tu mangeras de ta vie
J'accentue mon italien en parlant avec les mains. Gabriel, quant à lui, se contente de lever un sourcil.
— J'ai rien pigé à ton charabia.
Un rire s'extirpe de mes lèvres.
— Tu comprendras quand tu auras goûté.
Je me hâte d'ouvrir le four, heureux de constater que les lasagnes n'auront pas besoin d'un autre coup de chauffe. Avec précaution, je sors le plat afin de le poser dans un coin adapté et m'empresse de dresser une table pour nous deux.
La porte d'entrée s'ouvre subitement lorsqu'Adeline revient de chez ses amis. Son arrivée laisse passer un courant d'air frais. Avec tout ça, le temps s'est écoulé sans que je ne puisse le voir. Elle retire son long manteau violet foncé et constate sans attendre qu'une veste inhabituelle s'est rajoutée aux nôtres.
— Allan ! Tu es avec un ami ? crie-t-elle, pensant sans doute que je suis dans ma chambre.
La réponse à sa question lui saute aux yeux dès qu'elle se retourne en direction de la cuisine, après avoir enlevé ses chaussures.
— Ciao Nonna. Je te présente Gabriel, un ami de l'école.
Ses yeux deviennent des fentes. Je savais pertinemment qu'elle serait déstabilisée par notre invité surprise. Elle enfile ses chaussons avant de faire le tour et s'approche du sportif pour mieux distinguer son visage.
Gabriel aussi semble déstabilisé. J'ai envie de rire en voyant qu'ils se découvrent l'un l'autre avec autant de timidité et de curiosité ; comme s'ils découvraient un membre de leur espèce pour la première fois.
— Bonsoir, madame.
La voix de mon ami est anormalement plus aimable.
Adeline attrape ses lunettes qui pendent autour de son cou et les place sur son nez. Elle détaille le grand brun, qui se met aussitôt à rougir de gêne.
— Chi è l'idiota che ha rovinato questo bel viso senza vergognarsene ?
Je retiens un fou rire. Non pas à cause de ses mots, mais parce que mon ami n'y comprend absolument rien. Son visage affiche une mine perplexe, il ne sait pas s'il doit sourire ou se sentir offensé. Ses yeux divaguent de ma grand-mère à moi.
— Elle a dit quoi ?
— Elle a demandé qui était l'idiot qui a abîmé un si beau visage sans en avoir honte.
Il décide finalement de sourire.
— Tu lui as donné à manger à ce pauvre garçon ?
— On allait passer à table.
— Mangerai le mie lasagne senza un'insalata fresca ? | Tu vas manger mes lasagnes sans salade fraiche ?
Je fais les gros yeux comme pour indiquer à Adeline qu'elle en fait trop.
— C'est pas un drame, Nonna.
— Qu'est-ce qu'il faut pas entendre ! s'exclame-t-elle en levant les bras en l'air comme pour accentuer son aberration.
Je lève les yeux au ciel tout en attrapant une spatule afin de servir une part dans chaque assiette. Quant à Adeline, fidèle à elle-même et malgré l'approche des vingt-deux heures, elle s'empresse de sortir une salade du frigo pour que l'on puisse la manger en même temps.
Gabriel et moi échangeons un regard amusé par la situation. Discrètement, je lui chuchote une astuce pour se faire bien voir :
— N'oublie pas de lui dire que ce sont les meilleures lasagnes que tu as mangées de toute vie.
Il lève un pouce en l'air. Le journal du jour percute mon crâne, je suis attaqué par l'arrière.
— Ce n'est pas parce que je suis vieille que je ne t'entends pas !
Je grimace ironiquement, mimant un « oups » avec mes lèvres.
Durant le repas, Gabriel ne manque pas d'avouer à Adeline que ses lasagnes sont extraordinaires, mais que sa salade l'est encore plus. Assise à nos côtés, une tisane entre les mains, elle roule des yeux avant de nous sourire.
Je suis content qu'elle puisse le rencontrer. Cette idée me trottait dans la tête depuis quelque temps. Ils s'entendent bien. Le ventre plein, je les écoute discuter de diverses choses. Adeline lui parle de l'Italie, de son arrivée en France quand elle avait vingt-trois ans, et le grand brun est attentif, donne son avis sur les villes qu'il a déjà visitées en étant plus jeune. Rome, Milan, Venise... Les bases touristiques. Ça m'est complètement égal de l'endroit, puisque ce soir je découvre une nouvelle facette de lui. Plus lumineuse, malgré la teinte violette que prend sa peau, due au choc de sa soirée tumultueuse.
Puis, vient le moment où Nonna annonce qu'elle va se retirer devant la télé. Ce qui signifie que nous allons monter dans ma chambre. Cette pièce qui, jusqu'à présent, était le dernier sanctuaire où je pouvais intimement retrouver Vincent.
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