-11-
Saoron, maintenant torse nu, me regarde. Je lui souris espérant dissimuler ma gêne passagère. Cependant, il semble se passer le contraire mais il n'y porte aucune attention particulière en fermant les yeux. Tous ses muscles sont contractés, il aligne ses pieds avec ses hanches, tend les bras devant lui, les mains jointes. Il rouvre brusquement les yeux. Alex ne semble pas aimer ce tête à tête mais ne dit rien pour autant. Toujours figé, Saoron pâlit de la tête aux pieds. Inquiète, je veux m'approcher mais Julien me tire en arrière.
Julien : Ça n'augure rien de bon tout ça. Nous ferions mieux de partir. Si ça se trouve, c'est un piège.
Moi : Non mais ça va pas ? Je ne vais nulle part sans lui. Partez si vous le voulez, mais moi non.
Arthur : On ne va nulle part sans toi Luna. Combien de fois faudra-t-il qu'on te le répète ?
Alex : Fais attention à toi c'est tout.
Moi : Je lui fais confiance, maintenant taisez-vous et regardez.
Afin de rassurer ma moitié, je prends sa main entre les miennes et continue la contemplation. La chaîne qui orne le cou du nouveau se met à faire des cliquetis. Le pendentif -en forme de double coquelicot sur lequel les pétales semblent être faits en quartz bleu lune et son pistil fait de rubis- quant à lui, brille légèrement au centre. Le vent passe dans la forêt et remue le feuillage de chaque arbre me provoquant un frisson. Alex me frotte doucement le dos et m'attire contre lui.
Alex, chuchotant : Tu lui fais confiance, n'est-ce pas ?
Moi : Oui, pourquoi ?
Alex : Parce que ça se voit, tu t'inquiètes dès que quelque chose ne va pas bien, tu refuses catégoriquement de le laisser seul pendant sa transformation...
Moi : Ne serais-tu pas un peu jaloux ?
Alex : Je te fais confiance, et même si tu lui faisais plus confiance que tu ne me fais confiance, la jalousie ne résoudra rien.
Moi, amusée : C'est vrai. Je crois qu'à part Arthur, Julien, Nina et moi, tu es le seul que je connais et qui dit ça !
En guise de réponse, il me sert contre lui. La chaleur qui s'échappe de son torse en traversant son t-shirt me fait un bien fou. Je tourne légèrement la tête en entourant sa poitrine de mes deux bras. Saoron referme les yeux et se baisse légèrement en avant, en gardant les mains jointes. Il fléchit ses jambes et saute au dessus des arbres de la forêt. Je le regarde faire, perplexe. Lorsqu'il atterrit, son corps n'est qu'écailles paraissant être blindées. Sa tête est semblable à celle d'un serpent mais beaucoup plus grande et développée, ses yeux sont légèrement enfoncés dans son crâne, l'ouverture de sa bouche est assez étirée vers l'arrière de sa tête. La couleur qui complète ses écailles est le bleu marine. Le bleu turquoise complète les extrémités de ses membres et un nombre indéterminable de marques plus bizarres les unes que les autres recouvrent la presque totalité de son corps. Sa queue est fine à la racine mais devient large au fur et à mesure que mes yeux se dirigent vers le bout de sa queue. Elle aussi est recouverte de marques et des deux tintes de bleu. Ses pattes sont longues et musclées. Le bleu turquoise remonte en spirale tout autour de chaque jambe. Ses griffes acérées effleurent légèrement le sol. Son dos est très droit et sans aucune imperfection avec les mêmes signes et les mêmes couleurs. Ses oreilles, quant à elles, sont couleur crème avec du bleu marine montant en pointe vers le haut, sans pour autant dominer sur la couleur principale.
Fascinée de cette magnifique créature, je me détache d'Alex et avance vers Saoron transformé. Celui-ci me regarde et incline la tête vers le bas. Il plie ses jambes et s'allonge devant moi. J'ai comme l'impression qu'il veut me servir de monture. Ne voulant pas refuser, je m'approche encore plus et contemple une énième fois la créature. C'est au moment de monter que je me rends compte que même allongé, il est énorme, sa hauteur doit être semblable à celle d'un camion transportant des marchandises de pays en pays.
Alex : Tu ne vas pas monter sur son dos quand même ? Il n'y a pas de selle ou même un drap ! Reste avec nous, après tout, nous ne le connaissons pas.
Moi : Il t'entend, figure-toi. Et je le monte si je veux.
Alex, attristé : C'est toi qui décide.
Moi : Je reviens dans pas longtemps, ne t'en fais pas.
Alex : D'accord.
Ayant entendu mon envie de devenir cavalière ne serait-ce que quelques minutes, Saoron approche sa queue vers moi et la pose au sol. Ma louve me dit de monter dessus, c'est alors ce que je fais. Il m'élève dans les airs et vient me poser sur son dos. J'ai peur mais je lui fais confiance alors tout va bien, ou presque. Il se redresse et prend son élan pour décoller. Nous dépassons à une vitesse folle la forêt. Une poignée d'oiseaux partent en piaillant, apeurés. L'air du matin me passe dans les cheveux, m'obligeant au passage à plisser les yeux. La créature bat lentement et régulièrement des ailes, créant un bruit agréable. L'air a du mal à rentrer jusqu'à mes poumons à cause du vent. Saoron lève la tête et pique en avant. Je me plaque sur son dos pour ne pas tomber et dispose mes bras de chaque côté de ses omoplate. Mes jambes se resserrent sur son ventre et mes yeux se ferment. L'air ne rentre plus définitivement. J'essaye de crier mais rien ne sort. Après avoir rouvert les yeux, ma vision commence à se brouiller après une minute environ d'apnée. Mon estomac se noue et mes forces m'abandonnent. Ma monture vire à droite et je me laisse tomber dans le vide, n'ayant rien auquel me raccrocher et Saoron ne semble pas remarquer que je tombe. L'air retrouve son circuit habituel dans mon système respiratoire et je risque un regard vers le sol afin de voir où j'en suis dans ma chute libre. Voyant le sol se rapprocher de plus en plus, je décide d'adresser mes dernières paroles aux êtres les plus chers à mes yeux. A mon père, qui n'a jamais cessé de veiller sur moi, à ma mère, qui, elle, m'a mise au monde dans un énorme moment d'émotions. À Nina, que je connais depuis des années et des années, avec qui j'ai fais les pires débilités du monde, avec qui...
Soudain, je suis coupée dans ma récitation. Ma chute s'est comme ralentit au point de ne plus ressentir le vent dans mon dos. Je me retourne et vois Nina, les yeux violets, qui me fixe sans ciller une seule fois. Elle lève la main vers moi et la rabaisse lentement. Au même moment, je descends également très doucement vers le sol. Une fois à terre, je me relève et respire plusieurs fois profondément. Je vois Nina me sourire et s'approcher, les bras tendus en m'offrant un câlin, que j'accepte volontiers. Les trois garçons courent vers nous, j'entends Saoron voler au-dessus de nous et se poser un peu plus loin.
Alex : Je vais le tuer !
Moi : Laisse-le, ce n'est pas de sa faute.
Saoron : Si, j'aurais dû te sentir glisser.
Moi : Tout va bien, c'est bon.
Au même moment, mon téléphone sonne, c'est ma mère qui m'appelle. J'ignore ce qu'elle a à me demander, mais je préfère décliner l'appel, je ne me sens pas assez en forme pour passer un interrogatoire. Je ferme les yeux et souffle un bon coup. Soudain, mon âme semble sortir de mon corps. Derrière mes paupières défilent des images floues, une forêt de sapins, des oiseaux de la même espèce que Saoron mais plus petits, des renards transformés, ils ont troqué leur couleur orange contre du bleu intense, comme celui qui trône au centre d'une flamme. Sur le dessus de leur crâne est dessiné un symbole semblable à une goutte d'eau dans laquelle il y a une flamme. Des petits chants d'oiseaux tintent dans le vent. Je me promène sans forcément le vouloir mais la curiosité l'emporte. L'odeur florale qui flotte dans l'air semble détendre les animaux mythiques. Un petit garçon, ayant une grande ressemblance avec celui qui, autrefois..., je préfère ne pas y penser. Le voir me fait un choque, je m'approche de lui et il me sourit. Il prend ma main entre les siennes, elles sont si petites, si mignonnes, tellement frêles. Il la colle sur sa joue et me regarde intensément.
??? : Tu sais, je n'ai jamais cessé de penser à toi, Luna.
Me ventre se noue. Je n'avais plus entendu sa petite voix depuis très longtemps. Mes émotions s'entrechoquent dans ma tête, il incline la tête et me prend la taille pour me faire un câlin à sa hauteur, je décide donc de me baisser et de le serrer fort contre moi.
Moi : Moi non plus. Tu me manques atrocement, tu sais ! Si seulement tu pouvais revenir... Que tout soit comme avant.
??? : Retourne-toi deux petites minutes s'il te plaît.
Moi : D'accord. Quand je me retournerai, est-ce que tu seras encore là ?
Comme il ne me répond pas, je me retourne, comme il me l'a demandé. Les mains jointes, j'attends qu'il me demande de lui faire face à nouveau. Je me ronge un ongle, puis deux et finis par manger quelques peaux qui rebiquent. Une main vient se poser doucement sur mon épaule, et me presse tendrement le côté du bras, me forçant à me retourner. Lorsque je suis face à lui, mon cœur fait un bon dans ma poitrine. Mes mains commencent à trembler ainsi que tous mes autres membres. Ma vue se brouille. Devant moi se trouve un magnifique jeune homme, ayant les mêmes traits que le petit homme qui était devant moi il y a une minute. Me souriant de toutes ses dents blanches et parfaitement alignées, il déclare :
??? : Je ne suis jamais partit tu sais, Luna.
Sa voix est devenue grave et rauque. Il porte un t-shirt moulant, qui dessine bien ses pectoraux ainsi que ses abdominaux et ses biceps. Il n'est pas trop musclé tout de même. Ses cheveux sont devenus châtain clair, en opposé aux cheveux blonds qui recouvraient son crâne d'enfant. Ses iris sont vertes, on peut d'ailleurs distinguer des petits traits jaune clair converger vers sa pupille. Il sourit toujours, et tend ses bras vers moi en me faisant des signes de main pour que je m'approche.
??? : Viens donc dans mes bras.
J'en meurs d'envie en effet, donc je m'approche, le pas rapide. Ses bras se referment sur mon dos, je pose ma tête dans le creux de son épaule. Hésitante, je passe également mes bras autour de lui, ceux-ci viennent se refermer sur ses reins. J'inspire et expire lentement, prenant plaisir à son doux parfum. Sa main droite me caresse tendrement les cheveux tandis que l'autre reste dans le bas de mon dos.
Moi : Si seulement ce moment pouvait durer éternellement, mais malheureusement, ce n'est qu'un rêve...
??? : Ma Luni...
Face à cette appellation, mon cœur ne rate pas un, mais deux battements. Les souvenirs si joyeux que je partageais avec lui, autrefois, les moments tristes mais surtout, les moments où l'amour était le seul sentiment qui nous unissait lui et moi, refont surface. Les larmes coulent à flot et mon corps est parcouru de soubresauts pourtant il continue de passer sa main sur mes cheveux.
??? : Ce soir, reviens dans la forêt à vingt-et-une heures. Si tu ne peux pas, je viendrais te voir demain matin et cela même si tu peux. J'ai hâte de te voir Luni. Repars avec eux, nous nous voyons ce soir, je t'aime, ne l'oublie jamais.
Moi : Je viendrais, c'est promis. Je t'aime aussi.
Sur mes dernières paroles, il s'écarte et pose ses mains sur mes yeux, m'obligeant à les fermer. Lorsque je les rouvre, je suis allongée sur la pelouse humide de la forêt dans laquelle se trouvent mes meilleurs amis ainsi que mon âme-sœur. Ces derniers me regardent avec inquiétude. Je me redresse et en repensant à la personne que je viens de voir, mon cœur se soulève. Une fois sur mes pieds, j'entrelace mes doigts avec ceux de la main d'Alex et retourne en direction de la maison.
Nina : Saoron nous rejoindra plus tard, il veut avertir les siens afin d'assurer ta sécurité à plein régime.
Moi : Très bien.
Arthur : Tu sembles heureuse, qu'as-tu vu lors de ton sommeil ?
Moi : Oui, ça peut aller. Combien de temps suis-je rester au sol ?
Arthur : Environ un quart-d'heure, pas plus.
Julien : D'ailleurs, nous ignorons tous ce qu'il s'est passé. Tu marchais avec nous et soudain, tu t'es figée, puis tu es tombée en avant sur les genoux et avant que ta tête ne heurte l'herbe, Alex t'a rattrapée. Tu es restée comme ça pendant... oui, un quart-d'heure. Quelques fois, tu bougeais la main, mais le reste du temps, tu respirais très lentement, et ton corps était inerte. Je commençais à m'inquiéter sérieusement.
Moi : Tout va bien, tout va bien. Je vous en parlerai plus tard.
Ne voulant pas plus continuer la discussion, je me contente de sourire et continue d'avancer. Je lâche la main de mon protecteur pour prendre mon téléphone et voir ce que me voulait ma mère. Je remarque deux appels manqués venant de sa part et trois de la part de mon père. Une notification vient d'apparaître sur mon écran de téléphone portable. C'est un numéro inconnu.
De : Numéro inconnu
À : Moi
> Comment s'est passée votre premier vol à dos d'Ikran ? J'espère que vous avez apprécié car j'ai désormais interdiction de vous approcher. Mes sincères salutations.
Troublée, je reste interdite devant ce message. Mes doigts restent en suspens au dessus de mon écran, ne trouvant pas quelque chose à répondre à cet inconnu. Je m'approche de Nina et lui tends mon téléphone afin qu'elle puisse lire cet intrigant message. Sa lecture achevée, elle me regarde intensément, cligne plusieurs fois des yeux et désigne du menton mon âme-sœur. Je soupire et elle hausse les épaules. Elle attrape furtivement mon bras et me fais ralentir pour laisser les garçons parler quelques mètres devant nous.
Nina : C'est ton cher et tendre petit copain qui a ordonné à Saoron de ne plus t'approcher. J'ai essayé de l'en dissuader mais c'était... Comment dire ?
Je l'encourage à continuer tandis que les garçons pressent le pas.
Nina : Dès que tu as fermé les yeux, le visage d'Alex s'est décomposé. Ses traits se sont durcis, son visage s'est complètement refermé. Une seule chose se reflétait dans ses yeux et c'était uniquement de l'inquiétude. Je me mettais vraiment à sa place et personnellement, de savoir qu'Arthur aurait pu être dans cet état là me glace le sang.
Moi : Ne t'en fais pas. J'étais très heureuse là où j'étais. En réelle concurrence avec le Paradis, je peux te le confirmer.
Me remémorant le visage de cet être, qui lui seul occupe une grande partie dans mon cœur, mes larmes dévalent mes joues sans que je m'en compte. Nina le remarque et me serre fort la main contre la sienne. Je passe nerveusement une main dans mes cheveux et inspire profondément. Nina s'arrête brusquement m'arrachant à moitié le poignet. Je la regarde, incrédule.
Nina : Qu'est-ce que tu as vu Luna ?
Moi : Pardon ?
Nina : Qu'as-tu vu lorsque tu étais inconsciente pendant quinze minutes ?
Je déglutis ? Dois-je lui dire ? Dois-je, au contraire, ne rien lui dire ou tout simplement, lui mentir ? Je décide de me confier. Le revoir lui m'a beaucoup trop perturbée.
Moi : Je l'ai vu. Il était là devant moi, tout souriant, les bras ouverts. On s'est enlacés puis on a parlé. Il m'a demandé de revenir ici à vingt-et-une heures. Il a utilisé le même surnom qu'auparavant...
Nina : Lequel ?
Moi : Luni...
Nina ouvre de grands yeux et lâche ma main pour aller placer les siennes devant sa bouche qui s'est ouverte pour former une expression de choque. Après être revenue à la réalité, elle finit par me poser l'ultime question.
Nina : Mais c'était qui pour avoir le privilège de t'appeler comme ça et ne pas s'attirer les foudres de Luna Parker ?
Moi : C'était...
Julien : Les filles, vous venez ?
Étant à fond dans notre discussion, aucune de nous deux n'avions remarqué que les garçons nous épiaient du regard. Je réponds à l'affirmative et m'éloigne progressivement de ma meilleure amie. La paire d'yeux que pose Alex sur moi me déstabilise, c'est comme s'il pouvait lire en moi, comme s'il savait que je lui cachais quelque chose d'énorme. Je faufile mes doigts à travers ceux de mon âme-sœur et plaque la paume de ma main contre la sienne. Nos mains se serrent comme si notre vie en dépendait. Son souffle chaud passe sur mon cou et sa voix retentit dans un chuchotement.
Alex : Dès qu'on arrive dans la maison, tu cours enfiler des habits de sport et je t'entraîne pour les combats.
Moi : D'accord. Merci.
Alex : Je ferais tout pour toi, princesse.
Devenant rouge pivoine, je baisse la tête. Me voyant mal à l'aise, il dépose un baiser sur ma tempe et étouffe un rire. Je décide donc de faire semblant de bouder en enlevant ma main et en croisant mes bras sur ma poitrine. Il me regarde intrigué mais je continue de faire semblant de lui en vouloir. Il s'approche mais je m'écarte et le processus se répète jusqu'à ce que Julien m'attrape par les épaules et me pousse jusqu'à son cousin.
Julien : Cesse donc de le faire culpabiliser comme ça, il a pas l'habitude le pauvre.
Moi : Mais il a rigolé parce que j'ai rougi !
Julien : Ah, oui mon vieux ! Ne te moque jamais d'elle, même si elle aura tendance à accepter beaucoup plus de choses avec toi qu'avec nous, il n'y aura qu'une seule personne sur terre qui aura ce droit.
Alex : Et qui est-ce ? Peut-être que je pourrais demander une part de ses droits, qui sait ?
Arthur : Non malheureusement, tu ne peux pas. Car c'est elle qui l'a décidé depuis qu'il nous a quittés.
Moi : Arrêtez de parler de ça comme si je n'étais pas là.
Alex emprisonne ma main dans la sienne et y dépose un baiser. Du regard, il me supplie de le pardonner, ce que je trouve tout de même inutile car je ne lui en voudrais pour rien au monde.
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