Rose d'épine

Réécriture d'un conte réalisée à partir des consignes suivantes :
Thème : Écrire la fin alternative d'un conte de Grimm.
Mots : Aucune contrainte de mots. 1000 mots maximum.
Deadline (retour) : Fin mars 2023.
Conte choisi : La Belle au bois dormant / Dornröschen (Rose d'épine).

" 'Cause you
are a rose in a field of sunflowers "

On t'appelait Rose d'épine.

Plongée dans un profond sommeil depuis cent ans, tu semblais aussi immuable que l'ordre des saisons. Dix décennies s'étaient écoulées à toute vitesse sans jamais parvenir à te rattraper. Tu demeurais figée dans le temps, et le sablier de ta vie avait cessé de se vider bien longtemps auparavant.

Depuis le jour où ton sang avait coulé sur l'aiguille fine d'un fuseau, tu dormais.

Selon la prophétie, seul un baiser posé sur tes lèvres pouvait te réveiller.

On te comparait à une rose éternelle, dont les pétales seraient restés intacts malgré le passage des années.

Lorsque tu tombas dans les bras de Morphée, ton assoupissement s'abattit sur l'ensemble du château et de la cour. Devant la demeure royale, même le vent printanier cessa de souffler sur les feuilles naissantes des arbres.

Peu à peu, une hale d'épines poussa sur le palais et le couvrit jusqu'à ce qu'on n'en vit plus rien, telle une cloche de verre gardant une fleur à l'abri des intempéries. Sauf que cette barrière s'avérait indestructible.

Au fil des années, de nombreux chevaliers en quête d'un mariage avec la fille d'un roi tentèrent d'arriver jusqu'à toi. Ils s'aventurèrent à travers l'épaisse muraille naturelle, mais chacun d'entre eux s'y coinça et embrassa une mort lente et cruelle.

C'était ce que m'avait raconté un vieillard, que j'avais croisé lors de mon arrivée au pays, dans ce champ de soleils d'un jaune éclatant.

Dès cet instant, je voulus te voir.

Le vieil homme tenta de m'en dissuader, mais rien ne m'effrayait. Je n'avais plus rien à perdre. Malgré les arguments remplis de bon sens qu'il me présenta, je refusai de rebrousser chemin.

Mon souhait le plus cher était de connaître moi aussi un mariage d'amour, de ne pas épouser quelqu'un qui ne voyait en moi qu'un titre de noblesse à conquérir. Je priais pour ne pas être contraint de me marier avec l'une de ces princesses quelconques, dans l'unique but d'assurer une descendance à ma lignée. Je me nourrissais de cet espoir naissant que tu me voies différemment, Belle au bois dormant.

Alors je marchai, jusqu'à la forteresse arbustive qui surplombait ton chez toi.

Je me tâtai à approcher à pas lents les bastions, parsemés de fleurs de rosier. Ces dernières, d'un rouge flamboyant, contrastaient avec l'armée d'hélianthes annuels qui encerclaient ton royaume.

À ma plus grande surprise, les tiges épineuses, qui avaient déjà tué bien des hommes essayant d'entrer dans le château, se mirent à se mouvoir. Je sursautai à l'entente de leurs craquements. Elles s'écartèrent d'elles-mêmes devant moi, m'accordant un droit de passage exclusif vers le lieu où tu reposais depuis tant de temps.

Lorsque je commençai à avancer, empruntant la voie qui m'avait été tracée, les roses se refermaient, reformant une haie dense. Je continuai à cheminer vers toi, guidé par la nature des choses.

Escorté par les églantiers, j'atterris dans le jardin, où chevaux, chiens de chasse tachetés et pigeons reposaient.

J'empruntai la première porte que j'aperçus, qui me mena à la cuisine. Une délicieuse odeur embaumait cette pièce, où l'opulence régnait. Le chef avait la main levée comme s'il s'apprêtait à gifler son marmiton ; une bonne était assise sur une chaise devant une poule à plumer. Or, tous deux étaient immobiles comme une statue, bloqués par une force ensorcelante dans leur mouvement.

Je vagabondai dans chacune des pièces somptueuses du palais, où la même scène occulte se répétait sans cesse. Cour, chevalerie et serviteurs étaient statiques, tous prisonniers d'un instant.

Le silence était si profond que chacune de mes respirations résonnait tel un clocher dans mes oreilles.

Même dans la salle du trône, l'aristocratie sommeillait. En haut des marches, le roi et la reine s'étaient assoupis sur leurs sièges massifs, rembourrés de velours. À leur gauche, je discernai une dernière spirale d'escaliers inexplorés. Je m'y précipitai, en me disant que tu ne pouvais être ailleurs qu'en dessus de ces marches de pierre.

Après les avoir gravies, j'arrivai à la tour la plus haute du palais. Je poussai la porte de la petite chambre où tu dormais profondément.

Mon cœur rata un battement lorsque je te vis enfin. Tu reposais là, devant moi, étendue sur le lit à baldaquin au centre de la pièce. Tu étais si jolie, dans ta robe de mousseline de soie rose, que je ne pus détourner les prunelles.

Ton teint clair donnait à ton joli minois une expression lumineuse, malgré les multiples jours pendant lesquels tes joues avaient été privées des rayons du soleil. Tes lèvres framboise me subjuguaient, si bien que mon regard resta accroché à ta bouche quelques secondes. Lorsque je m'attardai à tes traits fins et parfaitement dessinés, je ne pus m'empêcher de penser qu'ils te conféraient un air fier, noble, fidèle à ton sang bleu. Mes yeux se posèrent sur tes paupières closes, garnies de longs cils aussi blonds que les longs cheveux qui encadraient ton visage ravissant.

Je sentis mon organe vital accélérer la cadence de ses battements, et dès cet instant, je compris que j'étais déjà en train de tomber éperdument amoureux de toi.

Tu m'avais fasciné dès le premier instant, non pas à cause de ton statut princier, ni même de ton apparence éblouissante.

Mon palpitant s'emballait près de toi, parce que tu étais une rose dans un champ de tournesols.

Alors que tu avais traversé cent ans de fraîcheur sans te flétrir, des générations entières avaient eu le temps de germer, de pousser et de faner. Pendant que la haute société s'exhibait au grand jour à travers les événements mondains, tu fleurissais dans l'ombre. Tu sommeillais en pleine solitude, tandis que tout un chacun se rassemblait dans la foule des salles de bal à chaque réception.

Je t'observai longuement, sans jamais oser poser le geste qui t'aurait délivrée de ton repos forcé. Je te convoitais, mais je n'osai pas transgresser la barrière si précieuse, si intime de tes lèvres. J'aurais voulu savourer le goût d'un premier baiser avec toi, mais je ne pus m'y résoudre sans que le sentiment ne fut expressément partagé. Mais s'il te plaît, Belle au bois dormant, crois-moi quand je te dis que je t'aurais désirée.

Plus que tout en ce monde.

Tu avais l'air si paisible que je n'eus pas non plus l'audace de t'arracher à ta douce éternité. T'embrasser, c'était te condamner à la mortalité. C'était permettre à nouveau au sablier qui marquait la durée de ton passage sur terre de couler. C'était te forcer à t'étioler à mes côtés, à laisser tomber de tes pétales au gré des saisons de la vie.

Je ne pus faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Pas avec toi.

C'est donc écorché par tes épines, qui avaient tracé une marque indélébile en moi, que je me contraignis à partir, pas à pas.

Je descendis les escaliers de pierre, traversai les pièces du château, atterris dans la cour et traversai les églantiers, qui me tracèrent à nouveau un chemin.

Une fois dans le champ de soleils, je ne pus m'empêcher de poser une dernière fois les yeux sur la fenêtre de ta chambre. Je ressassai dans mon esprit ce vieux dicton, qu'on m'avait sans cesse répété, enfant :

« Si tu aimes une fleur, ne la cueille pas.
Si tu la cueilles, elle meurt et elle cesse d'être ce que tu aimes.
Alors si tu aimes une fleur, laisse-la vivre tout simplement. »

Sur cette dernière pensée, je m'éloignai de toi.

Je poursuivis ma route en cette vie, te laissant continuer de fleurir et cueillant au passage un tournesol, qui allait de toute manière faner à l'approche de l'été.

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© 2023 MAHNZA

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