Chapitre 26 › Rassemblez les morceaux
Presque une semaine s'est écoulée depuis qu'il m'a demandé si je l'aimais, et toujours aucune réponse de ma part. Pourtant, de jour comme de nuit, nous passons notre temps greffé l'un à l'autre, sans jamais nous lasser. Vincent est devenu comme une seconde peau dont je peine à me défaire, même pour deux minutes. Je ne me souviens même plus de ce que c'était de vivre sans cette complicité que nous avons bâtie.
On sort découvrir de nouveaux lieux, on s'arrête pique-niquer dans les hautes herbes, on traîne sur la plage, on débat sur les films des soirées ciné en groupe et on se câline aussi – beaucoup –, puis on s'embrasse – énormément. Parfois, on se chamaille et, souvent, on se taquine. Ma vie n'a jamais été aussi paisible, même mon anxiété diminue petit à petit. Malgré ça, un nœud ne cesse de me tordre le ventre...
Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à savoir si je l'aime ?
Je ne m'étais jamais rendu compte que je pouvais craquer pour un garçon, et encore moins aimer l'embrasser ou le désirer. Pour autant, je ne me considère pas membre de la communauté queer. Nous n'avons rien officialisé, je ne sais même pas si nous sommes réellement ensemble ! Lui poser la question m'inquiète, car je ne suis pas certain d'être prêt à tenir ce rôle. Que diraient mes parents s'ils venaient à savoir que je suis avec Vincent et non pas avec Vinciane ? Et Nonna ? Je ne pourrai pas supporter de la voir me regarder avec dégoût ni de la décevoir. J'ai besoin de temps pour explorer mes sentiments, mais surtout de les comprendre.
En attendant, j'écoute la pluie s'abattre sur le toit du cottage, installé sur le grand canapé du séjour. Sur le ventre, le haut de mon corps repose contre le bassin de Vincent. Je lis avidement mon livre, les mains appuyées sur son abdomen, pendant qu'il est occupé sur son téléphone. J'abaisse un peu l'ouvrage pour lever les yeux au-dessus des pages et l'espionner discrètement. J'observe ses pupilles bouger alors qu'il fait défiler l'écran avec son pouce. Que peut-il bien consulter ? Peut-être des conseils pour se débarrasser d'une amourette de vacances une fois qu'elles sont terminées ?
Je reprends un semblant de lecture, de façon à ne pas attirer son attention vers moi, et me permets de passer une main sous son tee-shirt légèrement relevé. Caché derrière mon roman, je dirige ma paume vers le haut de sa poitrine et explore sa peau en quête d'un indice sur ce qu'il s'efforce de dissimuler. À peine ai-je le temps d'atteindre le haut de son nombril qu'il plaque une main contre la mienne pour réfréner mon expédition.
— Tu cherches quelque chose, peut-être ?
L'intonation gênée qu'il emploie me décroche un sourire dont il ne peut témoigner.
— Non, je me demandais simplement si tu avais un troisième téton, avoué-je de but en blanc.
Il saisit vivement mon bouquin et laisse mon visage à découvert. Ses yeux se plissent, il me scrute comme pour vérifier si je suis sérieux ou si je plaisante. Les traits de son faciès deviennent confus et un sourire narquois se dévoile aux coins de mes lèvres.
Vincent délaisse son portable et chuchote :
— Tu peux répéter, s'il te plaît ? J'ai dû mal entendre. Tu as dit troisième téton ?
J'acquiesce pendant qu'il redresse légèrement son buste en resserrant sa main contre la mienne à travers le tissu de son vêtement, nous privant d'un contact charnel. La force qu'il montre dans sa prise devient plus raide à mesure que mes yeux le dévisagent.
— Évite de faire ça, dit-il en soutenant mon regard.
Je transgresse cet ordre.
— Montre-moi ce que tu caches.
— Allan, je ne cache rien. Alors arrête de fouiner sous mon tee-shirt.
Il regagne sa position d'origine tout en s'assurant d'empêcher mes doigts d'atteindre la zone de son estomac, puis glisse son bras libre derrière sa tête pour la surélever.
Ses yeux errent sur les poutres de la haute voûte, il est si calme que c'en est suspect. Peut-être qu'il ne cache vraiment rien et que je ne fais que m'imaginer des choses.
C'est possible, mais j'insiste tout de même :
— Ça veut dire que je ne verrai jamais ton torse ?
Il soupire.
— Non. Enfin, j'en sais rien, peut-être. On verra !
Ça fait beaucoup d'incertitudes.
— Tu ne me fais pas confiance pour m'en parler ?
— Ça n'a rien avoir avec toi.
Mon menton se repose doucement sur la partie inférieure de son abdomen et une moue se forme sur mes lèvres.
— Ce n'est pas juste, protesté-je. Toi, tu connais tous mes secrets, mais tu ne me partages aucun des tiens.
— C'est parce que je n'ai pas de secrets.
J'entrouvre la bouche en redressant mon visage, consterné par ce bobard.
— Ceux qui n'ont pas de secrets ne cachent pas une partie de leur corps.
Il pouffe.
— Et puis, il n'y a pas une nuit où tu ne parles pas dans ton sommeil, ajouté-je avec plus de timidité. Tu t'agites, tu radotes des syllabes incompréhensibles, parfois, tu sanglotes...
Les muscles de sa mâchoire se contractent.
— Ce ne sont que des mauvais rêves, affirme-t-il.
— Je ne crois pas. Aucun mauvais rêve ne peut rendre quelqu'un aussi triste que tu ne l'es dans ces moments-là.
Le silence s'alourdit, je regrette presque d'avoir forcé à le faire parler. Je cherche à captiver son attention, mais son regard se perd dans le vide. Il préfère probablement ne rien dire que de me lancer une phrase bateau que je vais sans doute protester.
— OK, je te montre ce que je cache, cède-t-il enfin. Mais tu ne poses pas de questions, on n'en parle pas, et après, tu passes à autre chose, impose-t-il.
J'acquiesce d'un signe de tête à ses conditions, pourtant, ça ne lui suffit pas.
— Je veux t'entendre dire que tu es d'accord, Allan.
Je lève les yeux au ciel avant d'exprimer un soupir.
— Je suis d'accord, Vincent. Tu ne veux pas non plus me faire signer une charte de confidentialité ?
— Tais-toi, sale gosse, ou je ne te montre rien !
Je mime une fermeture éclair sur mes lèvres, ce qui le fait rire.
Vincent saisit le bas de tissu de son tee-shirt puis, après un moment d'hésitation, l'élève progressivement jusqu'au-dessus de ses pectoraux. Les yeux rivés sur ces parties de son torse que je découvre pour la première fois, je redresse l'avant de mon corps afin d'analyser le sujet.
Il creuse son ventre au contact de mes doigts contre sa peau plus claire que son bronzage, mais son souffle se coupe lorsque mon index vient retracer la courbe d'une cicatrice verticale qui trône au centre de son plexus solaire. Elle est entourée de part et d'autre par une moitié de cœur tatoué en noir, comme si la foudre l'avait séparé en deux.
J'affiche un air perplexe, ne comprenant pas pourquoi il a tant de difficultés à montrer cette partie de son anatomie que je trouve sublime et poétique. La cicatrice ne doit pas faire plus que cinq centimètres. J'évite de toucher la blessure refermée lorsque les extrémités de mes mains viennent retracer les contours du tatouage.
— Ne bouge pas, j'ai une idée, décrété-je en me redressant du canapé d'un seul jet.
Je ne lui laisse pas le temps d'émettre un doute sur mes intentions et accède rapidement à ma chambre pour y dénicher un marqueur noir dans mon sac à dos. Une fois celui-ci trouvé, je me précipite sur le divan et chevauche le bassin de Vincent en passant mes jambes de chaque côté de son corps.
Il tressaille et je ressens son léger mouvement de recul. Ses pupilles ricochent de son torse, toujours à découvert, à mon feutre.
— Qu'est-ce que tu fais ? s'inquiète-t-il.
Si je ne suis pas autorisé à lui poser des questions sur la signification de ce cœur brisé, alors il n'a pas le droit de m'interroger sur mes intentions.
— Tu verras.
Je ressens tout son être se crisper sous le mien, sa voix n'a jamais été aussi pleine d'appréhension :
— Eh ! Ne fais pas n'importe quoi, fais attention...
Il inspire hâtivement l'air d'un coup sec, les dents serrées, quand la mine foncée de mon marqueur se pose sur sa peau pour retracer les contours de son tatouage. Subtilement, je m'assure de relier les deux parties ensemble de façon à former un cœur sans fissure, prenant soin de ne pas appuyer sur la boursouflure rosée.
Je termine par combler l'intérieur, puis je viens y déposer un simple baiser, comme pour finaliser mon ébauche. Ce moment s'immortalise dans mon esprit. Je ne pourrai jamais oublier la première fois où j'ai embrassé cette partie secrète de son corps. Ni les frissons de son épiderme au contact de ma bouche.
Je ne pourrai jamais oublier quoi que ce soit de lui, de nous.
Alors que je m'apprête à redresser mon buste, mon visage est pris d'assaut par les mains de Vincent qui s'assied, et ses lèvres trouvent les miennes dans une vivacité avec laquelle j'ai encore du mal à me familiariser.
Depuis le soir de la fête foraine, nous n'avons manqué aucune occasion de nous embrasser. Souvent, cela arrive sans raison, comme si le simple fait d'être moi méritait une telle attention. Maintenant, je devrais être habitué au goût de ses lèvres sucrées. Pourtant, chaque fois qu'elles entrent en collision avec les miennes, c'est comme s'il venait de me subtiliser mon premier baiser.
Malgré moi, les papillons qu'il provoque dans mon ventre me brûlent les reins. Mon corps s'enflamme au moment où ses mains dans ma nuque m'invitent à me rapprocher alors que nos langues sont déjà en train de danser. Une bouffée de chaleur traverse mon corps au fur et à mesure qu'il dévore ma bouche.
Il va me faire perdre la tête, mais je ne veux pas qu'il arrête.
Une tension charnelle se fait ressentir entre nous. Je n'ai jamais été autant en désaccord avec mon corps et ma conscience que lors de ce moment. Ses bras enlacent mon dos et ses articulations glissent habilement le long de mon épine dorsale, comme s'il chinait un endroit précis à déclencher sur mon corps qui m'obligerait à lui offrir ce qu'il veut de moi. Sa main appuie contre le bas de ma colonne et invite mon bassin à créer un mouvement contre le sien.
J'en ai un vertige. Qu'ai-je déclenché en reconstruisant son cœur ? Si ce n'est l'envie de fusionner et de nous rafistoler.
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