We Got Off on the Wrong Foot
Sur cette page, ma plume parle d'un départ à faux, d'un parcours avec cent fautes.
" She needs wide open spaces
Room to make her big mistakes"
— The Chicks
Toi et moi, on est parties sur le mauvais pied. Pour notre premier tour de piste dans le manège extérieur, on était en main droite. Ça laissait présager un départ à faux : je sais maintenant que la gauche est ton bon côté.
Notre parcours, il n'a pas été sans faute. Au contraire, on a probablement commis cent fautes avant de franchir la ligne d'arrivée de nos premières saisons à deux.
Dès les premières minutes sur ton dos, ça a été une ruade, puis une autre. Tu t'excurvais en selle, tu te déjugeais, tu avais la tête dans les étoiles, tu reproduisais un rodéo, tu partais au grand galop sans t'arrêter. Tu hennissais comme un animal qu'on conduit à l'abattoir dès que l'on t'éloignait de ton troupeau, tu reculais dès que je voulais avancer vers d'écurie et, une fois à l'intérieur, tu piaffais à la hauteur de mes hanches, parfois jusqu'à arracher des planches de bois du plancher. Tu détestais les espaces confinés comme le boxe. Tu brisais le harnachement et les licols. Tu semblais têtue comme un âne et les autres te voyaient comme un canasson. Tu me fonçais dedans, tu te cabrais devant moi, tu te mouvais dans tous les sens, comme pour t'échapper de quelque chose qui m'était invisible.
Malgré les certifications en équitation classique, malgré mon expérience de cavalière chevronnée pour mon jeune âge, malgré mon aisance avec les chevaux énergiques qui faisaient des sauts de mouton et des écarts, force est d'admettre que je n'étais pas équipée. Je n'avais pas le bagage pour faire équipe avec toi, pour manipuler un cheval aussi imprévisible, pour rescaper un équidé qui avait passé entre autant de mains indélicates.
Parce que notre maréchal le disait : elle était convaincue, juste par ton comportement, que tu avais déjà reçu des coups de poing.
Devant ta détresse, j'ai souvent été désarçonnée.
Même si je pratiquais des sports équestres sur des warmbloods et des purs-sangs anglais depuis une décennie, même si je savais sauter des oxers qui augmentaient en hauteur et en largeur au fil des années, même si je savais exécuter des reprises de dressage avec des cessions à la jambe, des pas de côté, des flexions et des demi-tours sur les épaules ou sur les hanches, je n'avais pas l'expertise pour entraîner une jument à moitié sauvage. Une jument qui avait connu l'encan, qui avait été cassée plutôt que débourrée et qui avait été aussi brisée que moi par les humains. Une jument qui me ressemblait comme mon reflet dans le miroir, qui était aussi ingérable qu'une gitane et qui accordait aussi peu sa confiance.
Mais ça, à quinze ans, je ne le savais pas, alors je l'ai fait.
J'ai continué de venir te voir avec mon inconscience enfantine et ma volonté de fer, même si le propriétaire de ta pension me hurlait que tu me conduirais tout droit à l'hôpital.
Tu étais mon rêve de jeunesse, tu as été mon cauchemar pas moments, mais tu es devenue ma plus belle histoire. Au début, je croyais que tu serais un simple chapitre dans mon adolescence. Puis, j'ai assumé que tu étais peut-être mon élément déclencheur. Mais tu as fini par être le récit en entier : de sa situation initiale à son dénouement, en passant par toutes les péripéties.
Avec toi, j'ai passé par-dessus tous les obstacles, pas seulement les pôles, les bacs de fleurs, les balles de foin et les chandeliers des circuits sauteurs et chasseurs. J'ai expérimenté un semblant de cross improvisé sur le sable d'une dune ; j'ai fendu l'air en suspension comme un jockey en pleine course à l'hippodrome sur la neige immaculée ; j'ai trotté enlevé sous la pluie, sous les nuages, sous le soleil, sous la lune et sous les étoiles. Sur ton dos, j'ai couru dans la forêt à bride abattue en m'agrippant à tes crins; j'ai découvert un ruisseau caché ; j'ai nagé dans un lac entre les montagnes. J'ai galopé à cru sans bombe comme une fille bohème ; j'ai lâché les rênes en pleine chevauchée ; je me suis improvisée cowgirl sur une selle western.
On a bravé les blessures et les fractures. On a encaissé les diagnostics et on a déjoué les pronostics. J'ai roulé des bandages de repos parfaits sur tes canons et tes boulets ; j'ai appris à me servir d'une seringue pour injecter les médicaments pour ton jarret ; j'ai utilisé ma trousse de premiers soins pour jouer au vétérinaire plus souvent que je l'aurais voulu. Je t'ai fait marcher toutes les heures après un accident, j'ai dormi à l'écurie quand tu as fait une colique et j'ai passé des nuits entières avec toi.
Je t'ai cuisiné des biscuits à l'avoine, aux carottes, aux pommes et à la mélasse. Je t'ai dessinée, reproduisant chaque détail de ton marking et de tes balzanes. J'ai cueilli des framboises pour te les donner ; je me suis assise avec toi dans les fleurs jaunes ; je me suis couchée sur ton dos pendant que tu broutais du trèfle. J'ai pris ton poitrail et ton encolure dans mes bras ; j'ai glissé sur ta croupe comme sur une glissade ; j'ai gratté ton garrot. J'ai posé mon front contre ton chanfrein qui porte la plus belle liste déviée ; j'ai embrassé l'espace blanc et brun entre tes naseaux ; j'ai glissé mes doigts dans ta crinière noire et sur ta robe pie bai. J'ai passé des instants hors du temps à tes côtés.
J'ai crié ton nom devant un champ d'herbe à perte de vue un nombre incalculable de fois, et, à l'allure à trois temps, tu es venue à ma rencontre à chacune d'entre elles en épatant la galerie, les spectateurs sur place avec des scènes dignes de Whisper.
Te voir arriver, ça me donne des ailes. Depuis toi, je n'ai même plus à mettre le pied à l'étrier pour avoir la sensation de m'envoler : t'entendre respirer et river mon regard dans le tien me transporte tout autant.
Ce n'est peut-être pas avec toi que j'ai gagné mes rubans de concours, mais notre changement de pied à la volée restera toujours ma plus belle victoire.
Alors qu'un mur qui semblait infranchissable nous séparait au départ, on a bâti en semble, pierre par pierre, ma relation la plus stable.
Tu as laissé des empreintes de sabots qui ne s'effaceront jamais sur mon cœur. Parce que désormais, il bat au rythme de tes foulées.
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© 2024 MAHNZA
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