Chapitre 1 › Entrer dans sa zone d'inconfort
— Allan !
Mon corps ne fait qu'un bond lorsque j'entends hurler mon prénom, alors que je dormais. Je vais devoir affronter les foudres de ma mère pour mon manque d'organisation. J'ai omis, encore une fois, de mettre un réveil. J'entame ma journée avec un soupir et je me fais violence pour quitter le confort rassurant de mon lit. Chaque matin commence à peu près de la même façon : ma mère crie mon nom au pied des escaliers, je sursaute entre les couvertures, puis j'ouvre progressivement mes paupières encore endormies et m'arrache à toute commodité.
Je tente de déplacer mon bras gauche vers mon visage fatigué, mais il ne daigne pas se mouvoir du haut de mon crâne, toujours anesthésié par la position prise durant la nuit. Dans l'attente de récupérer la validité d'un de mes membres, je saisis ce prétexte pour me pavaner quelques minutes de plus entre les draps. C'est sans compter sur un deuxième appel de ma génitrice dans les escaliers. Celui-là étant plus terrifiant que le premier, j'ai intérêt à descendre rapidement.
Je finis par capituler sous la menace et me redresse sur mes deux jambes. Les rayons du soleil réchauffent ma chambre située sur les toits. L'été est là, je pourrais reprendre ma routine annuelle : me dorer la pilule dans mon jardin, caché entre les cerisiers, avec musique et livres en guise de compagnie. Le tout sans m'encombrer du lycée et de sa population ou encore des diverses fêtes auxquelles je ne vais jamais.
Pourtant, il y a une ombre au tableau qui me chiffonne au point de ne pas vouloir me lever ce matin, et ce n'est pas à cause de la voix agacée de ma mère, de nouveau insistante :
— Dépêche-toi de te lever, Allan ! Tes amies ne vont pas tarder à arriver.
— J'arrive, pas la peine de crier, soupiré-je.
Cette année, j'ai accepté d'accompagner Roxanne et Solène dans leur escapade au bord de la mer. Nous avons droit au chalet privé des grands-parents de la première, afin de pouvoir vivre pleinement la fougue de notre jeunesse. Une offre alléchante pour un dernier été avant d'entrer à la fac : deux bonnes amies, une maison rien que pour nous et la plage à proximité. Que demander de plus ?
Devoir socialiser ces deux prochains mois.
Où avais-je la tête en acceptant ? Je me suis mis dans un sale pétrin ! J'ai refusé une bonne dizaine de fois la proposition de Roxanne durant des mois. Je déteste quand elle s'obstine de la sorte afin d'obtenir ce qu'elle veut, c'est fou comme elle est butée quand elle a une idée en tête ! J'ai finalement cédé quand elle m'a montré le diaporama qu'elle a créé pour énumérer tous les avantages que j'aurais en acceptant. Compte tenu de notre amitié, je me suis résolu à lâcher prise seulement pour lui faire plaisir. Ce qui lui importait peu, tant qu'elle pouvait m'emporter dans ses bagages.
D'une allure nonchalante, je rejoins le rez-de-chaussée, comparable à une véritable fourmilière. Ma mère s'active pour s'assurer que je ne meurs pas de faim durant le trajet, tandis que ma grand-mère maternelle, Adeline, fouine dans ma valise pour que je n'oublie rien. À peine je lève les yeux au ciel qu'elle m'en fait la remarque de son accent franco-italien :
— Non alzare lo sguardo ! (Ne lève pas les yeux !)
Rien ne lui échappe. Si j'avais soupiré, elle m'aurait lancé son regard soucieux, assombrissant ses yeux que j'aime tant, éclatants et vieillis par son âge avancé. Il a toujours été son atout pour arriver à ses fins, je ne peux presque rien lui refuser lorsqu'elle m'observe de cette façon.
Malgré tout, il me semble correct de la freiner dans son élan :
— Nonna, je n'ai pas besoin d'autant de vêtements ! Il n'y a même plus de place pour mes livres. Arrête maintenant, s'il te plaît.
— C'est ça, le problème. Tu ne jures que par tes livres !
Ne pas rouler des yeux me demande un effort surhumain.
— Ils sont de bonne compagnie.
— Les gens aussi, fait-elle remarquer.
Je lui adresse un léger sourire qu'elle me rend avant de prendre ma main entre les siennes, naturellement tremblantes. Elle me traite comme si j'allais revenir des décennies plus tard, mais je ne pars qu'un mois. J'aime cette femme, peut-être plus que ma mère. Elle est ma figure maternelle, notre lien ne fait que se renforcer chaque jour qui passe.
Alors que je me préparais à enfin saluer ma génitrice, son téléphone se met à sonner. Encore une fois, celui-ci empêche notre relation d'accéder à quoi que ce soit d'autre qu'un mur sans fenêtres. Elle me fait un bref signe de la main pour traduire le fait que je dois manger quelque chose, tout en négligeant mon air décomposé, pourtant visible. Je n'ai jamais été proche de mes parents, tous deux avocats et surtout obsédés par leur carrière, aux dépens de leur famille. En fin de compte, ils ont fini par divorcer ; le travail qui les a unis est aussi celui qui les a séparés.
Je n'avale rien, bien évidemment, juste pour le bon plaisir de désobéir à ma mère. Adeline pousse vers moi, en toute discrétion, un verre de jus d'orange qu'elle a elle-même pressé la veille avec soin, comprenant que je ne compte rien ingurgiter. Elle me regarde avec son air préoccupé et je plisse les yeux, comme pour dire que je sais ce qu'elle essaie de faire. En définitive, je capitule et prends la boisson.
— Tricheuse, l'accusé-je.
Elle hausse les épaules, satisfaite. Cette mine lui donne toujours l'air de la mamie gentille des dessins animés de mon enfance, celle que l'on ne peut que chérir.
Les minutes qui passent forgent une anxiété naissante au sein de mon ventre. À l'étage, je me prépare en prenant mon temps, espérant que cette technique puisse miraculeusement arrêter toutes les horloges du monde. C'est sans compter sur les multiples messages de Roxanne qui ne cesse de me harceler pour me rappeler à quel point ces vacances vont être mémorables.
Je laisse échapper un sifflement de plainte avant de soliloquer à voix basse :
— Mémorable, mémorable... Ça dépend pour qui.
Une œillade sur la nouvelle notification qui vient d'apparaître sur mon écran m'indique que mes amies sont en route pour venir me chercher. La boule dans mon abdomen m'inflige un coup qui me fait grimacer. Même mon reflet dans le miroir de la salle de bains n'y échappe pas. Mes mains chevrotantes se posent contre le rebord du lavabo. Là, je me regarde bien en face et observe les cernes sous mes yeux qui racontent les histoires de mes cauchemars incessants. Ma bouche est rougie et légèrement gonflée, lassée de se faire charcuter par mes angoisses.
J'inspire dans l'espoir de trouver une quelconque sérénité cachée dans mon corps. Je fais mine d'aller bien, m'entraîne à sourire dans le miroir, tente de coiffer mes boucles brunes derrière lesquelles je masque mon regard fatigué.
Malgré mon envie de retarder le moment de mon départ, la sonnette de la maison finit par retentir. Mon cœur en loupe un battement. La voix de ma mère tonne pour la deuxième fois depuis le rez-de-chaussée :
— Allan ! Tes amies sont là !
Il est l'heure pour moi de dire au revoir à ma sérénité pour les quatre prochaines semaines.
En bas, Solène et Roxanne discutent avec ma génitrice du programme qu'elles ont prévu pour notre escapade. Caché, le dos collé contre une cloison, j'écoute ce que mon avenir me réserve :
— Il y a la plage juste en face du chalet. On va se faire quelques baignades et prendre des couleurs, explique Roxanne.
— Est-ce qu'il y a d'autres résidences autour de vous ou est-ce que vous serez seuls ?
Ma mère ne semble pas rassurée, je l'entends à sa manière de piocher subtilement des informations quant à notre localisation.
— Ne vous inquiétez pas, madame Morelli ! Il y a d'autres chalets aux alentours qui seront occupés pour les vacances.
— Très bien. Roxanne, tu as mon numéro ? N'hésite pas à m'appeler s'il y a un problème.
Je serre les dents, agacé qu'elle puisse m'infantiliser devant mes amies. La blonde n'a pas le temps de lui répondre que je m'empresse de descendre les escaliers et d'interrompre leur conversation.
Je salue mes amies d'une main à peine levée et affiche un semblant de sourire avant de marmonner :
— Vous êtes prêtes ?
Toutes deux sautillent, une expression enjouée s'empare de leurs visages. Solène saisit mes épaules et, impatiente, exprime sa bonne humeur :
— C'est quoi cette petite mine ? demande-t-elle en venant pincer ma joue. Ce sont nos premières vacances ensemble ! On va s'éclater, tu crois pas ?
— Oui, ça va être génial. Je suis juste mal réveillé.
Quel enfer.
— Le train arrive en gare dans vingt minutes, annonce Roxanne qui consulte son téléphone.
Mes deux amies ramassent leur valise et se précipitent à l'extérieur. Mon thorax est comme dans un étau que l'on resserre ; leur enthousiasme, le bruit de la cafetière que ma mère met en route pour sa troisième tasse de la matinée, Nonna qui râle en italien contre sa fille. Tout ça m'oppresse et enferme mon esprit dans une pièce étroite de mon cerveau, de laquelle j'ai du mal à me déloger.
— Tu ne vas pas partir sans me dire au revoir ? s'inquiète Adeline.
Je bats des cils, affectés par la réalité qui vient de resurgir à travers la voix de ma grand-mère. Je la regarde avec affection. Cette vue-là va me manquer ; sa peau marquée par le temps et ses cheveux bouclés qu'elle teint avec des reflets rouge foncé.
— J'aimerais ne pas te dire au revoir du tout, Nonna.
Quitter Adeline est si délicat que j'aurais préféré partir de la maison pendant son sommeil. Je ne suis pas très habile pour trouver les bons mots dans ces circonstances, alors je la prends dans mes bras et resserre notre étreinte quelques secondes, dans le but de lui faire comprendre que le cœur y est. Je finis par embrasser son front, qui m'arrive au niveau du cœur.
— Non preoccuparti, Nonna, la rassuré-je. On se revoit très vite. (Ne t'inquiète pas)
— Sì. Allan, ne t'enferme pas dans tes livres, amuse-toi avec tes copines, d'accord ?
Mes mains remontent jusqu'à ses épaules afin de pouvoir mieux la regarder et, ainsi, lui enlever toutes inquiétudes :
— Ces vacances vont très bien se passer, alors ne t'en fais pas pour moi.
Ça va être horrible.
— Bon, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?
La jeune et enthousiaste voix joviale de Solène me sauve la mise. Il est temps pour moi de m'arracher à ma zone de confort. Les filles trépignent d'impatience et m'indiquent l'heure sur leur téléphone portable à chaque minute qui défile. Elles sont telles deux gamines devant ma porte d'entrée, m'implorant de les rejoindre. Je les comprends, elles attendent ce voyage depuis tant de temps qu'elles ont lancé le décompte avant le grand départ depuis plus de trois mois, me rebattent sans cesse les oreilles avec ça. Bien que le programme ne m'emballe pas, je ne compte pas ternir leur joie de vivre.
Je salue ma mère d'un rapide signe de la main. Elle ne me rattrape pas, toujours collée à son téléphone.
— Amuse-toi bien, chéri ! lance-t-elle, sans même me considérer.
Je fais volontairement le sourd.
Nous prenons le chemin de la gare. Petit bagage et sac à dos pour moi, grosse valise plus sac à dos pour mes deux camarades. Elles accélèrent le pas, pressées d'arriver. Téléphone à la main et en excellentes organisatrices qu'elles sont, elles repassent tout le programme de la journée afin que tout se déroule comme sur des roulettes, ce qui, pour une fois, est vraiment une très bonne initiative.
Solène se met tout à coup à courir et elle s'époumone, la voix un peu recouverte par le bruit de sa valise à roulettes qu'elle tire avec vigueur :
— Nous partons pour une nouvelle aventure !
Je laisse échapper un rire en même temps qu'elles, aucunement surpris par la référence au Hobbit, l'un de ses films préférés.
— Je suis quasiment sûr qu'elle porte déjà son maillot de bain, ajouté-je sur un ton amusé.
— Parce que tu penses que ce n'est pas mon cas ? réplique Roxanne, taquine.
Je hausse les épaules dans l'idée de l'embêter, un rictus coincé à la commissure de mes lèvres :
— Ah ! Et tu as pensé à prendre ta bouée licorne ou tu optes pour le flamant rose, cette année ?
Elle me donne un léger coup de poing dans le bras.
— C'est ça, moque-toi ! C'est toi qui vas me servir de bouée, si tu continues !
L'ambiance est à la légèreté et la plaisanterie. Cependant, plus nous nous rapprochons de la gare, plus je me sens stressé. Ma poitrine, capturée par la peur, se resserre. Toute une multiplicité de sentiments avec lesquels je suis en total désaccord se mêle dans ce voyage. Mon cœur est résolu à me les retranscrire dans la douleur. Malgré cela, je ne dois pas et ne peux plus me défiler, maintenant que la devanture de la gare se présente à nous.
J'inspire un grand coup, bien que tout mon corps me crie de prendre mes jambes à mon cou. La gare de Bièvres et sa petite façade aux détails bleu ciel vont me manquer. Mon jardin isolé en région parisienne également. La prochaine étape consiste à supporter les quelques heures de trajet avant d'atteindre le coin de paradis décrit par Roxanne.
Je suis à même de surmonter ça, après tout, je suis désormais presque majeur et bientôt destiné à intégrer une fac d'art. Alors, un train de quelques personnes ne va tout de même pas me rendre malade, si ?
Espérons que non.
Dans un transport, je m'assieds toujours côté fenêtre. Je ne supporte pas le vide qui mène à l'allée du centre. Comme si ce n'était pas prévisible, le minois de Roxanne se décompose en me voyant sortir un livre de mon sac pour passer le temps durant le voyage.
— J'espère que tu ne vas pas encore passer tout ton temps à lire ? rouspète-t-elle.
Je jette un œil par-dessus les pages de mon roman avant de riposter, presque vexé :
— Et pourquoi pas ? Tu devrais le faire plus souvent.
— Les vacances, c'est fait pour se détacher de son quotidien.
Je lève un sourcil quant à la réflexion de la blonde.
— Les vacances, c'est fait pour décompresser. La lecture ne me comprime pas, au contraire.
Solène finit par m'arracher mon roman des mains et je panique aussitôt à l'idée qu'elles puissent écorcher une page ou, pire, la couverture. Je me mords la langue pour me contenir. Je viens de quitter une maison où tout le monde aime être sur mon dos pour regagner la même atmosphère. Mon voyage démarre bien !
— Rends-le-moi, ordonné-je.
Solène referme mon livre et le range dans son sac à dos avant de rétorquer :
— Je te le rendrai quand on sera arrivés.
Je m'affale dans le siège en tournant mon regard par la grande fenêtre, soupirant comme un enfant puni.
— Elles commencent bien, ces vacances, commenté-je, sarcastique.
— T'es rabat-joie, Allan.
Je me redresse subitement, prêt à faire un effort, même si tout mon être a envie de s'enfuir.
— OK. Que proposez-vous pour passer le temps ?
Roxanne marmonne à cause de l'élastique qu'elle tient entre ses dents, les mains occupées dans ses longs cheveux blonds qu'elle tente de ramener en queue de cheval.
— On n'a qu'à discuter.
Je réfléchis un instant à un sujet de conversations quand soudain, je trouve la question parfaite pour leur faire passer l'envie de papoter durant le trajet :
— Alors, vous avez eu des réponses pour l'université ?
Toutes deux râlent à l'unisson, leurs épaules fléchissent pour marquer l'ennui qui les accable.
— On va se mettre d'accord, commence Roxanne. Il est strictement interdit de parler des études durant ce séjour, OK ?
Solène exagère son acquiescement tandis que la blonde revient à la charge :
— Parlons plutôt de sujets d'été.
— Ouais, parlons du climat qui se dégrade et qui annonce des canicules qui causeront encore beaucoup de morts cet été, lancé-je. On peut tout aussi bien débattre sur les plages polluées et le nombre d'animaux de mer étouffés par les déch...
— Stop ! me coupe Solène, qui semble avoir compris mon petit manège.
Un silence s'installe et l'ambiance se refroidit.
— Puisque tu aimes tant parler des sujets qui fâchent, reprend Roxanne, la voix pleine de malice, parlons de Clémence. Vous vous êtes réécrit depuis la dernière fois ?
Je me raidis à l'entente de ce prénom, mon cœur s'arrête une infime seconde. Je fixe dans les yeux mon amie qui affiche un sourire de petite vengeance. Solène surenchérit et le malaise s'implante plus profondément en moi :
— Oh oui ! Je l'ai vu traîner avec le club de football des garçons la dernière fois. J'étais étonnée qu'ils se connaissent. Tu le savais, Allan ?
Par pitié, arrêtez de parler d'elle.
Elles savent qu'avec ce sujet épineux, je ne peux que perdre de vue ma mesquinerie. Je croise les bras contre mon buste pour signifier mon refus d'évoquer ce point et mon faciès se crispe de déplaisir. Me voilà froissé, pour ne pas dire complètement renfermé. Pour elles, peut-être n'est-ce qu'une conversation qui les amuse. Toutefois, le fait que je puisse fuir à chaque note de ce prénom devrait les éclairer sur l'impact qu'il peut avoir sur moi. S'il y a bien un dialogue à ne jamais aborder en ma présence, c'est celui-ci.
Clémence est comme une maladie incurable qui me ronge de l'intérieur.
— Ne prononcez plus son prénom, si vous voulez que je sois de bonne humeur.
Roxanne se met à rire.
— Tu n'es jamais de bonne humeur...
Je lui décoche un regard des plus sombres avant que leur hilarité ne me fasse, en fin de compte, légèrement sourire. Ce qui relève de l'exploit.
Je passe le reste du voyage à contempler les paysages se transformer par la fenêtre, à m'endormir, à suivre machinalement mes amies lors des changements de trains. J'écoute d'une oreille faussement attentive leurs dernières péripéties avec des garçons. J'entends aussi tout ce qu'elles ne disent pas à voix haute, se questionnant sur pourquoi j'ai perdu toute gaieté de vivre depuis ma rupture avec Clémence, il y a un et demi. Elles doivent se demander pour quel motif je me suis enfermé dans mon crâne. Je ne sais pas si cela me rend morose ou si je me sens plutôt comme le gardien d'un secret.
Il y a une raison si, chaque matin, je peine à sortir de mon lit au point d'en faire beugler ma mère. C'est justement parce qu'il m'arrive d'avoir de cruelles insomnies à cause de ce prénom, à cause d'elle et ce qu'elle a engendré. Je suis le détenu de mes pensées et des mystères que j'enfouis au plus profond de mon être. Je rabâche le même film sans jamais m'en fatiguer, ou plutôt sans jamais pouvoir m'en délier, même avec toute la volonté du monde. Mon insouciance est morte le jour où j'ai su ce que c'était de réellement souffrir, d'être trahi par quelqu'un en qui j'avais confiance et que j'aimais. Depuis, les monstres ne se cachent plus sous mon lit, les monstres ont tous déposé leurs bagages dans mon esprit et ils n'ont pas l'intention de déménager.
Mes jambes sont engourdies à force de rester assis, je peine à sortir de ma somnolence. Les paysages défilent de moins en moins vite sous mes yeux mi-clos. L'odeur de l'océan me monte au nez à chaque arrêt de gare où les passagers descendent, signe que nous arrivons presque à destination. Il est dit que ce n'est pas la destination, mais le chemin qui importe. Pourtant, aujourd'hui, le chemin vient de se dérober sous mes yeux sans que je le remarque. En fin de compte, ce périple m'apprend que je suis devenu le type d'adolescent à qui toutes les couleurs du monde échappent, celui qui stagne dans un univers entièrement gris.
Le train s'arrête, contrairement à mes tourments.
La gare se révèle minuscule, à l'inverse de celle de notre ville, Bièvres, qui n'est déjà pas très grande. Je jure qu'un coup de vent trop fort pourrait emporter la bâtisse sans aucun souci. Il n'existe même pas de guichet, ce qui oblige les passagers à commander leurs billets sur Internet ou bien à les acheter directement dans le train auprès du contrôleur. Seul un distributeur de confiseries et de boissons fraîches trône au centre de cette vieille gare, un ajout récent, à en témoigner par sa couleur bleue, propre et vive, contrairement au reste du décor.
Je dois avouer que je panique un peu à l'idée que nous soyons tombés dans un coin complètement paumé, mais la démarche assurée que prend Roxanne pour descendre du train me tranquillise. Elle, c'est clairement une flipette, donc, si elle ne s'affole pas, il n'y a pas de raison à ce que je cède à mes peurs.
Dans le doute, je préfère m'en assurer :
— Tu es sûre qu'on est arrivés au bon endroit, hein ? Tu n'as pas oublié tes clés pour le chalet ?
— Oh, oh... J'ai un doute pour les clés.
Solène et moi rouspétons à l'unisson :
— Roxanne !
Elle fouille dans la poche avant de son sac à dos et en ressort le trousseau :
— Fausse alerte ! Bon, le chalet est à quelques minutes à pied, alors ne traînons pas.
Nous la suivons sans discuter sous une chaleur accablante. Les quelques minutes me semblent être des heures interminables.
Dans quoi me suis-je encore embarqué ?
Cette ultime question tourne en boucle dans ma tête depuis que j'ai approuvé cette invitation. Il est facile d'accepter lorsque des mois nous séparent de la date du départ. Maintenant, j'y suis, et je n'ai qu'une envie : sauter dans le prochain train en direction de chez moi.
L'été s'annonce chaud, mais jusqu'à quel degré vais-je pouvoir le supporter ?
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