Iris vermeils
Prequel de mon roman Snow Falling for December, paru en décembre 2022.
Thème : Une scène vampirique.
Mots : Morsure, Délectation, Attirance, Revigorant. 1000 maximum.
Deadline (retour) : 26 février 2023.
Petite description : Il y a des moments où la douleur outrepasse la raison. Où l'esprit prend la fuite vers des destinations oniriques pour éviter le poids d'une réalité trop lourde à porter. Où l'âme vagabonde pour laisser l'imaginaire se mêler au tangible, le temps d'un instant pendant lequel tout devient possible.
" Please don't slip away
'Cause my heart can't take it
Don't let this be the end "
— Ruelle
Dans le ciel noir et sans nuages, la pleine lune brille de mille feux. Éclairée tout entière, elle illumine mes doigts couverts de sang.
De son sang.
Obnubilée par le liquide écarlate qui coule le long de mes phalanges, je perds contact avec la réalité. Les prunelles rivées sur une goutte de plasma qui court dangereusement vers l'extrémité de mon index, je ne prends même pas conscience de l'horreur qui défile sous mes yeux. J'oublie que mon complice de toujours a un pied dans la tombe, que son corps, si animé un peu plus tôt dans la soirée, est désormais aussi inerte qu'un cadavre.
À travers la brume, je ne vois plus la lumière aveuglante des gyrophares des voitures de police et de l'ambulance, pas plus que je ne discerne les secouristes qui accourent dans toutes les directions. Je n'entends plus les voix des premiers répondants, qui hurlent à la personne la plus importante de ma vie de rester avec eux. Les cris épouvantés de mes parents deviennent un simple murmure dans mes oreilles, assourdies par ce cauchemar qui prend vie. Mes sens ne perçoivent plus rien, pas même la morsure du froid sur ma peau diaphane.
Mes pupilles se posent sur l'astre au front d'argent, qui s'exhibe dans toute sa splendeur au milieu les étoiles. Ce spectacle céleste mensuel, qui provoque habituellement chez mon partenaire de crime de persistantes insomnies, rend son sommeil profond d'autant plus funeste.
Pendant une fraction de seconde, je crois distinguer devant la face blanche de la lune la silhouette sombre d'une chauve-souris en plein vol. Emporté par une fascination inexpliquée, mon esprit divague dans un monde parallèle où tout serait différent.
À mesure que l'agitation autour de mon frère se dissipe, que les soignants accroupis autour de lui se remettent sur leurs pieds et chuchotent d'autres paroles inaudibles, j'aperçois une ombre qui sort du boisé.
La silhouette féline chemine foulée par foulée vers celui qui m'est si cher. Sans se soucier des sanglots incontrôlés de ma mère, de la larme unique que je crois sentir couler le long de ma joue et des airs navrés des ambulanciers, le chat noir hume l'enveloppe corporelle qui gît sur le sol. Sans se soucier davantage de la dépouille qui lui barre le chemin, il l'enjambe tel un trou d'eau et poursuit sa course vers la forêt, de l'autre côté de la chaussée. Se faufilant entre les conifères, il disparaît aussi vite qu'il est apparu dans l'obscurité.
Machinalement, je m'approche de mon grand frère, guidée par un besoin viscéral de voir une dernière fois ses traits, qui resteront à jamais figés dans le temps. Lorsque j'arrive à sa hauteur, je m'assieds à ses côtés et serre ses doigts sans pouls dans le creux de ma paume. Je reste là, à caresser le dessus de sa main en perdant la notion du temps.
À présent, les larmes coulent tels de petits ruisseaux sur mes joues, à mesure que je réalise que je n'ai finalement pas pu conjurer le mauvais sort, éviter l'inévitable. Ces derniers mois, mon alter ego a sans cesse mis sa vie en péril, savourant le goût du risque avec délectation. L'irrépressible attraction qui le tirait sans relâche vers le danger lui aura finalement coûté la vie. Je ferme les paupières un moment, dans une tentative vaine d'estomper la douleur lancinante qui me tord les entrailles.
Alors que je commence tout juste à me rendre compte de son départ sans retour, l'impossible se produit. Je sens ses phalanges gelées serrer les miennes. Ma vision est floue, brouillée de larmes lorsque j'ouvre les yeux.
Et lorsqu'elle devient plus nette, je suis figée devant l'image qu'elle me dessine. Les châsses de mon frère ne sont plus closes ; son regard est de nouveau vivant. Ses iris ne sont plus marron ; les anneaux qui entourent ses prunelles sont désormais vermeils. Et ces dernières me scrutent avec la plus grande attention.
À cet instant précis, je ne saurais dire si je suis toujours lucide, ou si je nage dans le bleu. Je me trouve peut-être en état second, en plein moment de folie, en totale psychose. Sans doute que l'idée trop insupportable de devoir continuer à vivre dans ce monde sans mon comparse m'empêche de garder les pieds sur terre. Ce sont probablement aussi les trop nombreux romans fantastiques que j'ai dévorés cette semaine qui sont à la source de cet onirisme.
Je le sais et malgré tout, je ne veux pas quitter ce délire revigorant. Je veux continuer à caresser ce rêve éphémère, au cours duquel la légende prend vie cette nuit. J'ai envie de croire que le défunt ne m'a pas vraiment quittée, qu'il est désormais l'une de ces créatures surnaturelles qui hantent l'imaginaire. Je me plais à espérer qu'il bondira de cette civière, que d'un coup de crocs, il fera dégoutter mon hémoglobine sur la neige blanche, me promettant à une éternité à ses côtés.
Rêvant d'immortalité, je souris malgré les perles salées qui roulent toujours sur mes joues. À peine consciente, je ne sens même pas que l'on me tire hors de la portée de mon acolyte, pas plus que je n'entends les ambulanciers noter l'heure du décès.
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© 2023 MAHNZA
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