Sur cette page, ma plume parle de la montagne qu'on a parfois à gravir pour parvenir à s'accepter.

" And if I could turn back the clock
I'd make sure the light defeated the dark
I'd spend every hour of every day
Keeping you safe
And I'd climb every mountain "
— Calum Scott

À la seconde où tu es sorti du salon, les minutes se sont arrêtées. Les instants se sont mués en heures interminables, comme si les aiguilles de toutes les horloges avaient commencé à refuser de tourner au même moment.

En l'absence de leurs tic-tacs synchronisés, les murs faisaient rebondir tes sanglots entrecoupés, qui résonnaient dans l'ensemble de l'appartement.

J'ai cogné à la porte de la chambre où tu t'étais réfugié lorsque tu avais senti que tu manquais d'air. Trois coups, à peine audibles. J'ai tourné la poignée sans faire de bruit et je suis entrée à mon tour.

Je me suis avancée dans la pénombre, jusqu'au milieu de la pièce où tu étais assis. Je me suis agenouillée à tes pieds, et je t'ai serré dans mes bras quelques unités temporelles de trop. Je t'ai pressé contre mon cœur, qui se comprimait à vue d'œil devant tes yeux rougis.

Loin de tout le monde, on a parlé à la lueur d'une demi-lune, de l'astre au front d'argent qui éclaire la nuit.

Tu m'as confié tes insécurités, ta peur constante d'être remplacé pour  « mieux ».  Tu m'as fait voyager dans tes années, dans tes expériences passées, dans tes blessures ravivées.

Je ne sais pas quand l'eau et le sel ont commencé à dévaler la pente de mon visage en downhill, de l'amont de mes cils vers l'aval de mes joues. Parce que la vérité, c'est que ça faisait une éternité que je n'avais pas pleuré. J'ai perdu cette faculté de laisser ma tristesse s'épancher avec le temps, un peu comme mes jambes ont perdu celle de skier dans les bosses dès lors que j'ai arrêté de les y entraîner.

Désormais, je ne saigne que les plaies d'autrui et ne pleure que les larmes des autres lorsqu'elles s'écoulent trop abondamment. J'ai toujours ressenti plus fortement les émotions de ceux qui m'entourent que les miennes.

C'est lorsque l'on reprenait notre respiration à l'unisson que je t'ai soufflé à l'oreille mon plus grand secret. Celui que je m'évertue de protéger au quotidien, de cacher trois-cent-soixante-cinq jours par an. Je l'ai fait glisser jusqu'à toi en une fraction de seconde, parce que je voulais que tu saches que je te comprends, que je te comprends plus que quiconque.

Je sais que s'accepter, pour nous deux, c'est une montagne à gravir. On se confronte à un fort dénivelé, à une différence de niveau impressionnante entre ce que l'on est et ce à quoi on voudrait ressembler, à un écart significatif d'altitude entre le départ et la ligne d'arrivée. Parce qu'en cette saison, quand on se regarde dans la glace, on trouve des imperfections et des fissures sous tous les angles. L'avalanche de complexes qui nous ensevelit nous empêche d'atteindre les plus hauts sommets qui devraient être à notre portée. Alors plutôt que de monter en continu, on descend en slalom, on tente de franchir des obstacles qui nous paraissent insurmontables et on se plante trop souvent, à la moindre chute de neige.

Malgré tout, je veux croire qu'un jour, le vent tournera en notre faveur. Qu'on sera bien dans nos bottes, même en hiver. Qu'on parviendra à effectuer le virage acrobatique qui constitue notre objectif ultime. Qu'on arrivera à paraître confiants, à faire du free-style sans qu'il s'agisse d'une figure ou d'une performance. Qu'on remportera cette course contre la montre dans cette société moderne qui vit en accéléré. Qu'on sera plus que des alpinistes en hypoxie. Qu'on aura l'occasion de faire un peu de hors-piste. Qu'on expérimentera la douceur d'un baiser dans les sous-bois comme mes parents l'ont fait.

Ou du moins, j'espère que ça t'arrivera à toi.

Parce que tu es un garçon en or qui a tout pour plaire, tout pour séduire, tout pour aimer et être aimé.

Sauf tu ne peux être médaillé sans d'abord t'estimer toi-même à ta juste valeur.

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