Ce premier texte a été écrit dans le cadre d'un concours organisé par JusteViviana et enfantseul sur le thème Un banc.

Je me souviens encore de notre rencontre. J'étais au bord de la falaise. Tu es arrivé à pieds par le sentier des douaniers. J'ai écouté tes pas qui s'approchaient de moi. Tu t'es assis face à la mer en contrebas et nous avons contemplé les vagues qui venaient se briser cent mètres sous nos pieds. Tu n'as pas osé dire un mot puis tu m'as quitté au coucher du soleil. Moi je suis resté toute la nuit au bord de la falaise.

Le lendemain tu es revenu sur la falaise, j'étais exactement au même endroit. Je n'ai même pas tressailli lorsque tu t'es assis avec moi. Le silence s'était installé depuis de longues minutes déjà lorsque tu as décidé de le briser. Touché que tu te confie à moi, je n'ai pas eu le cœur de t'interrompre. Alors je t'ai laissé parler, je t'ai écouté et j'ai gravé ta voix dans ma mémoire. Une voix rauque, chaleureuse. Mais ce qui m'a marqué ce sont tes yeux sombres et la flamme qui brillait dans ton regard. Et puis tu es reparti, chassé par la nuit.

Au fil des jours, des semaines passés avec toi, j'ai appris à te connaître mieux que n'importe qui. Au fil des jours, des semaines passés avec moi, tu as appris à faire confiance aux autres. Chaque fois que tu revenais tu étais plus souriant que la veille. Chaque soir quand tu partais je savais que tu serais là le lendemain. Je ne me lassais pas d'écouter ta voix, ni de voir grandir la flamme de vie que reflétaient tes yeux.

Pourtant un jour tout a disparu. Ton téléphone a sonné. Quand tu as raccroché j'ai vu ton sourire se faner. Tes yeux se sont éteints. Les perles noires si brillantes sont devenues deux pierres ternes, deux gouffres au fond desquels la joie était tombée pour ne peut-être jamais remonter à la surface. Tes épaules se sont affaissées, ton dos s'est voûté. Le poids du chagrin était trop lourd à porter. La tristesse a pris la place du bonheur et les éclats de rire se sont transformés en larmes. Les petites gouttes de détresse roulaient sur tes joues et se perdaient dans les vagues.

Ta voix aussi avait changé. Elle était plus hésitante, pleine de souffrance. Tu as levé tes yeux humides vers moi et tu m'as soufflé:

-Tu... je ne viendrais pas d... demain, je dois partir. Ils m'attendent à l'autre bout de la France.

Après un long silence, tu as repris:

-Mon... mon père est... Ça fait deux ans que je l'ai pas vu... et il est mort hier soir.

À ces mots tu as éclaté en sanglots et tu t'es recroquevillé tout contre moi. C'était le première fois que nous étions si proches tous les deux. Je n'ai jamais pu oublier ce dernier contact entre nous. Tu as attendu, pour partir, que tes larmes aient cessé de couler. Tu m' as fait un signe de la main en guise d'au revoir avant de disparaître derrière les rochers.

Je suis resté sur la falaise, j'ai attendu le jour de ton retour. Mais la nature en a décidé autrement. La pluie, le vent et les embruns ont eu raison de moi.

Trois mois se sont écoulés depuis ton départ. Et aujourd'hui tu es enfin revenu. Tu as tout juste pris le temps de déposer tes affaires chez toi tellement tu étais pressé de me revoir. Seulement quand tu es arrivé là-haut il n'y avait personne. Il t'a oublié disait une petite voix dans ta tête. Une petite voix que ton cœur refusait d'entendre. Debout au bord du vide, la mer à perte de vue tout autour de toi, tu as fermé les yeux un instant. Tu as senti la caresse du vent sur ton visage fatigué. Tu as écouté le clapotis des vagues contre les rochers.

Quand tu as rouvert les yeux, tu as pris conscience du monde qui t'entourait. Finalement tu t'es assis sur les cailloux. On y voyait encore la marque de l'endroit exact où je me suis tenu pour la dernière fois. Des larmes se sont mises à couler le long de tes joues. Tu as pleuré longtemps, les jambes repliées contre ta poitrine et les bras autour des genoux.

Tu as pleuré pour moi qui étais devenu ton ami. Tu as pleuré pour moi qui n'étais qu'un banc que la commune a enlevé parce qu'il était trop abîmé.