L'esprit encore embrumé par le long sommeil réparateur, je soupire d'aise en me blottissant un peu plus contre la masse douce et chaude installée sous moi. Je me sens bercée par ses soulèvements réguliers. Un souffle tiède vient se répercuter contre ma nuque dénudée. Je gigote pour trouver une position plus confortable. Le son d'un grognement me fait un peu sursauter et j'ouvre les yeux, réveillée pour de bon. Mes yeux rencontrent un pelage sombre et soyeux. Je ne mets pas longtemps à deviner que c'est le loup de Bastian qui se trouve confortablement installé dans mon lit et contre lequel je suis blottie. Au lieu de m'en formaliser, je me surprends à sourire. Je me redresse. Je sens le loup remuer sous ma main. Je tombe sur ses deux iris argentés qui m'observent calmement. Mon sourire s'élargit. Je lève la main et caresse le sommet de son crâne, attendrie par le magnifique loup noir. Il approche son museau, renifle timidement, puis lèche ma joue.

-Beurk. je fais en riant.

La porte s'ouvre brusquement et Maloé entre dans la chambre, tout sourire. Puis elle se fige, et écarquille les yeux en nous apercevant tous deux au lit.

-Je ne veux même pas savoir.

Je m'écarte du loup, les joues rendues rouges par la gêne. Le loup se lève et descend du lit avant de se secouer. Quelques secondes plus tard, Bastian fait son retour. Maloé prend place sur le fauteuil où le métamorphe était censé passer la nuit, et nous observe, les mains croisées sur ses genoux.

-Alors ?

-Je t'assure qu'il ne s'est rien passé ! je me défends vivement.

Elle secoue la tête, amusée.

-Je ne te parle pas de ça ! Je voulais savoir ce que tu comptes faire maintenant que tu as la plume.

-Oh.

Qu'est-ce que je compte faire ? Bonne question.

J'ai réfléchis hier à l'idée de retarder un peu mon retour à la maison. Je pense que vingt-quatre heures devraient suffire. Mais je n'ai pas décidé comment j'allais occuper ces vingt-quatre heures. L'urgence nous pousse à agir avant que tout ne s'aggrave. Comment régler la situation ? En restant ici, mes chances sont minces. Si je repars chez moi, je suis entièrement sûre que tout pourra rentrer dans l'ordre.

-Je pense que... On devrait...

Le regard insistant de Bastian sur ma silhouette de déstabilise. Je sais ce qu'il attend de moi, que j'annonce que je ne reparte pas, ou du moins pas maintenant. C'est ce qu'il souhaite, même si je ne sais toujours pas pourquoi exactement. Et, même si ça ne devrait pas, le souhait de Bastian entre en compte dans ma décision et finit par faire pencher la balance.

-Je vais rester ici, encore un peu. j'annonce clairement.

J'entends le loup soupirer de soulagement non loin.

-Et pour la meute, tout ça ? me demande Maloé.

Je n'arrive pas à savoir si la louve se réjouit de ma décision ou bien au contraire est déçue de ce retardement. Elle a un compagnon qui attend avec impatience son retour au sein de la meute. Surtout que, à présent qu'elle a été aperçue avec Bastian et moi, en train de nous défendre, elle doit sûrement avoir été classée de traitresse et bannie de la meute à son tour.

Je n'apporte que du malheur à leur monde.

-Jasha ne sait plus ce qu'il fait, il est perdu parce que l'absence de son âme-sœur le bouffe. Il ne peut pas aller le chercher maintenant, il ne sait pas encore comment. Mais nous, si. Nous pourrions aller la chercher dans la tanière de Lucien et la rendre à Jasha en échange d'une armistice. explique Bastian d'un air assuré. Il nous en serait énormément reconnaissant.

Je hoche la tête.

-C'est vrai que, étant l'auteure de votre histoire, je suis au courant de plusieurs choses que vous ne savez pas, ou pas encore. Et puis, grâce à la plume, on pourra s'infiltrer sur son territoire sans que Lucien ait à s'en apercevoir.

Bastian fait grise mine.

-Je n'aime pas l'idée que tu doives verser du sang chaque fois que nous avons un problème à régler.

Je hausse les épaules, insouciante.

-Ce n'est qu'un peu de sang.

Maloé se relève, pas le moins du monde intéressée par nos différents, et tape dans ses mains joyeusement avant de s'exclamer.

-Allons retrouver notre Alpha femelle !

*****

La route n'a pas été très longue jusque la petite campagne où se terrent Lucien et ses alliés. Nous attendons un peu avant de descendre de la voiture garée à deux centaines de mètres de leur tanière.

-Tu es prête ? me demande soucieusement Maloé à l'arrière du véhicule.

Je hoche la tête de haut en bas en m'emparant du stylo magique que je décapuchonne. Bastian pose une feuille sur le tableau de bord en face de moi. J'approche la plume aiguisée de ma main déjà blessée et m'entaille la peau en grimaçant. Le sang se met aussitôt à couler et je dois creuser la paume de ma main pour éviter que tout ne se déverse sur le sol.

Ce serait un énorme gâchis.

Je sens que Bastian est tendu à mes côtés. J'ai bien compris que voir mon sang couler lui déplait fortement, mais je n'ai pas le choix si je veux me servir du pouvoir que renferme la plume. Je m'approche de la feuille sur laquelle je commence à griffonner des lettres écarlates. Je suis obligée de tremper la plume du stylo à plusieurs reprises pour écrire la phrase jusqu'au bout.

" Aucun ennemi ne se mettra sur notre chemin jusque Eleanor. "

Comme la dernière fois, il ne se passe rien les premières secondes, puis les lettres s'illuminent et là je sais que la magie a fait son effet et que nous pouvons rejoindre sûrement l'endroit où est Eleanor, l'âme-soeur de Jasha et l'Alpha femelle de sa meute, est enfermée.

-Tu n'étais pas obligée d'écrire autant de mots. ronchonne l'ancien bêta à mes côtés avant de sortir de la voiture.

Je lève les yeux au ciel, faussement exaspérée par le comportement du loup. Mais au fond de moi, je sais que je compte pour Bastian et qu'il s'inquiète beaucoup de mon sort, prêt à me protéger de tout et n'importe quoi à n'importe quel moment.

C'est plutôt mignon.

-Il tient beaucoup à toi, tu sais ? lance alors Maloé toujours assise sur la banquette arrière alors que Bastian nous attend à l'extérieur.

-Je sais, oui.

Elle semble réfléchir un instant, regarde Bastian, puis moi.

-Est-ce que tu es célibataire dans ton monde ?

Quoi ?

-Je, euh... Allons-y. je prononce en sortant de la voiture.