Chapitre 15

La situation est catastrophique.

Maloé a le pied au plancher et s'efforce de nous conduire au plus vite au premier hôtel qu'elle trouvera et qui sera assez éloigné du territoire de Lucien. Nos corps secoués par les virages serrés que prend la voiture, je m'efforce de compresser la plaie de Bastian, tous deux installés sur la banquette arrière à présent souillée par le sang du loup. Ecoeurée par la vue du liquide écarlate qui me donne des sueurs froides, je détourne les yeux du blessé en prenant de grandes inspirations en m'efforçant de ne pas vomir. Je ne doute pas un seul instant que mon visage est aussi pale qu'un cadavre. Cela me fout en rogne de paraître aussi fragile en cet instant, mais je supporte pas la vue du sang, et ça je n'y peux rien du tout.

Au moins, je ne suis pas plus fragile qu'une certaine louve.

Eleanor s'est évanouie à l'instant même où ses yeux se sont posés sur la flaque rouge qui s'était formée sur le sol. On a dû la trainer jusque dans la voiture et elle repose à présent sur le siège passager, toujours dans les vapes.

Je détourne le regard de la femme inanimée sur Bastian allongé sur la banquette, tout en m'efforçant de ne pas jeter un seul coup d'œil à sa blessure. Mais même si je ne la vois pas, je sens très bien son sang qui dégouline sur mes mains en appui. J'essaie de ne me concentrer que sur son visage. Le loup est pâle, ses traits sont contractés par la douleur, la couleur de ses yeux oscillent entre un gris clair et un mercure intense.

-Bastian, tu es sûr que...

-J'ai déjà dit non, Léane, je ne changerai pas d'avis au bout de la quatrième fois. grogne t-il d'une voix caverneuse.

Je souffle du nez. J'ai proposé à plusieurs reprises de le soigner en me servant du pouvoir de ma plume, mais Bastian refuse catégoriquement que je verse ne serait-ce qu'une seule petite goutte de sang pour lui. Et je trouve cela injuste, injuste de ne pas pouvoir l'aider alors que le loup m'a déjà protégée maintes fois, injuste de posséder un grand pouvoir et de ne pas être autorisée à s'en servir, injuste que les autres souffrent par ma faute, parce que je suis venue dans leur monde et ait tout déréglé.

Tout n'est qu'injustice.

La voiture s'arrête brusquement et je manque de tomber des jambes de Bastian sur lesquelles je suis assises - le colosse prenant toute la place sur la large banquette, il fallait bien que je trouve un endroit pour m'installer. Maloé s'empresse de descendre. Je tente d'en faire de même mais mes mains ensanglantées glissent sur la poignée. Je râle. Heureusement, Maloé vient m'ouvrir la portière.

-Je vais le porter. prévient-elle.

Mais le loup se met à grogner.

-Hors de question ! Je peux marcher seule. proteste t-il en se redressant.

Je le vois grimacer sous la douleur, mais il tient bon et sort du véhicule sans notre aide.

-Il faut que quelqu'un aille réserver les chambres.

-J'y vais. annonce la louve. Tu as les mains pleines de sang.

Elle revient un peu plus tard, les mains chargés de deux clés qui vont nous servir à ouvrir nos chambres. Elle m'en tend une, puis se charge d'emporter Eleanor sur son épaule jusque sa propre chambre.

-Viens, il faut qu'on te soigne.

-Pas besoin. Nous les métamorphes possédons une cicatrisation bien meilleure que la vôtre, je serais rétabli d'ici quelques heures. me répond-il avec difficulté.

-Je le sais, je te rappelle que c'est moi qui vous ait crée.

Nous rejoignons la chambre qui nous a été attribuée. Bastian se laisse tomber sur le matelas, ne faisant peu cas des draps blancs à présent souillés. Je rentre dans la salle de bain et rince mes mains rougeoyantes sous le jet du robinet. L'eau se colorie sous mes mains. Je frotte avec vigeur, souhaitant qu'il ne reste aucune trace écarlate sur ma peau claire. J'y parviens au bout de quelques minutes. J'essuie mes mains et rejoins Bastian dans la chambre.

Le loup me paraît mal en point. Sa respiration semble difficile, son front est dégoulinant de sueur. Mais sa plaie a arrêté de saigner, c'est bon signe.

-Viens te reposer. m'intime t-il en tapant le matelas du plat de sa main.

Je ne remarque qu'à l'instant à quelle point je suis exténuée - alors que je suis debout que depuis quelques heures. Je mets ma fatigue sur le compte de la fuite et de la panique. A présent que tout redevient calme, que l'adrénaline est redescendue, je me sens complétement vidée de toute énergie.

-Ce serait avec plaisir, je dis après avoir baillé, mais je dois aller voir Maloé et Eleanor dans l'autre chambre. Toi, tâche de guérir.

Je quitte la chambre sous son intense regard et referme la porte derrière moi. Je ne tarde pas à rejoindre celle de Maloé et d'Eleanor. Je constate aussitôt que celle-ci est éveillée, bien qu'encore légèrement dans les vapes.

-Comment va t-elle ?

-Elle est désorientée. Ça ne va pas aller en s'arrangeant.

Le regard de l'Alpha femelle se pose partout dans la chambre, une expression neutre sur le visage. Puis ses yeux s'ouvrirent en grand.

-Où... Où est-ce que nous sommes ?! Ce n'est pas une maison de notre territoire. Où est Jasha ?!

-Calme toi. Tout va bien. Tu es en sécurité, et tu retrouveras Jasha bientôt.

-Je veux le retrouver maintenant ! quémande t-elle de façon agressive.

-Tu ne peux pas. je réponds fermement.

Elle me fixe avec de grands yeux, puis me lance un regard noir.

-Je ne t'aime pas. décide t-elle alors.

Et c'est réciproque.

*****

Cela a mis du temps pour calmer la louve latente, pour lui faire comprendre que son Alpha ne pouvait pas venir maintenant, mais qu'elle pourrait le revoir bientôt. Cette fille est bornée et son comportement me tape sur le système. Depuis quand les femmes dépendent-elles autant de leur homme ?

Tout cela me révulse.

Je trouve encore plus pitoyable que c'est moi qui ait fait d'Eleanor ce qu'elle est. J'ai façonné un personnage que je n'aime pas.

Ce que je suis tordue...

Je retrouve avec plaisir la chambre plus silencieuse que je vais partager avec Bastian. Le loup semble profondément endormi et je constate que sa blessure a commencé à se refermer. Dans quelques heures, sa peau sera aussi lisse qu'auparavant.

Je m'avance vers le lit où est allongé le loup. Maloé ne semble pas avoir jugé bon de préciser des lits séparés, je dois donc partager ma couche avec Bastian. Tant pis, cela ne me dérange pas de toute façon, pas autant que je ne l'aurai cru. Je grimpe sur le haut matelas et me glisse sous la couverture du côté non sali par le sang. J'enfonce ma tête dans l'oreiller moelleux et soupire.

-Approche.

Je sursaute. La voix de Bastian m'a surprise. Je pensais qu'il dormait. J'ai peut-être dû le réveiller. Je mets quelques instants pour comprendre ce qu'il me dit. Que j'approche ? Pourquoi ? Trop fatiguée pour protester, j'obéis. Je m'avance et vais timidement poser ma tête contre la peau chaude de son torse avant de me laisser aller complétement. Nous soupirons en même temps. La chaleur de son corps m'enveloppe, le soulèvement de son torse m'apaise, et il ne me faut que quelques secondes pour m'endormir.

Je suis réveillée en sursaut par la porte que l'on claque violemment contre le mur. Puis résonnent des cris aiguë, féminin. Je cligne des yeux pour tenter d'y voir clair. La nuit est tombée et il fait trop sombre pour que je distingue quoique ce soit. Mais bientôt la lumière m'éblouit les yeux. Maloé continue de jacasser comme un chiwawa.

-Quoi ? je grommelle, encore ensommeillée.

-Réveillez-vous ! Je vous dis qu'Eleanor est partie !

Cela me réveilla pour de bon.

-Comment ça partis ?! je m'exclame en me redressant d'un bond.

-Elle m'a assommée ! Je ne m'y attendais pas... A mon réveil, elle n'était plus là. Elle doit être déjà loin maintenant.

Ce n'est pas bon, pas bon du tout. Eleanor était notre monnaie d'échange pour que Jasha nous pardonne et accepte de nouveau Bastian et Maloé dans sa meute. A présent, je ne doutes pas que la louve latente est partie le rejoindre et qu'elle va lui raconter qu'on a tenté de la séquestrer dans une chambre d'hôtel.

-C'est donc tout l'effet que ça te fait ? s'exclame Maloé en regardant le loup toujours allongé qui la toise étrangement.

En regardant de plus près, Bastian semble vexé.

-T'as bousillé notre nuit.

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