Chapitre 7 › Le condamné à être
Roxanne m'a évidemment présenté aux différents vacanciers, un calvaire qui a mis mon anxiété à rude épreuve durant quelques jours. De ce que j'ai appris, Nicolas et Camille font partie d'un club de football. Quant à Gabriel, je savais déjà qu'il occupait la place de capitaine de l'équipe. En revanche, je ne l'imaginais pas aussi hautain. J'ai aussi fait la connaissance de Maxence, un garçon fanatique de jeux vidéos, du moins, c'est ce que laissent présumer ses tee-shirts qu'on pourrait qualifier de geek. J'ai cru comprendre qu'il est également le meilleur ami de Nicolas depuis le collège. Dans le clan des filles, seule Jade a été conviée. C'est littéralement celle de tout le lycée qui s'expose le plus sur les réseaux sociaux, on ne peut pas ne pas savoir qui c'est. Reste à savoir pourquoi Roxanne l'a invitée alors que je ne les ai jamais vues ensemble, ni avec les autres d'ailleurs.
En même temps, je ne suis plus vraiment à jour depuis un an...
En ce qui concerne Vincent, les présentations ont été extrêmement gênantes. Roxanne paraissait ne pas savoir que l'on s'était déjà parlé et cet abruti a immanquablement fait comme si de rien n'était. Je ne l'ai recroisé que peu de fois après ça. Depuis, nous n'échangeons que quelques salutations, par simple politesse. Parfois, il ne daigne même pas lever les yeux vers moi. Après l'épisode de la farine, je me sens comme un fantôme, sans intérêt. En soi, il fait exactement ce que j'attends de lui. Alors, pourquoi son attitude me dérange ? C'est ce que je voulais, être oublié et transparent !
Hier encore, le groupe s'est réuni sur la plage afin de profiter de la chaleur que nous offrait le soleil. Pour ma part, j'ai retrouvé mon petit coin paisible pour continuer à lire sans être dérangé. La seule fois où j'ai volontairement redressé le bout de mon nez de mes pages fut pour examiner les autres jouer au volley-ball. J'ai eu plaisir à voir les filles tout tenter pour décrocher la victoire contre les garçons, riant dans mon coin. Au loin, Vincent, n'a pas cessé de me lancer des petits regards vacants. Puis il est gentiment venu me demander si j'avais envie de me joindre à eux. J'ai préféré faire le sourd en plaçant mes écouteurs dans mes oreilles.
Je dois sans doute le soûler. N'importe qui aurait été ulcéré par mon comportement. À présent, il me le fait payer en me faisant subir la même torture que j'ai pu faire à Roxanne en débarquant ici : il m'ignore.
Foutu karma !
***
Pour quelqu'un qui voulait passer inaperçu, je réussis à m'enrôler au sein du groupe sans trop en dire sur moi. Grosso modo, je trouve enfin un équilibre entre ma promesse et mon besoin de tranquillité : je participe aux événements que nous organisons tous ensemble et, en contrepartie, j'ai le droit de plonger le nez dans mon livre lorsque ça me chante.
Tous sont avachis dans les sofas du salon, tandis que je reste dissimulé comme une ombre derrière les pages de mon livre. Néanmoins, je suis un petit curieux qui n'accepte d'entendre que ce qu'il veut bien. Je tends l'oreille lorsque mes amies prennent la parole, analysant si chacune de leurs anecdotes concorde avec ce qu'elles m'ont déjà relaté.
Je suis pris d'un sursaut quand Solène se redresse du canapé en criant :
— Camille, mets plus fort ! C'est ma chanson !
Le volume de la musique augmente et mon sang ne fait qu'un tour. Le changement d'ambiance m'incite à fermer mon bouquin en y coinçant mon pouce entre les pages pour ne pas perdre mon repère. J'observe Solène danser. Elle est le genre de personne qui possède beaucoup d'assurance, qui dégage un sentiment de bienveillance, quoi qu'elle fasse. Elle est cool, comme je ne le serai jamais. Son verre levé vers le ciel, elle bouge son corps et balance ses cheveux noirs, relevés en une queue de cheval, en rythme avec la musique. Ses lèvres miment les paroles de la chanson. Elle sait ouvrir les festivités, une qualité que je lui envie. Même Gabriel, l'arrogant, se laisse entraîner. C'est un grand brun à la silhouette bien dessinée par le sport, aux cheveux sombres et à la coupe undercut. Je n'y avais jamais prêté attention avant, mais son sourcil droit est coupé par une cicatrice.
Je me laisse porter par la tournure des événements. Un instant, j'en oublie tous mes tracas. Je m'autorise à lâcher prise sur ma phobie sociale afin de simplement vivre le moment présent. Du moins, j'essaie.
Une nouvelle chanson se lance et Solène se précipite pour saisir l'une de mes mains, me suppliant de me laisser entraîner dans la danse :
— Allez, Allan, viens danser avec moi !
Elle me tire vers elle, mais je m'efforce de rester à ma place.
— Je ne sais pas danser, déclaré-je timidement.
— Ce n'est pas grave, je vais t'apprendre !
Les mots me manquent, je reste figé dans mon refus. Elle comprend que je ne suis pas à l'aise et, de ce fait, s'assied à mes côtés. Chantant les paroles à tue-tête, elle me bouscule de ses épaules afin de me motiver à l'imiter. Pour ça, je me laisse entraîner dans ses filets et m'exécute. J'aurais cru me sentir vulnérable dans un moment pareil et je l'aurais sûrement été si j'avais été seul dans ma frénésie, mais elle est là, et nous nous offrons un temps d'amitié unique. Ensemble, nous parodions la chanson avant de conclure par une explosion de rires à l'unisson.
Pour la première fois depuis des lustres, je me sens comme quelqu'un de tout à fait normal. Je laisse la vie s'emparer de moi et cela s'en ressent puisque mon livre se retrouve abandonné sur le rebord du canapé.
Voyant que je m'ouvre au monde, Gabriel s'installe sur le fauteuil juxtaposé à mon divan et me montre du doigt la glacière installée non loin de lui.
— T'as rien à boire ?
— Je ne me suis pas servi, énoncé-je doucement.
Gabriel pouffe.
— C'est quoi cette excuse ? Suffit de demander ! Dis-moi c'que tu veux.
Sans y réfléchir, j'annonce un soda. Je fuis son visage, j'ai du mal à le regarder sans fixer sa cicatrice.
Même Maxence, le plus insouciant de la bande, vient s'asseoir contre l'accoudoir du canapé sur lequel je suis installé pour faire la conversation. Il porte une casquette noire délavée avec le logo d'une console, qui dissimule ses cheveux châtains coupés court. Il a du mal à articuler et ses pupilles sont dilatées. Par moment, il s'arrête net dans ce qu'il dit et se met subitement à rire. Malgré moi, la situation m'amuse.
Je l'écoute tout en sirotant ma boisson, mais je ne comprends rien à ce qu'il me raconte. Je sais juste qu'il a cette fâcheuse tendance à me tapoter l'épaule quand quelque chose le fait rire, et que ce garçon a clairement une appétence pour le mot « mec » et les « tu vois ». Il les prononce à l'excès en trois phrases échangées.
C'est au tour de Jade de s'installer à mes côtés. Ces apparitions soudaines commencent à m'oppresser. C'est trop d'un coup, mais je tente de rester serein. Tout a l'air tellement facile pour eux, ça les rend conviviaux. Et il y a moi, l'intrus, le trouillard, l'imposteur.
De loin, j'aperçois Vincent discuter en compagnie de Roxanne, constatant qu'il a tendance à poser sa main sur son ventre lorsqu'il éclate de rire. Ce détail me provoque un rictus, jusqu'à ce que Maxence me ramène à lui en posant sa main sur mon épaule.
— T'as forcément un talent, mec, tu vois ?
De quoi on parlait, déjà ?
— Ah, ouais, répliqué-je, sûrement.
— Moi, tu vois, je suis un tueur aux jeux vidéos !
Nicolas rit, et rectifie son ami :
— Pas du tout. T'es même carrément nul, sauf à Fifa.
J'ouvre la bouche pour répondre, mais Maxence intervient à nouveau :
— Fais pas ton timide, mec, révèle au monde ton talent ! Comment tu veux que l'univers te remarque si tu te montres pas ?
J'hésite un instant, puis me confesse :
— Je suis doué en dessin. Enfin, je crois.
— T'es donc un artiste, jauge-t-il. Je m'en doutais, t'as un peu cette vibe de l'artiste torturé. Je suis sûr que tu déchires, mec !
Jade se rapproche tout à coup de moi, pose sa main sur l'avant-bras qui maintient mon verre et s'invite à la conversation :
— Montre-nous une de tes œuvres, je suis curieuse.
J'ai une sorte de bégaiement en la voyant. Ses yeux sont maquillés de traits d'eyeliner qui font ressortir ses cheveux auburn. Les contacts physiques ont tendance à me mettre mal à l'aise. Son regard est insistant, elle attend une réponse.
Je bafouille :
— D'a... d'accord, tout de suite ?
— Pourquoi attendre ?
— O... OK, je dois avoir quelque chose sur mon téléphone.
Mes mains trémulent alors que je déverrouille ce dernier et fouille dans ma galerie photos. Je cherche quelques exemples à leur montrer, mais mes dessins me semblent soudainement médiocres.
— Je fais des portraits et de l'anatomie, précisé-je avec modestie.
Je panique sous l'effet de ses doigts qui se resserrent autour de mon avant-bras. Au hasard, je choisis un croquis et lui expose l'écran sous les yeux. Elle m'arrache mon portable et s'exclame comme si elle était réellement étonnée que je sache faire quelque chose de mes mains. Maxence m'écrase presque en se penchant vers elle afin de voir l'œuvre à son tour. Même lui n'en revient pas que je sois l'auteur de quelques portraits et gribouillages réalistes effectués au crayon de papier.
— Mec, tu déchires grave ! Tu pourrais me dessiner ?
Je lâche un rire presque gêné. Il m'accable de questions et me propose de me faire de la pub sur ses réseaux sociaux, ce que je refuse poliment.
J'en oublie que Jade tient mon téléphone entre ses mains, le bruit de ses ongles claquant contre mon écran m'est d'un seul coup devenu inaudible. Je suis pris par le discours du footballeur qui insiste pour que j'expose mes œuvres sur Internet. Il essaie de négocier toutes sortes d'accords pour que je cède.
Mon corps est soudainement opprimé quand la voix maniérée de Jade, résonnant à travers la pièce commune, me glace le sang. Elle expose mon écran à la vue de tous, et déclare de but en blanc :
— Petit cachottier, tu t'es bien gardé de nous dire que tu dessines des coquineries !
Aucun son ne peut sortir de ma bouche, la pression monte d'un coup de mes pieds jusqu'à mon crâne. Je suis pétrifié, le regard figé sur le dessin représentant deux hommes nus côte à côte.
Un rictus à sa bouche, elle demande :
— T'es gay ?
— Non ! réponds-je aussitôt.
— Et en plus, surenchérit-elle, t'assumes pas le fait que t'es gay.
Elle a profité de mon moment d'inattention pour faire défiler les photos et, ainsi, constater que je dessine essentiellement la gent masculine. De ce fait, elle en conclut que je suis homosexuel.
Mon cœur s'emballe dans ma poitrine, je ne suis pas certain de pouvoir bouger. Gabriel, sur qui je pensais avoir eu un mauvais jugement, est le premier à grimacer en regardant la nudité de mes esquisses, apparemment très réalistes.
Il vocifère, le visage pris par le dégoût :
— Dégage ces horreurs de ma vue ! C'est dégueulasse.
Il recule sur son siège et ne daigne même plus poser les yeux sur moi, détournant la tête. D'un geste vif, j'arrache mon téléphone des mains de Jade. La honte me submerge, l'envie de pleurer m'assaille. Je ne sais pas quoi faire ni comment réagir, je reste stoïque face aux regards accusateurs qui me fixent. Maxence se met à rire, il n'évalue pas la gravité de la situation et me tapote l'épaule avec la même fermeté qu'il a déjà pu avoir à mon égard.
— C'est pas grave, mec, s'esclaffe-t-il en minimisant, moi j'ai rien contre ça, tu vois ?
Tout sourire, il me tend son joint qui a l'odeur nauséabonde.
— Tiens, prends ça pour te détendre.
— Je ne fume pas cette merde, mec, grommelé-je tout en repoussant son bras.
Quant à Jade, un petit rictus sardonique est niché sur ses lèvres maquillées, comme si me voir humilié lui faisait plaisir . Poussé par la puissance qu'apporte un effet de groupe, Gabriel rétorque à mes derniers mots :
— Attention, il pourrait griffer, ce chaton.
Ça fait rire quasiment tout le monde, sauf moi.
— Tais-toi, Gabriel ! conteste Solène. Tu ne le connais pas, aucun de vous d'ailleurs !
L'athlète étouffe un rire, puis réplique trop calmement :
— Pas besoin d'le connaître. Les gens dans son genre, à s'isoler à la moindre occasion ou à tout observer sans rien dire, ne sont ni plus ni moins qu'des dégénérés.
Mon monde se rétrécit, je sens les fourmillements crapahuter en moi à la vitesse d'un manège à sensation.
J'ose regarder Vincent qui ouvre enfin la bouche après s'être fait discret toute la soirée :
— Pourquoi ce comportement dodgy*, Gabriel ? Être homophobe, c'est démodé. Fait attention à ne pas tacher ta réputation, champion.
Gabriel se relève aussitôt et s'avance d'un pas menaçant jusqu'à surplomber Vincent qui reste assis et détendu, aucunement intimidé. Un sourire orne même ses lèvres.
Le ton âpre, le sportif rétorque :
— J'ai déjà du mal à supporter ta présence, alors si j'étais toi, je fermerais ma gueule.
Roxanne s'interpose :
— Stop ! Ça suffit, vous deux ! Si j'avais su que vous pouviez pas vous voir, j'aurais évité de vous inviter en même temps, mais maintenant que vous êtes là, faites un effort !
L'un de ses bras est étendu sur le dessus du canapé et fait croire à un semblant d'étreinte entre elle et Vincent. Elle n'a prononcé aucun mot pour me défendre et son visage reste inexpressif. Pourquoi est-ce qu'elle ne réagit pas à mon sujet ?
Je commence à me lever, jusqu'à ce que mon amie daigne enfin m'adresser la parole. Elle, tout comme Solène, va prendre mon parti, c'est sûr.
— C'est bon, Allan, reste, lance-t-elle nonchalamment, fait pas ton rabat-joie. Vous êtes tous relous, là !
Je la foudroie du regard, déçu par ses propos :
— Comment est-ce que tu peux me dire ça, Roxanne ?
— Ne le prends pas mal, mais c'est pas grave que tu sois gay. Je m'en doutais un peu.
Elle quoi ? Je dois être dans un énième cauchemar !
— Mais oui, arrête ton drama ! surenchérit Jade. N'écoute pas Gabriel, c'est un con. J'ai plein d'amis LGBT, tu sais. Je m'en fous que tu sois gay, je plaisantais.
La colère monte dans mon plexus. Je ne comprends pas ce qu'il prend à Roxanne d'être de leur côté. Ainsi, j'objecte :
— Je ne suis pas gay ! Et je ne suis pas un dégénéré non plus, je... j'ai...
— Tu... quoi ? insiste la blonde, tandis que je perds mes mots.
— C'est juste que j'ai... je...
Ferme-la, Allan, ne dis rien, ils ne vont pas comprendre.
Ma respiration se hache au fur et à mesure que je retiens mes larmes. Son rejet me blesse, je ne me suis pas senti aussi seul depuis une éternité. Le fait que je dessine des hommes ne définit aucunement qui je suis, encore moins mon orientation sexuelle.
C'est ce que j'aurais voulu dire, ce que j'aurais dû dire, mais l'oppression dans ma poitrine m'en empêche. J'ai l'impression d'être dans un cauchemar. Elle est ma meilleure amie, pourtant, elle aussi baisse les yeux dès que je la regarde.
Sous le regard hilare d'une majorité des convives, je décide alors de m'éclipser jusqu'à ma chambre, sans oublier mon livre sur le rebord du canapé. Mon corps s'abat contre la porte que je viens de claquer. Mes poumons quémandent de l'air.
Malgré que je me sois retiré, ils continuent de parler de ce qu'il vient de se produire. J'entends la voix rauque de Gabriel se gausser à mon sujet :
— Il a un souci, ton pote. Faut qu'il s'détende.
Mon dos glisse contre le battant, je me retrouve accroupi, les mains sur les oreilles. J'aimerais ne plus les entendre, mais je ne peux m'empêcher d'écouter dès que je devine la voix de Roxanne, espérant, encore, qu'elle réagisse enfin.
— C'est depuis qu'il n'est plus avec sa copine, il a complètement déraillé ! Je ne sais pas ce qu'il a, ne faites pas attention à lui. De toute façon, il ne s'intéresse qu'à sa petite personne.
Mes larmes coulent toutes seules. Solène s'oppose néanmoins à notre amie :
— Arrête, Roxanne ! Tu vas trop loin.
— Toi aussi, tu m'as dit que tu le trouves changé.
— C'est le cas, mais je ne lui ai jamais manqué de respect, contrairement à toi, rétorque Solène. Allan est mon ami.
Roxanne se tait, contrairement à Maxence, qui surenchérit :
— Ah, alors il est pas gay ! C'était qui, sa meuf ?
Il a enfin réussi à aligner une phrase sans son stupide tic de langage. Roxanne est peut-être influencée par cette bande d'hypocrites, mais je suis certain qu'elle n'oserait jamais me trahir au point de révéler le nom de celle qui m'a piétiné le cœur.
— C'est Clémence Menier.
J'étouffe un sanglot. Le groupe semble avoir une réaction d'étonnement à l'entente de ce nom. J'ai besoin d'air, car la crise d'angoisse est, de toute évidence, inévitable.
Je me précipite vers la porte vitrée de ma chambre et l'ouvre pour rejoindre un coin de verdure derrière la maison. Je me sens vide, en perte de repères. Je ne savais pas que l'amitié pouvait faire autant souffrir. Je devrais relativiser, au lieu de ça, je m'enferme dans l'étreinte de ma crise.
— Cinq choses que tu peux voir.
Je m'efforce de fixer mes yeux humides sur la mer à l'horizon, ça fait un. Je glisse ensuite mon attention sur la lune apparente dans le ciel, puis je tourne le regard vers ma chambre à peine éclairée derrière moi et les pots de fleurs sur la terrasse. Enfin, je regarde la ville éclairée à l'horizon et reste quelques secondes à la contempler avant de continuer.
— Quatre choses que tu peux toucher.
Mon regard s'abaisse sur le bouquin que je tiens. En le manipulant, je remarque que l'une des pages est déchirée, d'autres cornées. Je n'aurais jamais dû le négliger pour ces êtres infâmes. Je m'en veux, j'ai abîmé une partie de moi en voulant être quelqu'un d'autre, pour être apprécié. Je termine l'exercice en touchant l'herbe sur laquelle je me laisse tomber, je caresse le tissu de mon jean et, enfin, la peau de mon visage, qui me donne l'impression de disparaître sous mes doigts.
— Trois choses que tu peux entendre.
Je me concentre pour dénicher les bruits nocturnes et je perçois les rires des habitants du chalet qui ont repris la fête, puis la musique. Je tends l'oreille, mais rien d'autre ne me vient. À part les battements de mon cœur meurtri dans ma poitrine. Pour ce soir, il compte pour le troisième.
— Deux choses que tu peux sentir.
L'odeur des algues me parvient. Je pourrais me servir de mon livre, mais j'ai peur qu'il sente le joint que Maxence a fait circuler. Je ferme les paupières et je hume alors les embruns, emportés par une légère brise.
— Une chose que tu peux goûter.
Je me suis incontestablement apaisé, malgré les fourmillements qui ne quittent pas mes membres. Le bout de ma langue lèche les perles salées échouées à la commissure de mes lèvres. Voilà une autre crise à peu près maîtrisée, pour autant elle ne sera pas sans dégâts corporels et émotionnels et peut resurgir à tout moment.
Ma mère avait raison, les gens se servent toujours de nos faiblesses.
Je prends une grande inspiration, quand un claquement me fait subitement sursauter. Je me redresse et opère un demi-tour à la recherche du bruit. Je relève la tête vers l'étage, la porte vitrée semble entrouverte. Je fouille le coin du regard, mais je n'entrevois personne.
C'était sûrement qu'un coup de vent.
Exténué par mes ressentis, je regagne ma chambre d'un pas nonchalant. Il n'empêche qu'un détail m'interpelle.
Par terre, juste en dessous du balcon, j'avise un mégot que je ramasse.
Il n'était pas là tout à l'heure.
✦
*Suspect, douteux, louche
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