Comme une fleur que l'on cueille

Sur cette page, ma plume parle d'un amour qui l'a fait flétrir plutôt que fleurir, de la douceur parfumée de la lavande sauvage, des épines dissimulées des roses rouges.

"Don't go killing all my roses
'Cause I've only started growing
Don't go rain on my parade
I'm just tryna have a good, good day
I dig my roots into the ground
No, you won't ever cut me down "
— Jenna Raine

Tu m'aimais, je n'en ai jamais douté. À vrai dire, c'était mon unique certitude.

Tu étais épris de moi, comme un Roméo de sa Juliette. Tu m'aurais organisé tous les rencards, invitée à tous les restaurants, offert tous les chocolats de Saint-Valentin qu'une friande de romantisme pourrait convoiter. Tu m'aurais écrit des dizaines de lettres d'amour à la plume, acheté des centaines de ces livres dans lesquels ils vécurent heureux à la fin, récité des milliers de mots élogieux dignes des plus beaux billets doux. Avec son arc, Cupidon avait visé au centre de sa cible. Sa flèche empoisonnée t'avait atteint en plein cœur.

Mais tu m'aimais comme une fleur que l'on cueille.

Au début, alors même que tu m'éloignais de mes racines, j'ai eu le sentiment que tu me donnais des ailes. Entre tes mains désireuses, j'ai quitté le sol, je me suis envolée à des altitudes jusque-là inexplorées et inespérées. Le vent que tu semais dans ma vie et la tempête que je récoltais me passaient par-dessus la tête. Je planais, emportée par l'ivresse de mes émotions, par les voluptés d'un premier amour idéalisé.

Au fil des mois, tu m'as arraché la lumière qui me donnait mon éclat. Tu m'as emmenée avec toi dans la pièce obscure et vide dans laquelle tu te complaisais, où seuls quelques rayons de soleil parvenaient à traverser les volets clos des fenêtres. Tu m'as entretenue dans des conditions stériles et j'ai perdu mes couleurs. Tu m'as enfermée dans la prison sombre de tes propres insécurités, verrouillée à double tour par les codes de mon cœur dont tu demeurais le seul détenteur.

Cette cellule était semblable à du verre.

Polie, claire et transparente ; rigide, oppressante et palpable.

Puis, un jour, tout a basculé. Dans ta rage, ton impatience et ta précipitation, m'as balayée du revers de la main. Dépourvue de tout appui, j'ai perdu pied. Je me suis écrasée comme de la porcelaine sur le carrelage et j'ai volé en éclats. Ma confiance s'est brisée sans retour en arrière possible sous l'impact du choc, de la même façon que le mur de l'appartement quelques jours plus tôt sous celui de ton poing.

Si l'amour est une rose, alors je me suis piquée aux épines et l'entaille m'a fait saigner plus abondamment que je n'aurais pu l'imaginer. Le rouge s'est écoulé, encore et encore.

C'était la goutte de trop dans mon vase déjà trop plein, que je n'avais même pas vu se remplir, trop obnubilée par le bleu céleste de tes iris. D'un coup, j'ai ouvert les yeux et les écluses.

Il a plu. L'eau a ruisselé pendant plusieurs jours sur le rivage de mes joues, creusées par mon vague à l'âme.

Sauf qu'après la pluie vient le beau temps.

J'ai séché mon visage malgré le ciel encore gris.

Dépourvue de notre refuge, j'ai renoué avec mes racines et je m'y suis accrochée, le temps d'être assez forte pour m'agripper sur la terre riche et fertile qui m'était offerte à leurs côtés. J'ai cultivé ma passion pour les lettres, mes mots ont jonché des feuilles. D'abord, ça semblait à peine suffisant pour me tenir en vie. Puis, j'ai réussi à fleurir à nouveau. J'ai grandi, j'ai grimpé de mes propres tiges à des hauteurs que je n'aurais jamais pu atteindre dans le soliflore que tu m'imposais.

Depuis, dans le jardin où je me terre, je m'élève sans plan et sans limites imposées par des contours prédéfinis. Je laisse le doux violet des pétales de lavande m'habiller et le décor naturel qui m'entoure se dessiner. Les traits de crayon forment assez d'arbres pour peupler une forêt, assez d'eau pour remplir un marais, assez d'étoiles pour reconstituer la constellation de la Grande Ourse. Les brins d'herbe envahissent le sol et quelques jonquilles en jaillissent, dans une distribution hasardeuse. Les canards, les cerfs et les huards prennent vie. Les effluves fruités de la rhubarbe, des framboises sauvages et des fraises sucrées qui poussent sous les érables pendant l'été flottent dans l'air. Une chouette m'observe de sa branche et vole jusqu'à moi de temps à autres. J'en profite pour contempler son regard perçant, qui reflète la pleine lune à la nuit tombée.

Peut-être que l'on ne m'admirera plus jamais comme tu le faisais, que je ne serai plus jamais le centre d'une attention.

Mais désormais, ça m'est égal, parce que, les cheveux dansant au gré du vent, je respire de nouveau le parfum enivrant de la liberté. 

Je me suis délivrée moi-même de la tour dans laquelle j'étais devenue prisonnière. J'ai échappé de justesse à une tragédie bien pire que celle racontée par Shakespeare.

J'ai évité de glisser dans ta poche les clés de mon bonheur.

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© 2024 MAHNZA

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