Forest Fire

Sur cette page, ma plume parle de feu qui a réduit notre forêt en cendres.

" When you were young, you used to dream about fires "
Brighton

Enfant, tu passais déjà tout ton temps dans les bois.

Tu étais déjà le chef d'un clan, que tu avais nommé « Bâton feu » en l'honneur de ta trouvaille du jour entre les feuilles d'érable mortes : un vieux morceau d'écorce brûlé, que tu avais dès lors choisi comme emblème.

À sept ans, je t'ai rejoint, et, lors de notre premier Noël, tu m'as mis sous le sapin une noix à laquelle tu as dessiné deux yeux, un nez, une bouche et quelques cheveux. Tu disais que c'était une poupée. Depuis, je l'ai égarée, mais je conserve précieusement sur mon bureau le porte-crayon de bois aux multiples défauts de fabrication que tu m'as offert des années plus tard.

Nos liens se sont tissés aussi lentement que les arbres s'enracinent dans le sol. Beaucoup d'eau a dû passer sous les ponts avant que tu ne me considères comme de la famille, et je ne t'en veux pas pour ça. Après tout, je sais que, dans la nature, ce qui arrive rapidement est éphémère. Et que les choses les plus solides et les plus durables prennent des décennies, voire des siècles à croître.

Déjà à un jeune âge, tu construisais des abris avec des branches. Tu faisais du tir à l'arc en camping quand c'était possible. Tu confectionnais des armes de bois gravées avec ton canif : des épées, des couteaux, des lances. Tu observais les traces de pas laissés par les loups, les cerfs, les ours et les castors sur la terre fraîche. Tu ramassais les plantes et les baies, que tu as appris plus tard à identifier en latin et que tu connais désormais comme le fond de ta poche.

Par-dessus tout, tu aimais jouer avec le feu. Tu en allumais sans cesse avec des brindilles, du papier, des mousses et des ramées près du ruisseau ou des dunes. Au plus grand désarroi de ton père, les flammes dansaient parfois à une hauteur assez impressionnante, mais tu refusais de l'écouter et d'arrêter.

Pour manger de la banique avec moi aux petites heures du matin, lorsque seul le chant des oiseaux perçait le silence de sa mélodie.

Pour épater la galerie avec ton oreille musicale presque absolue, sous les étoiles et les doux crépitements des étincelles qui tentaient de monter pour les atteindre. Ces derniers constituaient le fond sonore parfait pour quelques chansons jouées sur les cordes de ta guitare.

Pour vivre tes – ou nos – expériences de jeunesse avec de la bière qui coulait à flots, trop de vodka dans les veines, des éclats de rires, des amis et des plans foireux. Parce que c'était bien mieux que les turn ups dans l'herbe, sous les pylônes électriques, ou que les open houses à jouer au beer pong et à la bouteille sur le parquet vernis d'un foyer. Tout comme nager dans un lac, c'était bien mieux que de se baigner dans une piscine ; tout comme sauter d'une falaise, c'était bien mieux que de le faire d'un plongeon.

Pour refaire le monde avec une ou deux personnes en fumant devant la lueur et la chaleur des braises.

Pour penser à un texte de philosophie où tu comparerais le sens de la vie au courant d'une rivière.

Pour te retrouver seul face à toi-même, aussi.

Toutes les raisons te semblaient bonnes pour te tirer une buche et admirer une ignition.

Même si je me tenais plus souvent dans les montagnes et les champs, nous étions des alter egos, des complices nés à la même date à un an d'écart, des acolytes inséparables pendant une période cruciale de nos existences. J'aimais les moments où je m'asseyais à tes côtés avec un rhum and coke et t'entendais me parler de tout. Je t'avoue que ça me manque, parfois. Tout comme nos nuits blanches à boire de la Jack Daniel's Lynchburg Lemonade, à déambuler dans les rues et à faire marcher les flamants roses d'un voisin. Tout comme nos cachotteries, nos mauvais coups, les trucs que l'on se promettait de ne pas dire aux parents. Tout comme les moments où on perdait nos couleurs et où on survivait ensemble, même. Tu étais un rayon de soleil, l'éclaircie qui, d'un sourire lumineux, rendait la pluie, les orages et la neige plus doux.

Sauf qu'il a suffi d'un embrasement pour que quelque chose entre nous se consume. De quelques roses rouges, d'une bague en forme de pousses et d'une déclaration de la part d'un jeune homme de campagne qui m'a aimée comme une fleur que l'on cueille, qui m'a coupée de mes racines et qui m'a éloignée de toi. Il était un poison si exquis que le vent qu'il semait dans ma vie et que la tempête que tu récoltais me passaient par-dessus la tête. Aveuglée par ma flamme, je n'ai rien vu. Je l'ai même aidé en mettant le ciseau dans une partie de notre lien qui avait pris tant de temps à se nouer : la confiance.

J'ai mis le feu à notre forêt sacrée.

Et même si sur cette planète bleue, ce qui brûle renaît de ses cendres au fil de la succession des saisons, même si désormais, le printemps après l'hiver s'annonce pour nous deux – je cultive mes passions dans un jardin secret pendant que tu regardes ton garçon grandir dans tes bras –, je serai toujours désolée de la douleur que les épines de mon premier amour t'ont infligée. 

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© 2024 MAHNZA

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