Chapitre 4 › Trouver chaussette à son pied
La fenêtre, restée ouverte toute la nuit, laisse entrer toutes sortes de sons auxquels je ne suis pas habitué. Le flot emportant le sable berce mes paupières qui cherchent à sortir de leur profond sommeil. Cependant, c'est le claquement du volet de ma fenêtre, bousculé par le vent, qui m'arrache de ma somnolence. Il me faut quelques instants pour me restituer dans ce lieu encore flou pour mes yeux qui ne cessent de s'ouvrir puis de se refermer.
— Nonna... ? Ah, c'est vrai... Je ne suis pas à la maison.
Lorsque je reprends le contrôle, tout me revient : aujourd'hui, de nouvelles personnes vont se joindre à nous. Ces vacances me semblent d'un coup insurmontables. Dois-je me lever ? Je pourrais aisément simuler une douleur pouvant me faire gagner une journée de plus cloîtré au lit. Néanmoins, ne serait-il pas plus rationnel d'être présent, tout en me faisant le plus petit possible ?
Trop de questions stressantes se bousculent dans ma tête. Je ne devrais pas me les poser, pourtant, elles m'assaillent alors que je ne suis même pas levé. Exaspéré par mes propres pensées, je souffle profondément et vide l'air de mes poumons. Je jette un œil par terre et je constate que l'oreiller a fini par tomber au sol au cours de la nuit.
Tout en fixant le plafond en bois, je réalise désespérément :
— Eh merde, personne n'est venu m'étouffer.
La montre accrochée à mon poignet affiche 8 heures. Je suis presque sûr d'être le seul réveillé à cette heure, et cela m'arrange bien. Pas de temps à perdre, j'attrape un short noir de sport et un ancien tee-shirt délavé acheté en friperie. Lorsque je sors de ma chambre, le chalet est paisible, je soupçonne les filles de s'être mises au lit à une heure tardive.
Je me déplace sur la pointe des pieds, seules mes chaussettes, décorées de la célèbre Vénus peinte par Sandro Botticelli, foulent le parquet. Ma trousse de toilette sous le bras, je crois entendre un bruit provenant du haut des escaliers qui me fige dans mon élan. J'analyse d'où peut émaner la menace et me rends vite compte que c'est juste le parquet qui travaille. J'atteins la salle de bains qui jouxte ma chambre et je ferme aussitôt la porte à clé, sait-on jamais.
Tout en prenant mon temps sous la douche, je m'imagine déjà les pieds dans le sable avec mon livre entre les mains, prêt à ne plus bouger et, surtout, à ne côtoyer personne. Après tout, Roxanne a invité ses amis, mais je ne suis pas dans l'obligation de me mélanger à leur troupe ! Je peux très bien être présent quelquefois, mais aussi tirer profit de moments exclusifs avec mes deux amies. En tout cas, cette idée m'aide à me sentir mieux. Je préfère tout anticiper, dans les moindres détails.
Pour l'heure, je me retrouve face au gigantesque miroir de la pièce. Nous pourrions être plusieurs comme moi côte à côte, avec le même corps frêle, tant il est imposant. Ce n'est qu'une fois habillé que je m'occupe de mon visage en rasant les rares petites pousses de moustache et de barbe qui émergent aléatoirement, bien que je sois quasiment imberbe. Je passe les mains sous l'eau froide avant de me les passer sur le visage. Mes phalanges prolongent leur trajectoire jusqu'à ma chevelure bouclée que j'essaie de coiffer de manière adéquate. En vain. Je termine mon rituel matinal en me brossant les dents, impatient d'aller prendre mon premier bol d'air, mais aussi de localiser un coin paisible où me cacher pour le reste des vacances.
C'était une matinée paisible, jusqu'à ce que toute la maison tremble quand le cri strident et aigu de Roxanne se répercute entre les murs du chalet. Pris de court, je me précipite pour ouvrir la porte de la salle de bains afin de m'assurer qu'elle va bien, ma brosse à dents toujours à la main et la mousse de mon dentifrice en guise de moustache. Je m'attends au pire, pensant qu'elle vient de tomber dans les escaliers, mais je me retrouve paralysé face à de nombreux inconnus qui envahissent le salon.
Roxanne va très bien. Elle sautille, heureuse à souhait, elle les accueille avec entrain. J'aurais pu me réfugier dans la pièce d'où je viens en reculant pour ne plus jamais en sortir, ou au moins bouger ne serait-ce qu'un membre pour avoir l'air moins bête. Au lieu de ça, je reste stoïque face au cauchemar que j'ai esquivé durant plus d'une année et qui a finalement réussi à me rattraper.
— Pas mal, tes chaussettes.
Cette voix, intensifiée d'une pointe d'ironie, me ramène à la réalité.
Toute mon attention se tourne vers mon interlocuteur qui, sourire au coin des lèvres, n'hésite pas à me scruter de haut en bas avant de poursuivre sa route. Il tient dans une main un sac rempli d'affaires dont la fermeture est sur le point de craquer. Dans l'autre, il serre un paquet de cigarettes. J'observe cet intrus aux cheveux châtain foncé et légèrement frisés, rasés sur les côtés. Il se dirige vers l'étage du chalet tandis que je le foudroie du regard, oubliant la couche de dentifrice qui recouvre mes lèvres.
Moi qui ne souhaitais établir aucun contact, c'est un échec. Voilà une raison de plus pour me barricader dans ma chambre le reste du séjour !
— Allan ! Viens, je vais te présenter !
Roxanne, surexcitée, passe près de moi et frappe dans ses mains pour m'inviter à hâter le pas. Je recule sans attendre et lui claque la porte au nez.
Méditatif, je me mets à soliloquer :
— Mais pour qui il se prend, lui ?
Je l'imite en grinçant des dents, énervé.
— « Pas mal, tes chaussettes », et puis quoi encore ? Rha, je déteste les gens intrusifs !
La remarque de ce garçon me tape sur le système. Comment peut-il juger mes goûts vestimentaires ? Il n'a jamais vu de chaussettes qui sortent de l'ordinaire ?
Quel abruti !
Je suis abasourdi par son culot d'oser faire une telle remarque sans même se présenter au préalable. Mon visage se rehausse en direction de mon reflet dans le miroir et mon corps se fige. Je constate l'étendue des dégâts du dentifrice.
Mais quel abruti je fais aussi !
Je me rince la bouche sans tarder. J'essaie de faire disparaître cette humiliation, croyant fermement que, si je vais assez vite, je rincerai aussi la mémoire visuelle de ce garçon indiscret. Je voudrais remonter le temps. Peut-être n'est-il pas le seul à m'avoir aperçu dans cet embarras. J'ai envisagé diverses situations cauchemardesques avec ces gens, mais celle-ci, je ne l'avais pas vu venir.
— Super, il ne manquait plus que ça !
Moi qui ai formulé le vœu de rester discret, voire de me faire passer pour mort, comment vais-je me sortir de ce pétrin ? J'en fais une montagne. Mais c'est bel et bien une montagne ! C'est la honte ! De quoi annoncer la couleur pour le reste du séjour. Tout en essuyant mes lèvres, j'envisage que, peut-être, ce garçon n'est pas si abruti qu'il n'y paraît, en fin de compte. Lorsqu'on y réfléchit, il aurait aisément pu faire une allusion sur le dentifrice qui barbouillait ma bouche, pourtant, il a préféré parler de mes chaussettes.
Peut-être ne voulait-il pas me mettre mal à l'aise. C'était sarcastique, dans ce cas ? Probablement que c'est sa façon de se moquer de moi. Et s'il en jouait ? Je ne pourrai pas endurer de me retrouver dans la même situation difficile que l'an dernier, lorsque j'étais au lycée... Je n'ose envisager la suite, tétanisé à l'idée de ressortir de cette pièce après avoir imaginé qu'il ait pu en parler à ses amis. On ne sait jamais ce que l'on va découvrir derrière une porte, quelque chose d'agréable ou bien quelque chose qui nous laissera des séquelles. Tout ce que je sais, c'est que je ne suis pas prêt à encaisser une souffrance supplémentaire et que ce garçon est un véritable crétin.
Mon cœur accélère au tempo où je répète sa phrase en boucle dans ma tête. J'analyse même le timbre de sa voix, d'abord tranquille, puis finalement amplifiée. Craignait-il que je ne l'entende pas ? Son ton ironique partait-il d'une bonne intention ou était-il armé d'aiguilles dans le but de me nuire ? Je fais les cent pas dans la salle de bains en mosaïque. Comment vais-je rejoindre ma chambre alors que le salon abonde en parasites ? Les mains sur les hanches, j'examine la fenêtre ouverte qui mène au jardin. Je pourrais très bien passer par cette ouverture afin de regagner ma chambre. Ni vu ni connu !
Pendant une seconde, je songe réellement à cette issue, me faisant un plan approximatif de la mission dans ma tête.
— Non, Allan, tu ne vas pas faire ça, quand même.
Je ne vais pas faire ça.
Ce serait pire que le coup du dentifrice plein la bouche.
Quoique...
Mes sourcils se froncent sous l'incessant chahut de cette petite voix qui me rappelle sans cesse cette scène. Au point où j'en suis, n'est-il pas plus judicieux de sortir de ma cachette ? De plus, peut-être que personne n'a rien vu. Enfin, personne sauf lui, le garçon dont je ne connais même pas le prénom.
Il ne me reste plus qu'à espérer qu'il perde sa langue dans la journée afin de ne rien répéter. Au bout du compte, autant me la jouer cool. Je vais ressortir comme si de rien n'était. Ensuite, il me suffira de ne plus jamais en sortir et le tour sera joué !
Je tente de me rassurer, néanmoins, je demeure coincé. Dans ce genre de moment, je me déteste. Il n'y a rien de plus simple que de sortir d'une pièce, pourtant, j'en suis incapable. Je m'efforce d'éviter tout ce qui peut me mettre mal à l'aise, afin de ne pas m'engouffrer une nouvelle fois dans une énième crise. Mais quand l'on sait qu'un simple mal de tête peut me rendre parano, on tombe vite dans ce cercle vicieux où tout nous semble être un danger potentiel.
Mon ventre se tord de douleur d'entendre les voix variées et les rires se confondre dans le salon, uniquement séparé de moi par cette infime porte à laquelle je fais face. J'obtiens enfin le courage de me lancer lorsque Solène déboule dans la pièce et tombe nez à nez avec moi.
Nous sursautons avant qu'elle ne déclare, la main au niveau de son cœur :
— Oh, bordel ! Je ne m'attendais pas à ce que tu sois là !
Elle tombe à pic !
Grâce à elle comme bouclier, je peux retourner dans ma chambre incognito.
— J'allais sortir, mais je me sentais pas très bien. J'ai un peu mal à la tête.
Je n'aime pas mentir, mais je m'autorise à le faire uniquement dans les situations où je me dois de dissimuler mes cachotteries, et en même temps, il y a un fond de vérité. Solène, bienveillante, pose sa main sur mon front afin de prendre ma température.
— Tu n'as pas de fièvre, c'est déjà ça. Ce serait trop bête avec les vacances qui commencent !
— Mmh, marmonné-je. Ouais, vraiment trop bête.
Tenace, elle regarde sans tarder dans les placards de la salle de bains. Pendant ce temps, la porte entrouverte me permet d'apercevoir ce même garçon qui m'a accosté. Il discute avec d'autres personnes dont je ne peux encore détailler le visage. Peut-être est-il en train de raconter ce qu'il a vu de moi...
Cette idée me rend nerveux. Ce qui était une simple pensée paranoïaque dans ma tête devient sans prévenir proche du réalisme. Quoi de plus terrifiant que de voir nos idées les plus effroyables prendre vie ? L'entièreté de mon corps se contracte à l'idée de devenir une nouvelle fois une cible facile, tout en moi vient de se fermer à double tour.
— J'ai trouvé ! lance Solène, qui n'a pas cessé ses recherches.
J'essaie de ne pas manifester l'air abattu et introverti que m'imposent mes inquiétudes, mais c'est d'une voix faible que je m'exprime, en dépit de mes efforts :
— Je veux juste aller m'allonger quelques minutes.
— Alors vas-y. Tu avales le médoc et tu te reposes. Ça va aller, me rassure-t-elle. Et après, tu nous reviens en forme.
Elle m'adresse un sourire réconfortant tout en passant son bras autour de mes épaules pour me raccompagner à ma chambre. Mon petit mensonge se dévoile être une véritable détresse que j'essaie de maîtriser jusqu'à ce que je puisse être à l'abri des regards. Je m'imagine souvent déballer tous mes secrets. Seulement, quand j'observe l'inquiétude dans son regard pour un simple petit bobo, je me demande comment je pourrais lui infliger mes réelles souffrances. À elle comme à Roxanne.
Quelques pas, quelques secondes. C'est tout ce qu'il nous faut pour que j'éprouve la sensation d'être de nouveau en sûreté. Je me sens comme un idiot d'avoir fait toute une montagne de cette histoire. Encore plus d'avoir mêlé mon amie à cette situation. Avant de ressortir, Solène s'assure que je m'installe au bord de mon lit et que j'ai de l'eau pour prendre le médicament censé me faire passer ce mal de tête fantôme.
Avant que la porte ne se referme, je me surprends à lui poser une question qui, dans le fond, me torture :
— Tu sais qui est le garçon qui porte un débardeur blanc ?
Solène se tourne un instant vers le séjour, comme pour s'assurer de sa réponse.
— Sa tête me dit quelque chose, je crois que je l'ai déjà croisé en soirée. Mais là, tout de suite, ça me revient pas. Tu le connais, toi ?
Je réponds par la négative en un geste de la tête avant d'affaiblir quelque peu l'intonation de ma voix :
— Non, pas vraiment...
Mes lèvres se pincent entre elles. Je regrette aussitôt de m'être renseigné au moment où mon amie affiche ce même sourire qui trônait sur ses lèvres la veille au soir, au sujet de Noah Centineo.
Enfin seul, je m'allonge sur le matelas que j'ai quitté il y a à peine une heure. L'incident du dentifrice ne cesse de se répéter dans mon esprit. Les propos du jeune homme me turlupinent, mal à l'aise à l'idée qu'il se soit moqué de moi.
Face au plafond, je marmonne en soupirant :
— Je suis vraiment un abruti.
Nous voilà avec un point commun, c'est bien ma veine !
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