Chapitre 41 › Place de l'Église

Tout ce qui m'obsède, c'est de savoir ce que fait Vincent à cet instant. Est-il bien rentré chez lui ? Est-il heureux de retrouver sa chambre, sa mère et ses repères ? Et surtout, est-ce que je lui manque autant qu'il me manque ? Toutes ces questions et un milliard d'autres ne font que se répéter dans ma tête.

Ces vacances me paraissent n'avoir été qu'un rêve, le retour à la réalité est plus compliqué que je l'avais envisagé au départ.

Je frôle les dalles qui mènent à mon adresse, à cette maison que j'ai oubliée et ces habitants qui ont fini par ne plus me manquer. Ce n'est que lorsque je me retrouve planté face à la porte de chez moi que je prends conscience que je suis à nouveau seul, sans lui. Toutefois, il me tarde de revoir ma Nonna. Elle est ce qui me motive à ouvrir la porte et à retrouver ma vie presque ordinaire. À peine le seuil franchi, l'odeur de la pomme chaude enivre mon nez. Mon sac glisse le long de mon épaule et s'écroule au sol, rejoignant ma valise. Rien ne semble avoir bougé, ici. Chaque chose est à sa place, les murs ont conservé leurs couleurs beiges et blanches et la radio, qui passe de vieilles chansons italiennes, est toujours allumée dans la cuisine.

Rien n'a changé... excepté moi.

Mes sourcils se froncent. Je ne pensais pas être accueilli tel un prince revenant de son tumultueux périple, cependant, la maison est anormalement calme.

Dans le doute, j'annonce ma présence en élevant la voix :

— Nonna ? Sono rientrato ! (Je suis rentré !)

Aucune réponse. Pourtant, les Italiennes ne sont pas du genre discret.

Je m'avance jusqu'à la cuisine ouverte, aux meubles immaculés de blanc et de boiserie, à la recherche d'une présence ou bien d'un post-it sur l'îlot. Ne trouvant rien, je suis prêt à rebrousser chemin pour monter mes affaires dans ma chambre quand je perçois des claquements de talons contre le parquet en provenance du salon. La démarche est assurée et la silhouette de ma mère ne tarde pas à se montrer, un paquet d'enveloppes dans les mains, qu'elle trie.

Elle daigne me jeter un regard, juste un léger coup d'œil sous ses lunettes aux montures noires, qu'elle porte quasiment sur le bout de son nez.

— Oh, tu es de retour, mon chéri ! constate-t-elle d'une voix douce. Tu t'es bien amusé durant ton séjour ?
    Ma mauvaise humeur semble être rentrée de vacances, elle aussi, ce qui me force à rétorquer sèchement :
    — Où est Adeline ?
    Elle me répond sans même lever les yeux de ses enveloppes :
    — Partie faire une course, elle ne devrait pas tarder.
    Je m'apprête à retourner récupérer mes affaires, seulement, elle me scrute avec plus d'attention et je me fige.
    — Mange donc quelque chose, s'il te plaît, tu es frêle, lance-t-elle.

Avant de quitter la pièce, elle conclut sa demande par un baiser qu'elle dépose furtivement sur mon front, alors que ses paroles m'asservissent. Mais je n'ai pas l'énergie de me battre avec elle aujourd'hui. Pas après avoir quitté Vincent, pas après toutes ces semaines passées ensemble. Je m'assieds sur l'un des tabourets de la cuisine, le regard plongé dans le vide et le cœur dépouillé de bonheur.

Machinalement, je saisis un morceau de pain qui traîne sur la planche à découper. Avachi sur mon siège, je décortique la tranche entre mes doigts. Je retire la mie que je n'aime pas, puis je répartis la croûte en de minuscules bouts que je mâche le plus lentement possible. Ma gorge se noue, j'ai du mal à avaler la pilule. Vincent me manque un peu plus à chaque seconde. Alors, je sors mon téléphone de ma poche et m'empresse de lui écrire pour savoir s'il est bien rentré.

Je m'apprête à me lever pour me servir un verre d'eau quand mon portable vibre, m'indiquant l'arrivée d'un message. Il m'a répondu sans attendre. Je ne pensais pas que ce genre de détail pouvait me créer un sourire.

Je pouffe après ma lecture, content qu'il ait trouvé ma surprise, même s'il n'a encore rien dit à propos du carnet.

La porte d'entrée s'ouvre. Adeline revient enfin de ses courses et sa voix naturellement forte s'exclame, interpellée par mes bagages qui stagnent encore au pied des escaliers.

— Allan ? Il mio tesoro è a casa ? Ou bien je suis une vieille dame qui perd la tête ? (Mon trésor est à la maison ?)
    Je réplique aussitôt, élevant le ton, tel un véritable Italien en réunion de famille :
    — Stai perdendo la testa, Nonna ! (Tu perds la tête)

Le soleil vient subitement d'entrer. La maison, qui paraissait si froide et enfermée dans un silence accablant, se transforme en un vacarme qui me rappelle mes étés d'enfance.

J'étreins enfin ma Adeline dans les bras, alors qu'elle ne cesse de brailler dans sa langue maternelle à quel point j'ai pu lui manquer. Les muscles de mes joues me font mal tant elle me fait sourire. Elle se tient devant moi, avec ses cheveux colorés dans un rouge qui tire vers le bordeaux, bouclés et frôlant ses épaules, ses lunettes aux montures dorées sur le nez et sa gaieté.

Elle me contemple de la tête au pied, puis finit par faire une remarque, elle aussi :

— Tu as bien bronzé !

    J'avais oublié à quel point son accent français me manquait. Je n'ai pas le temps de parler, car elle m'accable de questions :

    — Tu t'es bien amusé avec tes amis ? Tu as mis de la crème solaire, j'espère ! Vous avez bien mangé ? Tu as intérêt à tout me raconter !

L'image de Vincent, qui traverse mon esprit, me fait sûrement rougir. Ma paume se glisse dans ma nuque et je baisse un peu la tête.

Plus calme qu'elle, je tente de gagner du temps :

— Laisse-moi d'abord t'aider à ranger tes courses, nous verrons pour le reste plus tard.

Elle lève les yeux au ciel et se retourne pour récupérer ses derniers achats, que je l'aide à porter. Elle marmonne tout en allant jusqu'à la cuisine, se racontant à elle-même que je lui cache des choses en détournant son attention.

Elle ne se rend même pas compte du sourire perché sur mes lèvres, du bonheur qu'elle dépose dans mon cœur qui était triste avant son arrivée.

Aurai-je le courage de t'avouer, Nonna, que quelqu'un est entré dans mon cœur et que ce quelqu'un est un garçon ?

***

Ma première nuit sans Vincent est pénible. Tout au long de celle-ci, je me réveille un bon nombre de fois et ne cesse de rêver qu'il m'envoie des messages. Je vérifie sans cesse mon téléphone, vide de notifications, puis replonge dans la somnolence avec difficulté. Les heures défilent et je tombe enfin dans un sommeil profond, seulement, les vibrations répétées de mon portable, posé sur la table de chevet, me sortent de mon repos. Je tâtonne jusqu'à trouver celui-ci et décroche, sans même regarder le nom qui s'affiche.

Encore assoupi, ma voix émet un son enroué.

— Mmh, allô ?
    À l'autre bout du fil, j'entends Vincent, qui semble déjà bien éveillé :
    — J'étais certain de te réveiller. Lève-toi, vieille marmotte.

Ce son m'avait manqué, après à peine vingt-quatre heures séparés. J'exhale un soupir avant de me retourner sur le dos et de dégager mes cheveux de devant mes yeux, toujours fermés.

— Tu m'as empêché de dormir, râlé-je.
    Il rigole et mon cœur sursaute dans ma poitrine.
    — Ça va encore être ma faute, c'est ça ? se plaint-il.
    — Ouais. Même dans mes rêves, tu es chiant.
    Il rit de nouveau et cela me remplit d'adrénaline.
    Il revient rapidement à son sérieux et engage le véritable sujet de son appel :
    — Je veux te voir. Aujourd'hui.
    Il ne me le propose pas, il m'ordonne de venir. Je me retourne dans mon lit, comme si quelqu'un allait m'écouter lui répondre.
    Ma voix se fait plus basse, je chuchote :
    — Tu as déjà repris tes marques ?
    Je l'entends sourire. Il chuchote à son tour, pour se moquer gentiment de moi :
    — Je n'avais pas réalisé que mes repères, c'est toi.
    Mes dents saisissent ma lèvre inférieure que je mords. J'ai l'envie insatiable de sauter de joie. Au lieu de ça, je lui propose un rendez-vous :
    — Place de l'église, 14 heures ?
    — À plus tard, Allan, conclut-il aussitôt, avant de raccrocher.

Je me rabats sur le dos, la main contre mon ventre qui grouille d'un milliard de papillons impatients de ce rencard. Mes yeux se ferment, rien que cinq minutes. Néanmoins, je me rends compte de cette mauvaise idée quand la voix brutale de ma mère, qui hurle mon nom dans les escaliers, me tire de mon sommeil léger.

— Allan ! Lève-toi, il est tard !

Punaise, j'avais complètement oublié cet enfer.

Un soupir s'échappe de mes lèvres après avoir vérifié l'heure sur mon téléphone. Il est presque 11 h 30. Dans tous les cas, il faut que je me lève, car, aujourd'hui, je dois aller acheter ce qu'il me faut pour la rentrée.

Hier soir, j'ai pu dîner en tête-à-tête avec Adeline. Je lui ai raconté mes vacances. Elle me posait des tonnes de questions et a ri avec moi sur quelques anecdotes, comme ma malchance au volley. Toutefois, elle fut étonnée que je n'aie pas terminé le livre que j'avais emporté. J'ai tenu à lui décrire chaque petit détail, à l'exception d'un : Vincent. Ce qui a largement raccourci mon histoire, puisqu'il est l'acteur principal de mes aventures. Je pensais être prêt à lui annoncer, cependant, lorsque ma bouche s'est ouverte afin de le lui dire, mon ventre s'est tout de suite tordu jusqu'à m'en donner des crampes.

Si j'ai eu du mal à trouver le sommeil, c'est à cause de la multitude de craintes qui se sont imposées à moi. Comment va-t-elle prendre l'information ? L'amour de ma grand-mère pour son petit-fils a-t-il une limite ? Dans ma famille, nous n'avons jamais abordé le sujet de l'homosexualité, parce que nous n'y avons jamais été confrontés. Bien que je ne me considère pas comme gay, la façon dont Adeline prendra la nouvelle m'importe plus que toute autre chose.

Tout ça va être compliqué à expliquer...

En attendant, l'odeur alléchante du déjeuner qu'elle concocte enivre mes narines du haut des escaliers que je descends après m'être hâtivement préparé. Nonna me tend une tasse de tisane et nous commençons à discuter de nos projets pour le reste de notre journée.

Ciao, Nonna. Qu'est-ce que tu prépares ?
    — Ciao, tesoro. Je fais une ratatouille, j'ai acheté les légumes au marché, ce matin. Tu avais du sommeil à rattraper !
    — Il viaggio mi ha sfinito. (Le voyage m'a épuisé)
    Dos à moi, elle remue sa préparation dans sa casserole et demande :
    — Tu vas faire quoi aujourd'hui ? Voir tes amis ou terminer ton livre ?
    — Ni l'un ni l'autre. Il faut que j'achète mes fournitures pour la rentrée. Je vais me rendre à la petite boutique de papetier, près de l'église.
    — Tu devrais y aller avec tes amis, suggère-t-elle.

Je hausse les épaules à sa recommandation et mon regard bifurque vers le sol. Je bois une gorgée de ma boisson pour ne pas répondre.

Si tu savais quel genre d'ami je vais rejoindre, est-ce que tu me proposerais toujours d'y aller ?

Annoncée par le bruit de ses talons, ma mère débarque dans la pièce et tente déjà de me remettre au pas :

— Ne traîne pas trop, il est temps que tu reprennes un rythme normal.

Elle n'a pas changé. Elle me rappelle toujours à l'ordre, afin que je devienne le bon fiston qu'elle aimerait que je sois. Heureusement, je peux compter sur ma Nonna, qui ne tarde pas à me défendre, ses mains recouvertes de la farce aux légumes qu'elle concocte en avance pour ce soir :

— Laisse-le donc tranquille, ce gamin ! Il doit s'amuser, la scuola non è domani ! (L'école n'est pas pour demain !)

Ma mère soupire. Elle retire ses lunettes et les laisse pendre par la chaîne autour de sa nuque, ce qui signifie qu'elles vont, encore une fois, se disputer.

Malgré une gestuelle délicate, son intonation ne cache pas son agacement :

— Maman, il a eu deux mois de vacances. Il est temps qu'il reprenne une certaine régularité, tu ne crois pas ?

Ma grand-mère, quant à elle, s'exprime avec de grands mouvements. Elle ne discute pas, elle parle fort. Elle s'impose, et je me retiens de rire, notamment car elle pointe ma mère du bout de sa cuillère en bois, telle une menace :

Basta, Valentina ! Je ne veux plus t'entendre ! Tu es trop stricte.
    Elle se remet à cuisiner, mais ne s'arrête pas là pour autant.
    — Il y a des jours où je me demande si tu es bien ma fille ! Non ti ho cresciuta così ! (Je ne t'ai pas élevée comme ça !)

Ma mère lève les yeux au ciel. Il faut croire que c'est de famille.

Elle ne cherche pas plus longtemps la confrontation et se retire dans son bureau. En l'observant réagir de la sorte, je me rends compte que nous usons du même mécanisme de défense : la fuite.

***

C'est avec une pointe de stress qui traduit mon impatience que je marche en direction de la place de l'église. Je n'ai pas donné ce lieu de rendez-vous à Vincent pour rien. C'est là que se trouve la papeterie que je convoite. La musique envoyée dans mes oreilles me donne le rythme, et les vingt minutes de trajet passent relativement vite.

Il me tarde de le retrouver. Mais, en attendant, j'entre dans la petite boutique à la devanture rouge pivoine, décorée de verdures et de fleurs. Ici, on trouve tout ce qu'il faut pour dessiner, créer et fabriquer soi-même. Fervent acheteur, le patron me reconnaît et me salue d'une main levée, tandis que je me dirige au plus vite vers le rayon qui m'intéresse.

Je réfléchis rapidement à ce dont j'ai besoin et me mets en quête de feuilles à diverses textures. Après quelques minutes, mes mains commencent à se remplir de divers matériaux. Un client surgit derrière moi et se place face aux diverses peintures. Je le regarde brièvement du coin de l'œil, puis plus sérieusement dès que je le reconnais. Ce n'est pas une hallucination, Gabriel se tient là, une palette d'acrylique dans chaque paume.

Je m'apprête à rebrousser chemin, mais ma curiosité l'emporte.

Je m'approche de lui et lui signale ma présence :

— Gabriel ?

L'athlète se retourne, étonné. Dès qu'il me voit, un sourire inhabituel étire son visage. Sa voix se veut plus chaleureuse et amicale qu'au chalet.

— Salut ! J'savais pas qu'tu venais ici.

L'un de mes sourcils se hausse et mes yeux se plissent. Il parle comme si rien ne s'était passé. Mes mains se glissent dans les poches de ma veste en jean.

Je tente de meubler la conversation, qui reste maladroite :

— Alors tu... tu cherches une palette de peinture ? demandé-je en pointant du doigt celle qu'il tient dans sa main droite. Je peux t'aider, si tu es perdu.

J'ai l'impression de me trouver dans un monde à part. Il ne cesse de me fixer, un petit rictus coincé sur les lèvres. Il secoue la tête quelques secondes après ma question, comme s'il reprenait ses esprits.

— Oh ! Oui, la peinture. J'sais pas si j'dois m'lancer dans l'aquarelle ou l'acrylique.
    Il me montre celles qu'il a choisies et se tourne vers le rayon pour reposer les produits, avant de dévier son regard vers d'autres palettes.
    — Ou peut-être que j'devrais tenter la peinture à l'huile...
    Il soliloque, ça m'amuse de le découvrir aussi perplexe. Il ne paraît pas du tout maîtriser le sujet.
    — Tu m'as l'air complètement perdu, Gabriel.
    — Ça s'voit tant que ça ?
    — Un peu.
    Il plisse les yeux et je me rectifie tout de suite.
    — OK. Beaucoup.
    Il pouffe.
    — Arrête de te moquer et aide-moi.
    J'observe les différentes marques et compositions des palettes, puis le questionne :
    — Tout dépend de ce que tu désires créer. C'est pour quoi faire ?

Je ne lui laisse pas le temps de me répondre et tente timidement de savoir où en est son projet d'étude, comme si nous étions deux bons vieux amis qui rattrapent le temps perdu.

— D'ailleurs... Qu'as-tu finalement prévu pour la rentrée ?
    Son sourire s'éteint et je regrette aussitôt d'avoir tiré sur une corde sensible. Vu sa mine aux traits crispés, l'histoire semble complexe.
    — Le retour à la maison n'a pas été d'tout repos, explique-t-il. J'sais pas pourquoi, mais, hier soir, j'ai tenu tête à mon père concernant l'école de commerce.

Mes lèvres se pincent entre elles. Quant à lui, il retient un rire, comme s'il pensait que le tournant de sa vie demeurait une mauvaise blague. Il poursuit son récit, cependant, je ne peux m'endiguer de fixer la cicatrice qui marque son sourcil.

— Pour la faire courte, il est d'accord pour m'laisser faire ce que j'veux. Par contre, j'dois m'trouver un petit boulot. Il veut pas verser un seul centime dans mes études.

Cette révélation me stupéfie. Je ne comprends pas comment un père peut ne pas soutenir son enfant. Mes parents ne sont peut-être pas parfaits, malgré ça, ils ne m'ont jamais empêché de choisir ma voie. Aussi, je ne me doutais pas que Gabriel accepterait ça.

— C'est chouette. Je suis content pour toi, malgré ces conditions. Ça n'a pas dû être facile de t'opposer à ton père.

Je lui adresse finalement un léger sourire avant d'écarquiller les yeux à la suite d'une pensée qui me traverse l'esprit et que je lui partage :

— Oh ! Mais cela veut dire que nous serons dans la même école !
    Il se met à rire, puis glisse les doigts dans ses cheveux noirs.
    — Ouais, peut-être même qu'on sera parfois amenés à nous retrouver dans des cours similaires.

Sa façon de me regarder en disant ces mots me rend confus. De ce que j'ai pu entendre au chalet, il me considère comme un ami et je suis sur le point de le voir de la même manière. C'est un jeune homme nouveau que je découvre ici, loin de la mer et des soirées alcoolisées.

Gabriel détourne le regard, sans doute par embarras, signe qui me rend la parole afin de revenir à notre sujet :

— Alors, si c'est le cas, je te conseille de te lancer dans l'aquarelle. De mon point de vue, c'est le plus efficace pour apprendre plusieurs techniques de peinture.
    — Cool, ça m'semble bien. J'ai trop l'habitude de dessiner sur une tablette graphique.

Pendant quelques minutes, nous restons ensemble pour choisir notre matériel. Il me pose quelques questions sur des techniques de dessin et sur les inscriptions concernant les cours spéciaux. Lorsque nous sortons de la boutique, nos sacs à dos sont remplis de fournitures.

Gabriel se tourne vers moi et sa voix se fait toujours aussi agréable, quoiqu'hésitante :

— Tu veux qu'on aille boire un verre ? J'ai des questions pour remplir mon dossier d'inscription.

Je lis sur son visage qu'il aimerait que j'accepte et que nous puissions encore parler de nos vies, qui commencent à trouver des points communs. Je suis presque triste de ne pas être en mesure de lui donner cette joie. D'autant plus qu'au moment où je souhaite décliner son invitation, la silhouette de Vincent surgit au loin derrière l'épaule de Gabriel, qui se retourne lorsque mes yeux dérivent.

Avec tout ça, je n'ai pas vu l'heure s'écouler.

— La prochaine fois, réponds-je, d'un timbre désolé.
    Le visage du sportif change du tout au tout lorsqu'il aperçoit son ami d'enfance. Je revois le garçon froid et fermé qu'il était lorsque je l'ai rencontré.
    — Ça marche, on verra, dit-il froidement.

Vincent reste en retrait à côté de l'église et m'attend patiemment tandis que le grand brun reprend sa route. Tout ce qui m'importe pour le moment est de retrouver Vincent, dont je me rapproche enfin d'un pas précipité. Nos sourires s'affichent sur nos visages et je ne peux m'empêcher de foncer dans ses bras. Il éclate de rire et s'empresse de saisir mon visage afin de le relever vers le sien.

Sans prononcer le moindre mot, ses lèvres accaparent les miennes et nous nous embrassons comme si nous avions été séparés durant des semaines. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, je sens mon corps se prendre une décharge de sérotonine. Il est ma molécule du bonheur, le seul à me délivrer de mes peurs.

Sans relâcher ma bouche de la sienne, il me fait reculer jusqu'à la petite ruelle fleurie derrière l'église et me plaque contre le mur de celle-ci. Je ris contre ses lèvres. Je peine à parler, puisqu'il ne cesse de déposer une multitude de baisers sur mon visage.

Néanmoins, je réussis à placer quelques mots :

— Toi aussi, tu m'as manqué.
    Il s'arrête enfin, prend mes mains dans les siennes et annonce spontanément :
    — Tu n'as aucune idée d'à quel point je t'aime, Allan.

Mon pouls s'accélère au point de m'en couper le souffle.

Vincent pousse les boucles qui tombent sur mon front et ses yeux cherchent une stabilité au sein de mon portrait. Je me répète sa phrase en boucle dans ma tête, je n'arrive pas à croire ce qu'il vient de confesser. Je bats des cils, mes mains remontent à sa mâchoire que j'attrape avec les gestes les plus tendres possibles, afin de calmer son agitation.

Ma voix est pleine d'émotions lorsque j'avoue enfin ce qu'il m'a tant réclamé et dont je suis persuadé :

— Je t'aime, Vincent.

Son sourire s'étire. Délicatement, il m'invite à me blottir contre lui, une proposition que j'accepte sans résistance en laissant tomber mes bras autour de ses hanches.
    Je retrouve l'odeur de citron, de gingembre et de patchouli de sa peau. Mes paupières se ferment et, en un instant, je suis de retour au bord de la mer.

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