Épilogue › L'étoile noire
Vincent Belvio
Je t'ai encore menti, Allan.
J'espère que tu pourras me le pardonner, de t'avoir forcé à sortir de chez toi alors que je ne fais que m'éloigner.
L'Eurostar ouvre ses portes et les voyageurs de la Gare du Nord se précipitent dans leurs wagons attitrés. Ce n'est pas le moment que je flanche, maintenant que mes valises ont été enregistrées et que mon passeport a été contrôlé. C'est juste que je ne peux pas m'empêcher de t'imaginer chagriné de ne pas me voir arriver. C'est au pied de cette église où nous nous sommes aimés que j'ai décidé de te délaisser. Ce choix m'a déchiré, mais je dois empêcher nos monstres de nous dévorer.
Ça m'a pris du temps pour te trouver.*
Je sais que j'ai merdé, que j'aurais dû te parler de mes secrets. Notre dispute a rouvert des cicatrices que je pensais pouvoir éponger.
— Monsieur, l'Eurostar va partir. Vous entrez ?
J'ai les tripes en bordel alors que les portes se referment après moi, elles claquent dans un bruit qui fait voler mon cœur en éclats. J'erre dans les allées, cherchant un stupide numéro imprimé sur un bout de papier alors que je sais très bien où je dois me placer.
Ma place, elle est auprès de toi.
Je n'étais qu'un effacé, une particule de poussière dont le monde n'a fait que se moquer. J'ai fait ce que l'on attendait de moi, j'ai souri lorsque j'avais envie de pleurer, j'ai avorté de mes rêves. Maman me disait de ne pas l'oublier, qu'elle avait besoin de moi. Elle pleurait pendant que je m'en voulais d'être né.
J'ai toujours donné toute ma lueur et je n'ai gardé que ma douleur.
Je ne suis pas né sous une bonne étoile. Je suis devenu une étoile noire, elle guide ma vie vers des tréfonds où logent mes démons.
Mais toi, tu m'as donné toute ta lumière sans même négocier.
Toi, tu m'as permis de briller pour la toute première fois.
Je rabats ma capuche sur mes cheveux mouillés par la pluie, mes joues sont inondées par nos souvenirs.
Partout où tu voudras que je t'emmène, j'irai.
J'ai pris un aller sans retour. À trois cents kilomètres-heure, mon cœur quitte la France, laissant derrière lui tout ce qui faisait que j'avais de la chance. Je me lance dans ce tunnel sous la Manche, semblable à toutes mes nuits blanches. Je ne suis plus qu'un gouffre qui ne cesse de se creuser, un homme que l'on parcourt en surface parce qu'on a peur d'en voir l'abîme.
Je regarde un couple s'embrasser dans le reflet de la vitre et je nous revois en boîte de nuit. Je n'ai rien oublié de tes lèvres salées par la sueur dévorant les miennes, de tes cheveux collés contre ton front et ton odeur de violette qui me rappellent sans cesse que tu n'es pas qu'une simple amourette.
Je n'ai jamais rien connu d'aussi fusionnel. En t'embrassant cette première fois dans ce champ, l'orphelin que j'étais a trouvé son chez lui. Pour moi, c'était un coup du destin, j'étais enfin sur le bon chemin.
Chaque lendemain, j'avais envie de voir ton sourire, le soleil sur ta peau, la lueur dans tes yeux lorsque tu ris, le sable collé à tes jambes et tes cheveux dans le vent. J'avais envie de toucher le creux de ton dos, le bout de tes doigts que tu mutilais, la pilosité de tes cuisses et la douceur de tes joues qui rougissent. Je désirais entendre ton rire, le calme de ta respiration lorsque tu dors, mais aussi ta voix qui murmure dans mon cou. Je voulais sentir ton parfum et le sel de la mer sur tes épaules. Et, par-dessus tout, je voulais continuer à goûter tes baisers.
Mais il y a certaines choses qui me concernent que tu ne connais pas.
La lampe au-dessus de ma tête crépite, le paradis éteint mon auréole que je troque contre la couronne de mon royaume à pandémonium. J'ai éteint mon téléphone pour que tu ne puisses plus me joindre. Je ne peux pas entendre ta voix me supplier, je dois d'abord m'affronter afin de pouvoir mieux t'aimer. Je veux t'offrir un amour qui ne te forcerait pas à t'enfoncer des aiguilles sous les ongles.
Parfois, je tombe dans de mauvais travers qui ne me ressemblent pas forcément, des moments où je sens que ma peau a tellement de fois encaissé les coups que j'en ai la chair qui se casse la gueule. Mais je tiens le coup. Je tiens le coup tellement fort que je fais voir aux autres ce côté solaire et ferme à la fois, ce côté de moi qui donnerait envie de me coller des claques dans la gueule avant de m'embrasser jusqu'à en perdre haleine. Je peux avoir des paroles acides. Des paroles que tu savais adoucir.
J'agis comme si je cherchais à me bousiller le cœur, comme si je cherchais à me convaincre que la meilleure des solutions serait que ce dernier connaisse un point final, mais certainement plus de virgules.
Si je te disais où j'ai été
M'appellerais-tu encore chéri ?
Sous mes paupières endormies se redessine la nuit noire. Je viens d'avoir mon permis. Je conduis une vieille caisse que ma mère m'a offerte. La musique est forte, elle est exactement comme j'aime l'écouter et résonne dans l'habitacle que j'élance sur une route paumée.
Je tremble d'une liberté que j'ai tant désirée, loin de mes responsabilités d'aîné.
Tu sais, j'ai attendu ça durant des années, ce moment où je peux m'envoler...
Je ne désirais que rouler, avec la crainte de me faire rattraper.
Alors, je roule vite.
Je ne détourne les yeux qu'une seconde et le véhicule ne devient plus qu'un accordéon qui joue les dernières notes d'un condamné. Les pneus se décollent du bitume et c'est comme si le tourbillon de la vie dans lequel nous avons embarqué ralentissait.
Je tends le bras vers Simon tandis que j'entends le bruit de la tête de Gabriel heurter la portière.
J'ai le cœur qui lâche et une pensée me pourchasse :
Il est mort.
Alors, je me penche vers mon petit frère pour le surplomber et l'abriter, mais la voiture touche une fois le sol et me repousse en même temps que le pare-brise éclate. Je perds le contrôle de mon corps qui est ballonné par la gravité lorsque le véhicule rebondit encore une fois sur le sol. Ça m'en coupe le souffle avant que mon crâne cogne contre le volant et me plonge dans l'obscurité.
Tout est silencieux, même la nature n'ose pas se manifester. Il n'y a que cette brise caressant mon visage qui me ramène à la vie dont je veux me désister.
Mes paupières sont lourdes, j'ai mal à la tête. Ma vision est troublée par du sang qui goutte de mon cuir chevelu. La voiture est sur le toit, elle a mis mon cœur à l'envers. Je veux bouger, mais j'ai du mal à respirer, un bout de verre est planté dans mon torse et vient d'éteindre toute la lumière qu'il me restait.
Je tourne la tête, Simon est passé par la fenêtre.
Les larmes montent aussitôt, et je pense encore :
Il est mort.
Puis je hurle.
La douleur de ma blessure ne me permet pas de me retourner, je tends la main vers l'arrière et supplie :
— Gabi ! Gabi, dis-moi que t'es vivant, dis-moi que t'es vivant !
Mais aucune réponse.
Au loin, j'entends la sirène des pompiers. Alors, je tourne la tête vers la route dont nous avons été expulsés, cette route qui devait être ma liberté, et découvre que ce que j'ai percuté n'était pas des sangliers, mais mon bien-aimé.
Celui que je tue dans mes cauchemars, c'est toi.
— Monsieur ?
Je suis secoué.
— Monsieur, il faut vous réveiller...
Je sursaute après une énième bousculade, le cœur battant et le front suant. J'ai du mal à me resituer face à la jeune femme qui vient de me sortir de ce cauchemar qui ne fait que de se répéter.
— Monsieur, nous sommes arrivés en Gare de St Pancras, au Royaume-Uni.
J'exhale un soupir de soulagement d'être enfin sorti de cet enfer qui habite dans ma tête.
— Sorry, merci de m'avoir réveillé.
Mon cœur est né d'un feu.
Londres regorge de touristes. Je n'y ai pas mis les pieds depuis que je suis venu au monde. Je traverse la gare à l'architecture victorienne et slalome entre les voyageurs. Je lève les yeux vers la verrière en fer forgé qui retient les étoiles au-dessus de nos têtes avant de rejoindre l'extérieur où le centre de la ville est animé.
Je hèle un taxi qui s'arrête. Dans la poche de mon sweat, je sors un bout de papier avec une adresse indiquée. J'ai dû vivement la négocier. Je me sens fou d'y aller, mais c'est le seul moyen que j'aie trouvé pour apprendre à m'aimer.
Je ne voulais pas t'abandonner, mais j'ai des choses à régler. Je suis né d'un feu qui n'a fait que de me brûler. Il m'a consumé au point où je n'ai aucune idée de comment je dois m'y prendre pour m'apprécier, moi qui ai été rejeté. On ne m'a jamais appris ces trucs-là. On ne m'a jamais appris à m'estimer, mais j'ai rapidement découvert comment me détester.
On a troqué mes jouets contre de la culpabilité et, à présent, l'enfant que j'étais a besoin de se réconcilier avec l'adulte que je deviens.
La voiture s'arrête juste devant la porte souhaitée. J'observe le quartier que j'ai tant de fois imaginé. Les maisons sont quasiment toutes accolées les unes aux autres. Chaque façade à une couleur vive et des pots de fleurs sont exposés sur les trois escaliers qui mènent au palier. Je découvre l'envers du décor, je ne savais pas que la mort pouvait avoir un nid aussi douillet.
Je sors alors que la pluie se remet à tomber. Toute ma vie est rassemblée dans une valise à mes pieds.
Le cœur agité, je frappe d'un poing ferme et de trois coups à l'aide de la poignée.
De l'autre côté du battant, une gorge se racle et des pas se font pesants. J'ai du mal à respirer par le nez, j'entrouvre à peine la bouche, chacune de mes expirations fait trembler mes lèvres. J'ai un vertige quand ce qui nous sépare se déverrouille et s'ouvre après une pointe d'hésitation.
Mais j'ai des histoires que je pourrais te raconter,
si je le voulais.
Je lève les yeux et un rictus se suspend aussitôt au coin de mes lèvres. L'homme sur le seuil détient la même touche orangée que tu décrivais dans mes yeux.
— Hiya, Papa.
Je t'ai encore menti, Allan.
J'espère que tu pourras me le pardonner.
✦
*Les paroles dans ce chapitre font référence à la chanson Dark Star, de Jaymes Young.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top