Esprit
Je me réveillai, encore dans le brouillard.
En regardant autour de moi, je ne reconnus presque rien...
Je me redressai pour examiner mon environnement. Les arbres étaient calcinés, le ciel noir et il faisait froid et sombre. Une goutte d'eau s'écrasa sur ma main, puis une autre et une autre. La pluie s'était mise à tomber, et moi, je frissonnais.
Devant, à perte de vue s'étendaient des haies et des arbustes.
Y avait-il une issue? Je sentais la peur pointer le bout de son nez. Les rafales de vent balayaient toute cette étendue verte. Un éclair déchira le noir du ciel, éclairant, à l'horizon, une trouée au cœur des arbres.
Ma décision était prise. Je m'engageai sur le chemin qui, je l'espérais, me rendrait à ma vie d'avant. J'avançais, prudente, attentive au moindre bruit. Les feuilles qui bruissent, les branches qui craquent, les cailloux qui roulent sous mes pas.
Les premiers obstacles apparurent bientôt; elle les surmonta sans trop de difficultés. Au croisement de trois sentiers, elle tomba nez à nez avec un garçon à la peau mate.
-T'es qui? Qu'est-ce que tu fais là?
-Moi c'est Yoann, et je sais pas ce que je fais là. Et toi?
-Moi non plus. Et je m'appelle Sam. Cet endroit est un peu flippant, ça te dirait qu'on fasse un bout de chemin ensemble?
Ils s'engagèrent dans le troisième sentier, celui qui s'enfonçait encore plus dans cette forêt mi-calcinée, mi-verdoyante. Plusieurs jours durant ils marchèrent à travers ce paysage étrange et fascinant, avançant la journée et ne s'arrêtant que quelques heures la nuit.
Mais cette routine fut bientôt brisée car ils firent face à une immense paroi rocheuse.
-Prête pour l'escalade?
-Franchement? C'est pas du tout mon domaine.
-T'inquiète je t'aiderai.
L'ascension fut difficile pour Sam tandis que Yoann semblait dans son élément. Enfin en haut, ils purent contempler le panorama qui s'étendait à leurs pieds. Ils reprirent leur rythme de marche dès le lendemain. Bientôt un nouvel obstacle se profila; il leur faudrait redescendre d'ici peu.
La pente était raide et nous avancions prudemment. Yoann dérapa. Seulement voilà, toutes ces pierres tenaient dans un équilibre plus que précaire et l'une d'elle se déroba sous ses pieds, roulant jusqu'en bas et l'entraînant dans sa chute. Je me hâtai de le rejoindre pour l'aider. Il essaya de se relever, son visage se crispant de douleur chaque fois qu'il posait le pied au sol.
-Attends! Je vais t'aider. Attrape ma main.
Je tenais fermement une de ses mains dans la mienne, son autre main prenant appui sur mon épaule. Je passai mon autre bras derrière son dos pour le soutenir.
-Ne t'appuie pas sur la jambe où tu as mal!
Après quelques tentatives infructueuses il parvint à se remettre debout. Par terre, à quelques mètres de nous, traînait une grosse branche qui avait l'air solide. Je la ramassai et, sortant un canif de ma poche, je commençai à découper les rameaux qui dépassaient.
-Qu'est-ce que tu fais?
Sans répondre je lui tendis la béquille improvisée. Il passa son bras autour de mes épaules et s'appuya sur la branche. Nous continuâmes donc notre chemin à une allure plus réduite. Je calquais mon pas sur celui de Yoann.
Elle apparut au détour du chemin. Ce ne fut qu'une ombre, une vague silhouette nimbée de brouillard. Même les silhouettes fantomatiques des arbres autour semblaient irréelles.
Mais plus ils avançaient, plus l'espoir de trouver un abri grandissait en eux. Une nuit au sec et au chaud; c'était tout ce dont ils rêvaient, et le repos devenait vraiment nécessaire après l'accident de Yoann qui ne pouvait plus poser le pied au sol. Cette petite cabane qui se dressait devant eux leur procurerait l'abri dont ils avaient tant besoin. Le mobilier n'offrait qu'un confort spartiate mais c'était déjà le bonheur.
Sam installa Yoann dans l'unique chambre tandis qu'elle, elle dormirait sur un des fauteuils du salon.
-Tu peux me laisser voir ta jambe?
-Euh ouais, vas-y.
Il releva le bas de son pantalon et elle vit tout de suite que quelque chose n'allait pas.
-Je... je crois que tu t'es tordu la cheville. Bon! ça va, tu t'en sors plutôt bien. Ça aurait pu être pire.
-Oui. Dis, puisqu'on voyage ensemble et que ce soir on peut se permettre de faire relâche, ce serait sympa qu'on essaie de mieux se connaître, non?
Sam s'assit sur le bord du lit.
-Ok. Pour commencer mon vrai prénom c'est Samuelle, avoua la jeune fille, mais moi, je préfère Sam.
-Tu es de quelle origine?
-Je suis d'origine européenne, ma mère est française et mon père est anglais.
Et toi, tu viens d'où?
-Mes parents sont originaires d'une tribu bédouine du Sinaï mais ils ont émigré avant ma naissance.
-Pourquoi?
-Ma mère était malade alors ils ont dû partir pour la soigner. Et quand elle est tombée enceinte de moi ils ont préféré ne pas prendre de risques et ils sont restés.
-Et est-ce que tu as rencontré des gens de ta famille qui vivent là-bas?
-Non, mes parents ne m'ont jamais emmené les voir mais j'espère y aller un jour.
Ils passèrent ainsi toute la nuit à se découvrir l'un et l'autre. Ils restèrent là quelques jours, le temps que la cheville de Yoann soit de nouveau opérationnelle. Quand ils reprirent la route, le temps était moins maussade et la pluie avait cessé de tomber. Après seulement quelques heures de marche, ils entendirent des cris et en tendant l'oreille ils comprirent que c'étaient des appels à l'aide. Il y avait donc d'autres personnes dans cet endroit bizarre? Les deux jeunes gens partirent en courant dans la direction d'où provenaient les cris.
Nous trouvâmes un jeune homme brun, à genoux, au bord d'un ravin. Il leva la tête et nous fixa quelques secondes.
-Aidez-moi je vous en prie, il ne tiendra plus très longtemps.
Je m'étais penchée au dessus de son épaule. Un garçon blond était suspendu à une branche.
-Comment est-il arrivé là? lui demandai-je.
- Regarde par terre, on dirait une savonnette. Il a glissé sur ce putain de sol humide et il se s'rait retrouvé tout en bas s'il s'était pas raccroché à cet arbre.
Il s'était emporté mais Sam parvint à le calmer. Un garçon très grand surgit d'entre les arbres.
-J'ai entendu des appels à l'aide...
-Un garçon que j'ai rencontré il y a quelques jours est tombé dans le ravin.
À quatre ils avaient pu former une chaîne humaine assez longue pour secourir le blondinet. Le jeune brun semblait soulagé de le voir remonter sain et sauf.
-Je suis bien content de retrouver la terre ferme. Je pense que je n'aurais pas tenu plus longtemps, s'écria le rescapé. Merci, merci beaucoup.
Parmi les quatre visages qui lui faisaient face, trois lui étaient inconnus. La jeune fille dû remarquer son trouble car elle prit la parole.
-Je crois que des présentations s'imposent. Je m'appelle Sam et lui s'appelle Yoann, dit-elle en désignant le garçon longiligne à la peau mate qui se tenait juste à côté d'elle.
-Mon nom est Vittorio, se présenta le troisième inconnu qui ne l'était plus
vraiment.
-Je m'appelle Daniel, continua le brun.
-Et moi je me nomme Drew, termina le jeune accidenté.
Nous prîmes la route tous les cinq. Le chemin se déroulait au rythme de nos pas, dans le silence de ce monde étrange et étranger. Chacun était perdu dans les méandres de ses pensées et nous n'avions pas échangé un mot depuis le départ.
Le vent s'était levé et de violentes rafales entravaient la progression des cinq amis. Les branches s'agitaient bruyamment au-dessus de leurs têtes. Le froid s'engouffrait dans leurs vêtements et les glaçait jusqu'aux os.
À mesure que les compagnons d'aventure avançaient, le vent forcissait encore d'avantage jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus faire un pas. Alors ils s'arrêtèrent au pied d'un marronnier centenaire, haut d'une vingtaine de mètres. Ils se serrèrent tous contre le tronc de l'arbre majestueux, à l'abri sous le feuillage.
L'atmosphère n'était pas joyeuse et pourtant Sam commença à fredonner tout doucement. Les garçons l'écoutaient sans faire un bruit. À l'instant où elle entama le refrain, Drew leva vers elle ses yeux translucides et une pointe de nostalgie voila son regard.
-Cette mélodie... elle me dit quelque chose, je la connais.
La voix chaleureuse de Drew se mêla aux intonations plus cristallines de Sam. Les autres écoutaient toujours sans un bruit. Enfin, les deux voix s'évanouirent avec les derniers mots de la chanson.
Dans un coup de tonnerre assourdissant, la réalité se rappela brusquement à eux. À ce même instant ils levèrent tous les yeux vers la cime de l'arbre. Leur abri dominait tous les autres arbres des alentours. Avec l'orage qui approchait, la situation devenait plus délicate.
-Faut qu'on s'éloigne au maximum! hurla Vittorio pour couvrir le vacarme.
Les autres ne réagirent pas, hypnotisés par le lumineux ballet des éclairs.
-Restez pas là! hurla-t-il encore.
À ce moment-là, un éclair frappa le marronnier dans un flash aveuglant. Vittorio leur hurla à nouveau de partir et les autres réagirent enfin. Ils s'enfuirent à toutes jambes, comme s'ils avaient eu le diable aux trousses.
Ils couraient ainsi sous l'orage depuis un bon moment lorsqu'un tronc calciné céda et s'effondra juste derrière eux avec un craquement sinistre. L'une des branches frappa Vittorio de plein fouet et le jeune homme tomba à la renverse. Dans un bruit sourd, son dos heurta violemment le sol. Ses quatre amis qui s'étaient retournés à la chute de l'imposant végétal s'approchèrent de lui.
À demi-conscient il sentit deux mains qui soulevaient délicatement ses épaules. Des murmures étouffés lui parvenaient de très loin. Et puis une voix se fit plus claire et il distingua quelques mots.
-Est-ce... entends? Tu... avec nous...
Alors, au prix d'un ultime effort, le jeune homme parvint à reprendre connaissance. Des ombres floues dansaient devant ses yeux.
-Il revient à lui, fit une voix toute proche.
Vittorio reconnut enfin ses amis qui l'entouraient. D'un geste doux et presque maternel, Sam écarta les cheveux qui étaient retombés sur son front.
-Comment tu te sens? Est-ce que tu as mal quelque part?
Il essaya de bouger un bras ou une jambe... sans succès...
-Je... je n'arrive pas à bouger. Que... qu'est-ce qui s'est p... passé? bégaya-t-il.
-L'orage a cassé un arbre, une des branches t'a frappé et tu es tombé en arrière. J'espère que c'est rien de grave parce que sinon on est...
-Sinon vous continuerez sans moi, coupa le blessé.
-Ça c'est hors de question! explosa Daniel. Ne compte pas sur nous pour te laisser ici! On va trouver une solution et on terminera ce "voyage" avec toi.
Drew et Yoann eurent tous les deux la même réaction. Ils posèrent chacun une main sur l'épaule de Daniel pour l'aider à se calmer.
-Je suis désolé, s'excusa-t-il, je n'aurais pas dû réagir comme ça.
Ils s'assirent tous auprès de leur ami pour réfléchir à une solution. Même si, au fond de lui, chacun pensait au pire.
Heureusement, une fois le choc passé, Vittorio réussit à se relever et à faire quelques pas mal assurés. Le soulagement s'empara de toute la bande. Le problème s'était réglé tout seul, aussi vite qu'il était apparu, comme dans ces cas de troubles psychologiques ou nerveux.
-Tu nous as fait une peur bleue! s'exclama Sam avant de serrer le jeune homme dans ses bras.
Il lui rendit son étreinte avant de rapprocher son visage du sien pour lui murmurer au creux de l'oreille:
-Tu as été un véritable ange gardien pour nous Sam. Aucun de nous ne pourra assez te remercier.
Cette confidence inattendue la fit rougir car elle ne pensait pas mériter un tel compliment.
-Bon! fit-elle pour changer de sujet. Si tout le monde s'est remis de ses émotions je propose qu'on se remette en route.
Nous sortîmes bientôt du couvert des arbres. À mesure que nous laissions la forêt derrière nous, une humeur joyeuse s'installa dans le groupe. L'ambiance n'avait plus rien à voir avec celle des jours précédents. Nous parlions et plaisantions comme des amis d'enfance qui se seraient retrouvés après de nombreuses années éloignés les uns des autres. Nos éclats de rire auraient pu être entendus à plusieurs mètres à la ronde. Même le ciel semblait se joindre à nous puisque le soleil fit enfin son apparition. Dans ces conditions, le périple en devenait beaucoup plus agréable et un sourire illuminait le visage de chacun d'entre nous.
Je sentais que l'aventure touchait à sa fin mais la nature s'opposa à nous une dernière fois. En effet une immense haie de mélèzes se dressait juste devant nous.
Ils longèrent les conifères à la recherche d'un passage. Une centaine de mètres plus loin ils trouvèrent ce qui semblait être l'entrée d'un tunnel végétal. Ils s'engagèrent d'un pas hésitant dans ce monde inconnu où dominait la couleur verte.
Le temps leur parut long avant de revoir enfin la lumière du jour. Ils débouchèrent ainsi dans une sorte de parc magnifique.
Nos pieds aimaient à fouler une herbe tendre, parsemée de petites tâches aux couleurs pastels. Les arbres ployaient sous le poids des fruits et des grappes de fleurs. Nos pas faisaient s'envoler une fine poussière blanche. Nous n'avions pas retrouvé notre vie d'avant mais ce jardin était l'endroit rêvé pour quitter la route et faire une pause.
Mais alors que rien ne nous y préparait, soudain tout se mit à trembler devant mes yeux. Les arbres se changèrent en immeubles, l'herbe se fit bitume et la fine poussière blanche devint une épaisse fumée polluante. Le sol ondulait sous mes pieds. Je tournai la tête dans tous les sens, et partout la même vision. Mes amis quant à eux tombèrent les uns après les autres. Ce fut bientôt à mon tour. Je me sentis tomber, tout tournait autour de moi... Et puis plus rien. Le noir complet.
Lorsque j'ouvris finalement les yeux, tout avait disparu. Mais cette fois-ci, je reconnus l'endroit qui m'accueillait. Des murs clairs, une douce chaleur et une décoration épurée: c'était mon appartement, mon petit studio du troisième étage. La pendule affichait une heure très matinale mais la date m'intrigua encore plus. Il ne se serait écoulé qu'une seule nuit depuis mes derniers souvenirs de ma vie normale alors que j'avais passé plusieurs jours avec quatre garçons dans un lieu inconnu.
J'avais besoin de me changer les idées et je descendis dans le jardin public en bas de chez moi pour prendre l'air. Tout en marchant j'observais les gens autour de moi. Un vieillard promenait son chien, un couple se baladait main dans la main. Deux jeunes hommes qui marchaient, perdus dans leurs pensées, se bousculèrent en se croisant malhabilement. Or au lieu d'assister à une altercation, comme dans la plupart des cas, les passants furent témoins d'une étrange scène. En effet les deux jeunes hommes s'observèrent un instant et tombèrent dans les bras l'un de l'autre. Puis ils vinrent vers moi et, à mon grand étonnement, je reconnus Drew et Daniel.
Je les serrai dans mes bras pour vérifier qu'ils étaient bien réels.
-Ça me fait tellement bizarre de vous voir dans la vraie vie, enfin dans ce qui semble être normal et familier...
Ils arrivèrent devant la fontaine du jardin public et retrouvèrent, stupéfaits, leurs deux autres amis, Yoann et Vittorio.
-C'est incroyable quand même... mais, dites, vous pensez que c'était un rêve ou la réalité?
-J'sais pas, on dirait un rêve...
-Mais ça voudrait dire qu'on a rêvé les uns des autres et qu'on a tous fait le même rêve. Drôle de coïncidence!
-Vous habitez tous ici?
-Oui! Répondirent les quatre voix à l'unisson.
-Ça veut dire que sans ce... ce truc qui nous est arrivé, on se serait peut-être jamais rencontrés!
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