Chapitre 22 › Tel est pris qui croyait prendre

Vincent ramasse sa casquette et la place sur ma tête. Ensemble, nous empruntons le chemin de la gare, puis nous prenons place sur l'un des bancs délabrés du quai, sous lequel des néons blancs grésillent, dans l'attente d'un train qui nous ramènera au chalet.

La redescente de l'anxiété fait trembler mon corps jusqu'à m'en faire claquer des dents, un effet indésirable qui m'arrive fréquemment après une crise de panique. Vincent m'entoure de ses bras, semblables à un refuge. J'ai l'impression de découvrir un monde prêt à m'ouvrir ses portes et à me laisser reprendre mon souffle lorsque j'en ai besoin.

— Tiens, dit-il en dénouant son sweat vert canard de sa taille, mets donc mon pull par-dessous ta veste.
    — Non, garde-le, il fait frais.
    Sa langue claque contre son palet.
    — Ne discute pas, Morelli.

Je grogne à son objection, puis procède à l'enfilage de son vêtement que je recouvre ensuite de ma veste. Pour ne rien arranger, il prend grand soin de surplomber les couches de tissu avec son bras, un geste auquel je ne résiste pas et qui me pousse finalement à me blottir contre lui.

On est en été et je suis sapé comme en hiver, grosse ambiance les vacances.

— Merci, soufflé-je.

Mes mains se dissimulent dans les manches de son sweat-shirt, je me laisse complètement aller contre son épaule qui soutient ma tête. Je dois lâcher prise et accepter cette main qu'il me tend, bien que cela soit étrange après plus d'un an à me cacher. Je dois me rendre à l'évidence que j'ai besoin d'aide, besoin d'une épaule sur laquelle pleurer et d'un pull dans lequel me blottir.

Coupable de ne le laisser porter qu'un fin tissu à une heure aussi tardive, je murmure :

— Désolé. À cause de moi, tu dois avoir froid.
    Il tourne son visage dans ma direction et cherche mon regard.
    — J'ai pas froid, alors ne t'inquiète pas.
    — Bien sûr que si, contredis-je en pointant son bras du doigt. Regarde, ta peau à la chair de poule.
    Il constate son épiderme granuleux, puis prend un ton direct :
    — Oh, ça ! s'exclame-t-il, un sourire au coin des lèvres. C'est rien, c'est parce que t'es contre moi.
    — Pff. Tu n'es rien d'autre qu'un beau parleur, Belvio.
    Il pouffe, puis avoue :
    — Bon, d'accord. C'est aussi parce que t'es mignon dans mon pull.
    — Mignon, hein ? douté-je.
    — OK. Je te trouve smashing. Le simple fait de te voir porter mon pull me donne plus chaud que si je le portais moi-même.
    Un ressenti crispant me tord le ventre, en désaccord avec mes pommettes qui s'enflamment. Je détourne la tête, les traits renfrognés de ne pas réussir à départager mes émotions :
    — Arrête de parler, abruti.

Vincent vient embrasser ma tempe, puis glisse ses doigts sous mon menton afin de surélever doucement mon visage vers le sien. Il dépose un million de tendres baisers contre mes lèvres, teste mon reste de force encore disponible selon l'intensité des pressions que j'offre à sa bouche.

Je n'ai jamais goûté pareil plaisir, celui d'exister pour quelqu'un.

***

Notre wagon est quasiment vide, à l'exception d'un groupe d'adolescents qui sont revenus de la fête foraine et qui rient bruyamment un peu plus loin.

Je ne sais plus me resituer dans le temps, je ne cesse de m'assoupir contre l'épaule de Vincent et de me faire réveiller par les secousses du train. Tout mon être est dépourvu de puissance.

Ça m'énerve, sans que je puisse l'exprimer.

Je suis pourtant habitué aux effets d'après-crise ! Je les connais par cœur, je sais gérer quelque chose que je vis quotidiennement. Seulement là, ça me donne la sensation d'être dépouillé de toutes mes forces.

Je me redresse plus aisément sur mon siège et frotte mon visage de mes mains, espérant me raviver la conscience.

J'ai tellement soif, ma bouche est pâteuse.
On aurait dû prendre une bouteille d'eau.

Seule la noirceur de la nuit règne à travers notre moyen de locomotion, ça ressemble étrangement à ce que je peux avoir dans le crâne.

Il pleut dans mon cœur, mais Vincent est le soleil qui me permet de ne pas totalement sombrer.

Je me remémore la scène précédant notre baiser. J'essaie de cacher ma nervosité quant à l'idée qu'il ait pu être témoin d'une de mes crises d'angoisse, cependant, mes mains tremblent.

Ainsi, je prends une voix basse et demande de but en blanc ce qui me turlupine :

— Comment est-ce que tu as su ?
    Son reflet dans la vitre contre laquelle ma tempe est appuyée montre qu'il baisse les yeux.
    — Sois plus précis.
    — Tu sais précisément de quoi je parle.
    — Si tu as quelque chose à me demander, Allan, fais-le sans sous-entendu et sans crainte.

Je l'entends dans sa voix légère et fluide, alors que la mienne est pour ainsi dire désagréable. Il se met à masser la paume de ma main qu'il tient entre les siennes, mais je la retire pour qu'il arrête.

Il doit penser que mes doigts s'engourdissent, mais c'est toute mon âme que je ne sens plus, et elle, on ne peut pas la masser.

— Arrête, s'il te plaît, lui ordonné-je sèchement.

C'est contre moi-même que je suis en colère. J'aurais aimé lui faire vivre autre chose que tout ça, quelque chose de plus solaire que mes nuits noires.

Même une éclipse m'aurait suffi.

— Comment as-tu su pour les cinq reconnaissances ? Personne n'est au courant de ça.
    — Je t'ai vu en le faire, m'avoue-t-il en se tournant un peu plus vers moi.
    Mes sourcils se froncent.
    — Quand ça ? Tu m'as espionné ?
    Il pose une main sur mon genou et se penche vers moi comme pour me révéler un secret.
    — Non, c'était pas voulu. Le soir où tout est parti en vrille, je suis monté me coucher après toi. J'ai été fumer une dernière clope sur le balcon avant de dormir et là, je t'ai surpris. J'ai tout vu et tout entendu.

Troublé par son explication, mon cerveau a du mal à remettre ces dernières semaines passées dans l'ordre.

De ce fait, je l'interroge :

— Alors, le mégot que j'ai trouvé par terre, c'était toi ?
    — Ouais, c'était moi. J'ai voulu te laisser un indice, mais t'as jamais fait le rapprochement.
    — Comment j'aurais pu le faire ? râlé-je, quelque peu agacé. Tu n'es pas le seul fumeur du chalet !
    — Certes, mais je suis le seul à fumer des Camel Blue.

Ah. Je n'avais pas pensé à jeter un œil à la marque sur le mégot.

J'exhale un soupir et réfléchis à ce que nous avons vécu depuis. J'ai du mal à réaliser que durant tout ce temps où je pensais que Vincent me devinait, il était simplement au courant de mon secret sans que je le sache.

Il est gentil avec moi parce qu'il a pitié.

— Alors, tu sais tout depuis le début, glissé-je d'un timbre nuancé de tristesse.
    — Oui.
    — Ça ne te fait pas peur ?
    Je suis pris de nausées d'avoir osé poser cette question qui me terrorise.
    Sa réponse fuse sans hésitation.
    — Non.
    — Tu es plus stupide que je ne le pensais, Belvio.
    — Allan, arrête de te flageller.
    Ma gorge se noue. Je me surprends à m'entendre parler d'un timbre nasillard :
    — J'aurais préféré ne jamais savoir que tu étais au courant. Quel type de personne es-tu, Vincent ? je plante mes yeux dans son regard avant de continuer. Le genre à avoir une espèce de syndrome du sauveur ?
    Ses traits froissés marquent son incompréhension.
    — Mais non ! Pas du tout, Allan...
    Je lui coupe la parole.
    — J'ai l'impression que si l'on en est là maintenant, c'est parce que tu as eu pitié de moi. Ça me rend super triste.
    Vincent saisit mes mains tremblantes et les serre fermement dans les siennes.
    — Entends-moi bien : il n'y a rien venant de toi qui me donnes envie de m'éloigner. Si je suis là, c'est parce que je l'avais décidé bien avant de connaître ton secret. OK ?

Ces mots me secouent.

Je hoche la tête, mais je ne peux m'empêcher de me demander à quel prix vais-je devoir payer la confiance que je lui accorde.

La musique bat son plein aux portes du chalet, il semblerait que nous ne soyons pas les premiers arrivés. Les rires s'entremêlent à des hurlements qui ressemblent à une prise de tête.

Ça ne va rien arranger à mon mal de crâne.

Nous pénétrons dans l'entrée, et je me dissimule sous la casquette de Vincent comme une tortue qui tente de rentrer dans sa carapace. Tout ce que je souhaite, c'est m'enfermer dans ma chambre.

Je veux contourner le séjour par la cuisine quand je reconnais la voix de Solène qui prend ma défense auprès de Gabriel :

— Je m'en fous de tes excuses bidon ! Pour moi, tu as franchi la limite en amenant Clémence ici !

Clémence est là ?

Cette info me fait instantanément trembler. L'idée qu'elle puisse rester relance mon pouls à toute vitesse. Pourtant, je scrute la pièce, mais aucune trace de la rousse.

— Lâche ma veste, tu veux ? C'était qu'pour rire, justifie-t-il. J'pouvais pas savoir qu'il allait réagir comme un dégénéré.
    Solène pose sa paume contre son front et se tourne vers Roxanne :
    — Pourquoi tu ne dis rien ? On est chez toi, c'est à toi de décider si elle reste ou non.
    La blonde hausse les épaules sans même lever les yeux de son écran de téléphone.
    — C'est qu'une ex.
    — Non ! s'oppose Solène. C'est celle d'Allan, notre meilleur pote, tu t'en souviens ?
    Roxanne se fâche, faisant de grands gestes avec ses bras :
    — Ouais, je m'en souviens ! Mais comme je l'ai dit : c'est qu'une ex avec qui il n'est même pas resté six mois ! Y'a pas de quoi en faire un drame !

Mon cœur se serre à l'entente des propos de mon amie. Dans le fond, je ne peux pas lui en vouloir de minimiser le problème puisque je lui ai laissé croire que ma rupture avec Clémence n'avait pas eu autant d'impact que je prétendais.

Je m'apprête à intervenir pour calmer le jeu quand Camille me devance pour ajouter son grain de sel :

— Ça devient relou votre histoire, c'est quand même pas notre faute si on l'a croisée à la fête foraine !
    — On s'en cogne de ça, surenchérit Nicolas, assis sur l'un des canapés gris. Gab n'avait pas à la ramener ici ni à s'en amuser pour atteindre Allan. C'est lui, le dégénéré.

Ce dernier serre les dents, prêt à de nouveau bondir sur Nicolas, mais il est retenu par les autres garçons qui lui suggèrent de laisser tomber. Ce qu'il fait.

Je me sens coupable. Depuis le début, je ne suis qu'un sujet de discorde au sein du groupe.

Si seulement j'étais comme tout le monde...

— Arrêtez de vous disputer à cause de moi ! interpellé-je spontanément.

Surpris, tous se retournent dans ma direction. L'expression d'étonnement sur leurs visages illustre qu'ils ne m'avaient pas vu arriver, sans doute trop pris par leur querelle.

À mes côtés, Vincent serre ma main dans la sienne et chuchote :

— Tu n'es pas obligé de faire ça, Allan.

Si, Vincent, il le faut pour ne plus gâcher les vacances de mes amies. Elles les attendaient avec tant d'impatience, je leur dois bien ça.

La baie vitrée de la terrasse s'ouvre et laisse percevoir des rires qui proviennent de l'extérieur. Jade entre en compagnie de Clémence qui me repère tout de suite et s'adresse à moi avec exagération :

— Ally ! T'en tires une tronche, t'es pas content de me voir ?

Je déglutis avec difficulté, anxieux à l'idée de la savoir dans la même pièce que moi. Je me sens incapable de la regarder, c'est plus fort que moi au point où je me rabaisse en fixant le sol. Ma nuque est moite, des gouttes de sueur dégringolent jusque dans mon dos alors que je tranche dans le vif du sujet :

— Roxanne a raison, ce n'est qu'une ex. Elle peut rester, ça m'est égal.

Dans le train, j'ai commandé à Vincent de ne pas réagir, quoi qu'il puisse se dire. Mais le fait que Clémence tente une approche tactile avec moi alors que je souhaite regagner ma chambre est la petite goutte qui fait déborder le vase. Il la repousse avant même que je ne puisse riposter, la faisant retomber sur le sofa duquel elle s'était levée pour m'atteindre.

Menaçant, il la met en garde :

— Crois-moi, tu n'as pas envie que je m'occupe de ton cas. Alors, garde tes distances.

J'en ai le souffle coupé, au même titre que les autres résidents du chalet qui n'osent pas contester leur interaction. Le rire qu'elle lui desserre en guise de réponse me glace le sang et me force à presser le pas afin de rejoindre ma chambre, devenue mon aire de repos.

À l'abri des regards, je vide mes poumons de l'oxygène que j'ai retenu. Toute mon attention se tourne vers Vincent qui referme la porte derrière lui. Je le fixe, un peu troublé de le voir pénétrer en ce lieu pour la première fois.

Je dois tout lui expliquer.

Je balance ma veste à travers la chambre, puis retire la casquette en ébouriffant d'une main mes boucles qui ont dû s'aplatir. Le corps las, je me laisse tomber sur le rebord du lit sur lequel je m'assieds et où Vincent me rejoint en s'installant à mes côtés.

Il passe une main dans mon dos vouté et s'enquiert :

— Ça va ? Je t'ai trouvé très courageux tout à l'heure.
    Je hoche à peine la tête.
    — Merci, j'ai fait ce qui m'a semblé être le mieux.
    — Le mieux pour tout le monde, sauf pour toi..., souligne-t-il.
    Je profite de retirer le pull qu'il m'a prêté pour ignorer sa remarque que je n'ai ni l'envie ni la force de débattre.
    — Tiens, merci de me l'avoir prêté, dis-je en lui tendant son bien.
    — Garde-le, il te va mieux à toi qu'à moi.

Un rictus contagieux se hisse au coin de sa bouche.

Le silence qui s'installe asphyxie ma poitrine et laisse la place à un sujet que je ne cesse de repousser. J'ai tant de fois imaginé avoir cette conversation avec mes proches, mais je ne m'attendais pas à la tenir pour la première fois avec quelqu'un que je ne connais que depuis trois semaines – et qui plus est, m'a embrassé.

Pourtant, j'ai toute son attention. Il me laisse le temps qu'il me faut pour trouver mes mots, bien que son regard tente de lire sur mon visage tout ce que je n'arrive pas à dire avec ma bouche.

Je verrouille mon attention sur mes doigts que je mutile en grattant la peau autour de mes ongles et révèle mon lourd secret :

— Clémence est sortie avec moi pour gagner un pari. Tout ça a eu un effet boule de neige, je me suis fait harceler durant des mois suite à un chantage. J'ai songé plus d'une fois à mettre fin à mes jours...

Les larmes montent instantanément. Je souffle l'air qui m'oppresse en fixant le sol, les lèvres et la voix chevrotante :

— Seulement, je n'ai jamais eu le cran de me foutre en l'air.
    Ma gorge est opprimée et mon ventre se contracte par les sanglots que je retiens. J'ai le désagréable sentiment que mes angoisses ne sont pas légitimes.
    — Laisse tomber, c'est ridicule, regretté-je.
    Il saisit aussitôt mes mains.
    — Non, Allan. Aucune de tes émotions n'est à mettre en sourdine. Je suis prêt à t'écouter, si tu te sens apte à te confier.
    Je hoche la tête à ses mots réconfortants et réessaie, le timbre nasillard :
    — C'était à la fin de ma deuxième année au lycée. Elle m'a demandé mon avis sur un de ses dessins pour le cours d'art appliqué. J'ai trouvé ça étrange, elle était plutôt appréciée au lycée et moi... plus discret. Plus intello, précisé-je en formant des guillemets avec mes doigts.
    — C'est compréhensible, commente-t-il en m'accordant un temps de pause. La plupart des gens auraient ressenti la même chose.
    — Avant elle, je n'avais jamais été en couple ni même eu de béguin. Tout se passait bien lorsqu'on n'était que tous les deux, mais c'était plus compliqué avec ses fréquentations. Ils ne m'appréciaient pas, et pour cause, à l'anniversaire de Clémence, j'ai surpris une conversation entre trois d'entre eux...

J'ai du mal à avaler ma salive, les larmes dévalent mes joues réchauffées par l'émotion. Vincent tente de chercher un mouchoir dans la pièce, mais je l'arrête.

Tout ça doit sortir. Je dois me libérer de ce poids qui me ronge.

— Grosso modo, ils parlaient d'un pari lancé avec Clémence qui durait depuis trop longtemps. J'étais loin de m'imaginer que tout ça me concernait avant que l'un d'eux précise qu'elle n'aurait jamais le cran de me dépuceler pour ensuite me jeter, comme c'était prévu.

    Mon souffle tremble, je ressens tout le poids de ce secret s'échapper de mon être, ça me déchire les entrailles.

    — Clémence a fini par avouer que toute notre histoire n'avait été qu'un tissu de mensonges, que je n'étais qu'un divertissement. Je crois que j'ai subi une sorte de choc émotionnel. Deux jours plus tard, j'ai vécu ma première crise d'angoisse, et ça ne s'est jamais arrêté depuis. Au contraire, ça s'est amplifié. Voyant à quel point je réagissais mal à la nouvelle, Clémence et ses amis ont eu peur que j'en parle à mes parents qui sont de très bons avocats.
    — Alors, ils t'ont fait chanter, déduit-il.

    Je hoche la tête. Les muscles de mon corps se contractent par la douleur émotionnelle qui me parcourt, me faisant trembler.

    — Ils ont dit qu'ils raconteraient à tout le monde que j'ai abusé de Clémence si je venais à parler du pari à qui que ce soit.

Mon cœur implose dans ma poitrine.

Tout est encore si frais dans mon esprit que j'ai l'impression de ressentir la présence de mes harceleurs tout autour de moi. Mes mains viennent recouvrir mon visage enseveli sous les pleurs.

J'entends Vincent murmurer un « Bande d'enfoirés » tandis qu'il se déplace jusque dans mon dos. Ses jambes entourent mon bassin et se calent le long des miennes, ses bras dans lesquels je me laisse complètement aller m'étreignent avec prudence.

— Tu veux me parler de ce qu'ils t'ont fait ? demande-t-il en positionnant son profil contre le mien.

Je pourrais presque croire qu'il me berce lorsque je me confie de nouveau, rassuré par sa présence :

J'ai vécu une année de terminal étouffante. Ils ont constamment cherché à m'humilier et à me faire peur, que ce soit en ligne ou en cours. J'étais tellement mal que je vomissais tous les matins dans les toilettes du lycée, juste à l'idée de les croiser. J'ai vécu dans une peur constante où je n'ai fait que me réduire à un objet inutile dont tout le monde se fout.

Ma respiration est haletante, je me presse de déballer ce que j'ai sur le cœur depuis trop longtemps :

— Comment aurais-je pu confier à mes proches que je suis inintéressant au point que l'on ne veuille de moi que par le biais d'un pari ? Je ne suis qu'une peau, un corps vide que l'on manipule en oubliant l'esprit, en oubliant le cœur qui bat. Alors, j'ai arrêté de penser que l'on me voulait du bien, que l'on voulait de moi par simple désir d'être en ma présence...

Vincent saisit sitôt mon menton pour me forcer à le regarder et ancre ses yeux dans les miens.

Il réfute :

— Moi, je le veux. Tu n'es rien de tout ça, Allan, t'entends ? Ce qu'il t'est arrivé est abject. Ils continuent de te harceler ?
    — Non, ils ont arrêté récemment. J'avais coupé mes réseaux sociaux durant un temps et j'ai passé le reste de l'année en me faisant le plus discret possible. Ils ont dû se lasser en sachant qu'on ne se croiserait plus une fois à la fac. En attendant, avec mes crises, c'est comme s'ils étaient toujours là...
    — C'est une façon pour ton corps de te préserver.
    — Je le déteste, il me fait souffrir ! le coupé-je, la voix pleine d'émotions. Je n'en peux plus, je suis épuisé par tout ça.
    — Allan, t'énerver ne fera rien disparaître, au contraire.
    Je ne réponds pas, les traits offusqués.
    — Clémence aussi, elle t'a harcelée ? m'interroge-t-il.
    — Disons qu'elle n'a jamais rien fait pour que je ne le sois pas.

Parler de tout ça pour la première fois me rend nerveux.

J'amène mon index entre mes dents et y arrache la peau que j'ai préalablement grattée. Le goût du sang parvient jusqu'à ma langue quand Vincent retire ma main pour m'empêcher de me bouffer les doigts.

— Arrête de te faire du mal, dit-il d'un ton incisif. T'es loin d'être qu'un corps vide, Allan. Il y a une lueur en toi que tu te dois de raviver, même si certains ont tenté de l'éteindre. Quant au sexe, tu es le seul à décider de ce que tu veux donner à tes partenaires, tu as le droit de dire non. Et ça, même après avoir dit oui.

Mes yeux deviennent des fentes, il n'a toujours pas relâché son emprise autour de ma mâchoire et continue de me détailler de ses yeux.

— Pour toi, ça signifie quoi le sexe ?
    Ses pupilles ricochent de mes lèvres à mes iris, puis il réplique :
    — Ça doit être une merveilleuse fusion.
    Ça doit être ? Est-ce que lui aussi, il est...
    — Quoi qu'il arrive, reprend-il comme pour ne laisser aucune place au silence, écoute ce que ton corps a à te dire, il ne te trahira jamais.
    J'assimile ses mots et déclare spontanément :
    — Mon corps me dit qu'il a envie de t'embrasser.

Son rire est franc. Voir son visage s'illuminer de la sorte entraîne mon cœur dans une cadence irrationnelle. Il abandonne son corps sur le matelas et m'entraîne dans son plongeon.

Ma bouche tombe contre la sienne, mon corps n'a pas menti.

Vincent est sans aucun doute la meilleure personne à qui je pouvais confier mes traumatismes. Là, allongé l'un contre l'autre, je relâche la pression. Vincent emmêle ses doigts dans mes boucles, puis dépose sa paume contre mon front qu'il longe jusqu'à ma nuque mouillée.

— Tu es trempé... Tu veux pas aller prendre une douche ?
    Je grogne, n'ayant pas envie de bouger.
    — J'ai la flemme.
    — Allez, lève-toi, insiste-t-il. La salle de bains est juste à côté.

Ce n'est qu'après quelques plaintes que je me décide à me relever pour quitter la chambre, ravi de constater que le peuple du chalet ait déplacé leur fin de soirée auprès d'un feu sur la plage.

J'essuie le dessous de mon nez avec un mouchoir en voulant entrer dans la salle de bains quand je constate que la porte est fermée. Pensant que la pièce doit être occupée, je me rabats à celle à l'étage. Seulement, excepté la chambre de Vincent, je n'ai aucune idée de l'emplacement de la seconde pièce d'eau.

Ainsi, je procède par élimination et trouve logique de me diriger vers la porte à l'autre bout du couloir. Je suis si sûr de moi que je pénètre franchement dans la pièce, tombant nez à nez avec un tableau que je ne suis pas près d'oublier. Mes yeux s'écarquillent de surprise en même temps que mes lèvres s'entrouvrent. Ce n'est pas l'endroit que je cherchais, c'est la chambre des sportifs.

J'y avise Camille et Gabriel qui échangent un baiser ardent et qui, tout aussi confus que moi, s'éloignent précipitamment l'un de l'autre en espérant sauver les apparences.

Je referme aussitôt la porte et ne peux retenir ma stupéfaction.
— Saperlipopette !

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