Chapitre 33 › Le cœur en érection

Pour la première fois, nous nous endormons dos à dos, chacun de son côté du lit. Il était à peu près 6 heures du matin lorsque nous sommes rentrés. Le chalet roupillait déjà profondément, c'est pourquoi nous avons trouvé plus approprié de dormir dans ma chambre pour ne pas perturber le sommeil des autres à l'étage. Pourtant, je jurerais avoir entendu une porte se fermer, comme si quelqu'un avait attendu de m'entendre revenir à la maison avant d'aller dormir.

On ne s'est plus parlé depuis notre départ, pas même à bord du train, pas même depuis que nous sommes couchés. Je ne trouve pas le sommeil, les souvenirs de la soirée se bousculent dans mes pensées. J'ignore depuis combien de temps je suis inerte, je n'ose même pas déplacer ma main cachée sous mon oreiller.

Aujourd'hui est le dernier jour de nos vacances et ce soir, notre ultime soirée. Qu'allons-nous devenir quand nous rentrerons chez nous ? La vie que j'ai laissée à Bièvres ne sera pas la même lorsque je reviendrai. C'est étrange de me dire que je ne voulais pas prendre part à ce voyage, alors que désormais l'idée d'en finir m'effraie. Vincent a manifestement changé mon existence durant ce court laps de temps.

Mon visage se crispe quand j'arrache involontairement, et jusqu'au sang, un morceau de peau près d'un ongle. Je me pose beaucoup trop de questions, cette mauvaise habitude de me ronger la peau finira par me faire bouffer mes doigts ! Je porte ma blessure aux lèvres pour aspirer le liquide rougeâtre qui s'en échappe. Là encore, je repense à son désir de me faire l'amour. Le voudra-t-il encore à notre retour de ce séjour ? Je ne veux pas être un simple caprice, une amourette éphémère qu'on largue une fois que l'été se termine.

Serait-il capable de m'abandonner ? Serai-je à la hauteur de tout ce qui nous attend quand nous partirons d'ici ? J'ai envie de pleurer.

Je ne verrai plus Vincent aussi souvent que ces dernières semaines. Cette pensée me tord l'estomac en un micmac de nœuds indémêlables et appuie trop fort sur mon cœur. Sans m'éclaircir la gorge, je tente une approche, d'une petite voix, pour ne pas brusquer le silence dans lequel nous sommes immergés depuis un certain temps :

— Vincent, tu dors ?

Aucun mouvement ni aucun bruit n'émerge de son côté. J'aimerais qu'il soit éveillé, qu'il réponde à mes questions et qu'il me prenne dans ses bras, plutôt que de rester terré dans son coin.

Quelque peu déçu, je referme les paupières pour tenter de conquérir Morphée, quand Vincent engage un changement de position sous la couverture. Le savoir finalement réveillé m'envoie un frisson. Ma langue s'empresse d'humecter mes lèvres, j'ai l'impression de retenir ma respiration quand j'entends un léger soupir de son côté du lit.

Il me répond enfin, d'une voix rauque :

— Non, je fais que somnoler.

Mon cœur tambourine contre ma poitrine, mes yeux se rouvrent et cherchent un point fixe à regarder pour me centrer. Poser des questions est une chose, être disposé à entendre les réponses en est une autre.

La bouche tremblante, je me jette dans la gueule du loup sans attendre plus longtemps :

— Dis, Vincent...
    — Mmh ?
    — Qu'est... qu'est-ce que ça fait, de faire l'amour ?

Je regrette aussitôt.
Qu'est-ce qui m'a pris ?

Son silence resserre le nœud dans mon ventre, les papillons ont tous disparu. Je ne crois pas pouvoir reprendre ma respiration tant qu'il ne réagira pas et le nouveau soupir de son côté est loin d'être réconfortant.

— Je n'en sais rien, Allan, me répond-il, une note fragile dans l'intonation de sa voix.

Hein, quoi ?

Comment Vincent peut-il ignorer ce qu'on ressent quand on fait l'amour ? Tout à coup, je réalise que je n'ai jamais envisagé la possibilité qu'il soit toujours puceau. Vincent dégage une certaine prestance, un parfum si charismatique que l'idée qu'il puisse n'être jamais passé à l'acte me paraît totalement absurde. Je cherchais des réponses, mais je me retrouve avec de nouvelles questions.

— Est-ce que tu es comme moi ?
Est-ce que tu as déjà couché avec quelqu'un ?

Je ne sais pas comment aborder ce semblant de conversation. Je veux juste qu'il cesse d'être dans son coin et qu'il vienne me rejoindre. Le matelas s'enfonce sous les mouvements de Vincent au fur et à mesure qu'il se tourne vers mon dos nu, la couverture glisse sur mon corps tandis qu'il se rapproche. Ma peau se pare de frissons quand sa cage thoracique se colle à moi et ses bras étreignent ma taille dans un câlin dont je rêve depuis que nous sommes au lit.

Mes mains cherchent les siennes, je noue nos doigts dans un geste tendre. Maintenant que son visage se niche dans ma nuque, que le bout de son nez cajole l'épiderme de mon cou et que sa bouche se dépose contre mon épaule, je regrette toutes les distances que j'ai pu nous imposer, aussi minimes soient-elles.

— J'ai déjà eu des partenaires, murmure-t-il quelques instants plus tard.
    Alors, il n'est pas comme moi.
    — Je me suis déjà envoyé en l'air, reprend-il. Mais je n'ai jamais fait l'amour.

Sa voix qui se casse à la fin de sa phrase me fend le cœur. Je porte sa main vers mes lèvres et j'en embrasse le revers avec douceur.

Mes paupières se ferment lentement alors que je sens le souffle de Vincent qui s'écrase contre mon épaule. Je devine qu'il s'endort peu à peu, tout comme le sommeil me gagne maintenant que nous sommes réunis.

Un jour, nous découvrirons ensemble ce que signifie faire l'amour. Un jour, je ferai l'amour avec Vincent.

***

Je n'ai dormi que deux heures, peut-être trois, avec un peu de chance. Je bois ma première infusion de la journée, l'esprit encore dans le brouillard, bâillant de mon manque de sommeil. Il est à peine midi et il fait déjà très chaud dans la maison, mes doigts en sont engourdis.

La dernière tasse de tisane.

Je sais que je vais faire ça toute la journée, énumérer le nombre de choses que je fais pour la dernière fois avant de rentrer chez moi.

Je me demande ce que je vais faire de Vincent. Je ne pourrai pas le cacher longtemps à ma mère si je veux continuer à le voir régulièrement. Elle va se poser des questions. J'ai toujours été un garçon solitaire, le genre d'enfant qui reste dans sa chambre et n'en bouge que très rarement.

Adeline aussi sera difficile à gérer. Je ne peux rien lui dissimuler, mais je ne veux pas qu'elle sache que je suis en couple avec un homme, qui plus est un peu plus vieux que moi. Je suis pourtant persuadé qu'elle adorerait Vincent, ils s'entendraient à merveille.

Tout ça va devenir très compliqué...

Installé sur la terrasse, face à l'immensité de l'océan, un soupir m'échappe. Je ne suis pas assez reposé pour me questionner autant dès le réveil. Je chasse les nuages gris de mon esprit en repensant à son visage détendu à ma sortie du lit, ce qui me fait bêtement sourire.

Décidément, je n'en aurai jamais assez de cette image.

— Tu es déjà debout, murmure une voix féminine dans mon dos.

Je sursaute à l'arrivée de Roxanne, qui frotte ses yeux ensommeillés. Ma paume s'installe sur mon cœur pour essayer de calmer son rythme rapide. Je souffle de soulagement après cette fausse frayeur.

— Tu peux éviter d'arriver comme un ninja par-derrière ?
    Elle rit, amusée par mes propos alors qu'elle prend place à mes côtés.
    — Désolée, je l'ai pas fait exprès.

Ses yeux plissés reprennent leur forme quand elle pose le flanc de sa main contre son front pour se protéger du soleil et me dévisager, ce qui a le don de m'embarrasser.

— J'étais inquiète, hier soir.
    J'avale une goutte de mon infusion, maintenant tiède, avant de répondre.
    — Il ne fallait pas, je n'étais pas seul.
    Je la vois du coin de l'œil relever les sourcils et faire ses petites manières, les mêmes que ma mère adopte quand elle prend la peine de s'intéresser à moi.
    — Personne ne savait où vous étiez, et ce n'est pas vraiment ton genre de sortir si tard sans prévenir. De sortir tout court.
    — J'ai été pris au dépourvu.
    — Oui, mais... Gabriel nous a dit qu'il valait mieux pas que tu traînes trop tout seul avec V...
    — Arrête, l'interromps-je. Gabriel a menti.
    — Allan, ce que je veux te dire, c'est que je suis contente que tu puisses à nouveau t'amuser. Mais, s'il te plaît, fais attention à toi.

Ses mots me font l'effet d'un couteau qu'on remue dans une plaie. Si Roxanne voit mon brusque changement de comportement, il est clair que j'aurai du mal à le cacher à mes parents et à ma Nonna.

— Je ne suis pas irresponsable, tenté-je de la rassurer d'une voix calme. Si j'avais été en danger, je t'aurais tout de suite appelée. Alors, ne t'en fais pas pour ça, OK ?

J'affiche un léger sourire pour appuyer mes paroles, cela semble parfaitement fonctionner puisqu'elle m'arrache ma tasse des mains afin d'en boire une gorgée. Sa figure grimace au contact du goût de la camomille et je ne peux m'empêcher d'en rire à gorge déployée.

— Comment peux-tu boire ça ? C'est immonde !

Le dégoût se lit sur son visage quand elle me rend ma tasse. Je hausse les épaules avant de tremper une nouvelle fois mes lèvres dans le liquide et d'en avaler une gorgée consistante. J'exagère mes expressions pour lui démontrer combien cette tisane est délicieuse. L'atmosphère se détend et promet une belle journée.

— Alors, comment était votre fin de soirée ? finit-elle par demander.

Roxanne recoiffe ses cheveux en bataille dans un chignon ébouriffé tandis que mon ventre se remplit de papillons aux souvenirs que je me remémore.

Il m'a embrassé en public.

— On s'est baladé.
    — Et rien d'autre ?
    — Qu'y aurait-il pu avoir d'autre ? répliqué-je en laissant traîner ma voix.

Les lèvres de mon amie se pincent, elle comprend que je ne souhaite pas m'étendre sur le sujet et, pour une fois, elle n'insiste pas.

Vincent me manque. Nous ne sommes même pas encore séparés que son absence se fait déjà ressentir. L'heure est venue de le réveiller. Je place une main sur l'épaule de Roxanne afin de me relever et de lui adresser une dernière parole muette qui clôture notre discussion.

Je rejoins la chambre, encore plongée dans l'obscurité malgré quelques faisceaux lumineux qui traversent les volets en bois fermés. J'avance d'un pas léger en direction du lit où Vincent est toujours endormi. Bien que la mer soit magnifique, il n'y a que son visage assoupi qui me manquera terriblement. Ici, avec lui, je me sens libre. Mais une fois que je serai chez moi, Vincent sera un secret de plus que je devrai cacher à ma famille.

Je m'assieds à la place vide au bord du lit et laisse un léger souffle s'échapper de mes lèvres. J'aimerais ne plus envisager un avenir sombre comme je le fais actuellement, seulement, c'est plus fort que moi. La mélancolie a pris une longueur d'avance. Pourtant, ce n'est pas comme si nous n'habitions pas dans la même ville ! Je pourrai toujours passer du temps avec lui, bien que ma vie avec Vincent à l'extérieur du chalet me semble irréelle.

Je suis pris d'un sursaut lorsqu'une main effleure mon échine d'un geste faible. Mon corps se tourne vers Vincent, le bras tendu vers moi, en quête de la douceur que je lui porte en guise de petit-déjeuner.

C'est la merde, je craque complètement pour lui.

Même moi, je devine le sourire niais qui se dessine sur mes lèvres. Une nouvelle fois, je me faufile sous les draps et rejoins son corps. Je ne dois pas gaspiller un seul instant, et, pour ça, je me crée un chemin entre ses bras. Il me serre contre lui, son odeur occupe tout mon espace lorsque ma tête se blottit au creux de son cou. Je peux entendre les pulsations de son cœur, même les ressentir contre ma peau mêlée à la sienne. Si seulement le temps pouvait se mettre sur pause, que je puisse passer le reste de ma vie dans ce lit, dans ce corps qui est le nôtre quand nous sommes si proches.

Je prends une profonde respiration pour retarder les larmes qui menacent de tomber d'un moment à l'autre. Ses doigts se faufilent entre les boucles de mes cheveux.

— Est-ce que tout va bien ? murmure-t-il avec douceur.

J'opte pour un hochement de tête, la gorge prise par l'émotion. Une de mes mains dans son dos retrace la courbe de sa colonne vertébrale. Je dessine du bout des doigts de petits cœurs imaginaires à la surface de son épiderme.

— Ne t'inquiète pas, finis-je par dire. Pour l'instant, tout est parfait.

Je sais qu'il devine mes préoccupations, mais, même s'il voulait me rassurer, le doute continuera de persister au-dessus de moi comme un nuage orageux.

Malgré ça, il tente tout de même d'apaiser mes craintes :

— Bébé... C'est la fin des vacances, mais pas la fin de nous.
    Bébé.
    — Je le sais, mais je ne peux pas m'empêcher d'être triste.
    — Parce qu'on ne se verra plus autant ?
    — Oui, mais pas que. Je... Je ne sais pas comment gérer notre relation devant ma famille...
    — Je ne t'oblige pas à leur dire, gère ça comme tu le sens.
    Une moue se forme sur mes lèvres. Bien que ça me gêne de le demander, j'ose me renseigner :
    — Et toi ? Est-ce que ta mère sait que tu es...
    — Bi ? termine-t-il. Non, je ne lui ai jamais dit, même si je crois qu'elle s'en doute.

Je n'insiste pas plus, ne souhaitant pas le forcer à parler de ce dont il ne se sent pas prêt. Je suppose que nous trouverons un équilibre en rentrant chez nous, que les choses finiront par se poser. Je ne sais même pas ce qu'il veut faire à la rentrée, s'il compte travailler ou reprendre ses études. Et si nos emplois du temps venaient à ne pas être compatibles ? J'envisage les pires scénarios afin de ne pas être déçu.

Je veux fuir ces pensées néfastes et, pour ça, je me retourne délicatement pour saisir mon téléphone sur la table de chevet. Je me redresse sur un coude avant d'extirper une nouvelle fois mon corps du lit, abandonnant notre étreinte.

— Où est-ce que tu vas comme ça ? s'enquiert-il.

L'incompréhension de Vincent se lit sur son visage, mais je ne lui fournis aucune explication. Il ne me faut qu'un instant pour ouvrir l'un des volets et laisser passer un peu de lumière dans la pièce. Rapidement, je reprends ma place initiale à ses côtés. Le téléphone toujours à la main, je le déverrouille pour atterrir sur ma page d'accueil. Un des bras de Vincent m'enlace de nouveau, comme pour se consoler de ma courte absence.

Mon pouce cherche l'application appareil photo, mais, avant ça, je lève le regard vers Vincent. Sa ride du lion apparente, il essaie de saisir où je veux en venir.

Timidement, j'annonce mon idée :

— Je me dis que peut-être si je prends une photo, j'arrêterai de penser que tu es un petit ami imaginaire.

    Son joli sourire balaye ses sourcils auparavant froncés. Je crois qu'il comprend finalement que j'ai toujours pensé que notre relation était le fruit de mon imagination. Il s'allonge un peu plus afin d'être à ma hauteur, puis appuie de lui-même sur l'application de l'appareil photo.

    — Peut-être que si tu prends une photo, mes nuits sans toi seront moins pénibles, rétorque-t-il.

Maintenant, c'est moi qui comprends que ce sera difficile pour lui aussi. C'est une chose à laquelle je n'avais pas songé. Quoi qu'il en soit, je lui confie mon portable pour qu'il soit le photographe. Je me sens mal à l'aise face à un objectif, contrairement à Vincent qui paraît détendu.

Nos deux visages se réfléchissent à l'écran. De sa main libre, Vincent recoiffe les bouclettes qui ornent son front. De mon côté, je laisse les miennes se répandre sur le mien, même si je tente de faire des efforts, je n'ai jamais l'air parfaitement coiffé. À mon insu, une première photo est prise.

Je me plains sans attendre, lui donnant un coup d'épaule :

— Eh, je n'étais pas prêt ! Elle doit être horrible...
    Il éclate de rire, mon faciès porte les traits de la niaiserie et du mécontentement lorsqu'un nouveau cliché est saisi sur le vif. Je râle de plus belle, ce qui amuse Vincent.
    — Cazzo ! Tu le fais exprès ?
    — Un peu, chuchote-t-il, un rictus sur ses lèvres. Reste naturel, je ne veux pas perdre une seule nuance de ta beauté.

Mes joues se teintent de quelques nuances de rouge. Nous passons quelques minutes à prendre des photos : en riant, en tirant la langue, en nous taquinant. Mais celle que j'attendais le moins, c'est quand la main libre de Vincent se glisse contre ma mâchoire et dirige mon visage vers le sien, happant subitement mes lèvres entre les siennes dans un tendre baiser. Je m'envole si haut que je n'entends plus le bruit de l'appareil photo se déclencher en rafales.

Les paupières closes, je me laisse entraîner par son souffle chaud, par la douce et sensuelle danse de ses lèvres qui font pression contre les miennes. Mon cœur devient incontrôlable, mon corps n'est qu'un volcan en éruption. Cet abruti me fait perdre la tête, et plus encore.

Il sourit contre mes lèvres. Le téléphone tombe lourdement sur le matelas, quant à moi, c'est au fond de son cœur que je chute.

Bordel, j'ai le cœur qui bande.

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