Chapitre 1

-Léane, réveille-toi ! On n'est pas dans un dortoir ici.

J'ouvre les yeux péniblement, me redresse sur mon siège et jette un coup d'œil à la ronde. La boutique est déserte, il n'y a aucun client, juste mon manager qui me fixe sévèrement de l'autre côté du bureau.

-Excusez-moi, monsieur, cela ne se reproduira plus.

Il se retourne, visiblement satisfait, et alors qu'il s'éloigne, je me mets à marmonner.

-De toute façon, ce n'est pas comme si j'avais du boulot avec une clientèle aussi inexistante.

Le manager s'arrête, le corps soudain tendu. Il inspire. Puis expire lentement.

-Il est bientôt dix-neuf heure et il n'y a aucun client à l'horizon. Je t'autorise à partir en avance. Mais c'est exceptionnel.

Je souris et hoche la tête avant d'aller chercher mes affaires. Je fonce aux vestiaires troquer le gilet sans manche bleu ciel de l'enseigne contre une veste en cuir légère, attrape mon sac et quitte la pièce, en direction de la sortie de la boutique. Sur le chemin, je recroise mon manager qui m'interpelle.

-Ne sois pas en retard demain.

Je hoche la tête pour lui montrer que j'ai compris et m'en vais. Le centre commercial est toujours bondé malgré le peu de client que nous avons eu aujourd'hui. Nous sommes bientôt au début de l'été, les journées sont plus longues et les gens en profitent pour passer du temps dans des endroits publics comme celui-ci. Malheureusement, même si la saison du soleil allait bientôt arrivée, cela n'empêche pas les nuages de la Normandie de venir se déverser au-dessus de nos villes. Je ne peux que voir les trombes d'eau qui descendent du ciel à travers les portes vitrées du centre.

Quelle idée de s'installer dans cette partie de la France !

Prenant mon courage à deux mains, je réajuste ma veste et sors à l'extérieur, prête à courir pour rejoindre ma voiture. Je ne passe que quelques secondes sous la pluie, le temps de déverrouiller le véhicule et d'y entrer, et pourtant me voilà trempée des pieds à la tête. Vu l'ampleur de cette averse, on doit s'attendre à une tempête ce soir.

Quinze minutes plus tard, je suis de retour dans mon appartement, les cheveux mouillés comme si je sortais de la douche. Justement, je m'empresse de retirer mon manteau et mes chaussures à l'entrée, puis mes vêtements sur le chemin qui me mène à la salle de bain où je m'apprête à me laver. Un instant plus tard, me voilà installée en pyjama sur la chaise de mon bureau face à mon ordinateur qui affiche un texte entamé, et un plat réchauffé pour combler mon estomac qui gronde depuis que dix-sept heure a sonné. Mon précieux carnet à mes côtés, je me penche sur l'ordinateur portable et m'apprête à jouer des doigts sur le clavier. Mais contre toute attente, je n'arrive pas à trouver la motivation nécessaire.

Cela fait des années que j'écris des livres sur Internet, depuis mon adolescence exactement. Si avant écrire était une passion que j'exerçais de temps en temps, aujourd'hui, c'est tout ce qu'il me reste, mise à part le boulot. J'ai vingt-cinq ans, j'ai arrêté mes études il y a cinq ans et depuis, je suis opticienne et je vis à Dieppe, la ville où je suis née, mais où je n'ai pas grandi. Au tout début de mon lancement dans la vie d'adulte, mes week-ends étaient rythmés par les sorties entre amis - jamais avec de petits-amis, je n'en ai plus eu à partir de mes dix-sept ans. Aujourd'hui, j'ai l'impression que tous m'ont oubliée. La plupart sont allés s'installer à l'autre bout de la France, d'autres sont préoccupés par leurs études compliquées, et le reste ne pense plus qu'à stabiliser leur relation amoureuse avec l'homme ou la femme qu'ils aiment.

Et il y a moi.

Je soupire et tente de me concentrer sur mon texte. J'ai déjà écrit beaucoup de livres fantastiques, tous concernant des métamorphes, des créatures hybrides mi-humaines mi-animales et parfois même d'autres créatures magiques. Cette histoire ne fait pas exception. Mon récit actuel parle d'un couple de métamorphe loup, l'une ayant l'incapacité de se transformer en son animale totem et l'autre à la tête d'un groupe de métamorphes loups, autrement appelé l'Alpha. L'histoire est déjà bien avancée, à vrai dire, je suis plus proche de la fin que du début. Et si j'ai hâte de boucler ce livre sur lequel je travaille depuis trop longtemps, voilà que je me trouve dans l'incapacité d'écrire la moindre ligne sans ne pas l'effacer expressément.

Ma vie actuelle me dégoûte, me retire l'inspiration au fur et à mesure que les jours défilent. Je ne vis plus rien d'intéressant ces jours-ci, et cela se répercutent sur ma plume. Parfois, je me relis, et je me dis que ce serait chouette de vivre une vie semblable à celle de mes personnages principaux, Jasha et Eléanor. Ce soir, j'en ai envie plus qu'autres choses.

Ras-le-bol de cette routine ennuyante et de cette solitude déprimante. Rien ne m'arrive. Mes amis ne m'appellent plus, ma famille me demande très peu de mes nouvelles. Le peu de collègues que je croise au travail ne m'intéresse pas, ils sont d'un ennui. Ce soir, j'ai envie plus que tout que ça change.

Je fixe l'écran de mon ordinateur. L'envie de m'y intégrer juste pour ce soir me démange. Après tout, rien ne m'en empêche. Je pourrais m'imaginer intégrer la communauté de loups, vivant avec eux des événements trépidants comme ils ont l'habitude d'en vivre. Poussée par une motivation débordante, je me penche de nouveau sur mon clavier, délaissant la nourriture sûrement tiède à présent, et commence à taper sur les touches. Je n'écris qu'une phrase, une seule. Je me recule pour apprécier ces mots alignés une fois le point apposé.

J'aurais une vie passionnante, au moins le temps d'un soir.

Je penche de nouveau au-dessus du clavier, prête à poursuivre, quand le bureau se met à trembler. Je me recule précipitamment et me lève.

Un tremblement de terre ? La machine à laver de la voisine du dessous ?

Les secousses continuent en s'intensifiant. Mon verre tombe sur le côté, manquant d'arroser l'ordinateur avec son contenant. Soudain, l'improbable se produit. L'ordinateur se soulève du bureau et une lumière éclatante se dégage de l'écran. Éblouie, je ferme les yeux et pousse un cri de peur. Mon corps se fait plus léger, j'ai l'impression que mes pieds décollent du sol.

Et je suis aspirée par la lumière.

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