Voyage à Londres
- Titre de transport madame !
Romane sursauta, confortablement installée dans le fauteuil bleu d'une rame ultramoderne de l'Eurostar Paris-Londres, elle s'était assoupie bercée par les vibrations du train lancé à toute allure. Casquette vissée sur la tête, le contrôleur l'observait trépignant, elle lui tendit son billet, après un coup d'œil rapide, il poinçonna et poursuivit aux sièges voisins. Les scènes d'embrassades et les « au revoir » du quai de la gare du Nord avaient successivement laissé place aux vieux bâtiments industriels tagués et aux habitations grisâtres de la périphérie. Le rythme ralentit, le paysage déformé par la vitesse se précisa, c'était une belle journée de juillet ensoleillée et en observant la campagne verdoyante, la jeune femme réalisa comme la nature lui manquait à Paris.
Elle se remémora ce qui l'avait amené à faire ce voyage. Un peu plus de deux mois s'étaient écoulés depuis l'entrevue avec le détective Jacques Lemoine, Romane Fut piquée par l'envie de découvrir la véritable histoire de Rose et de permettre à quelqu'un de la retrouver avant que la maladie ne l'emporte.Finalement, elle avait accepté le test ADN, s'en était suivi la venue de techniciens appartenant à un prestigieux laboratoire Suisse jusqu'au lieu où vivait Rose. Durant la période d'attente des résultats, la jeune femme avait repris le cours habituel de sa vie, le travail occupait la majeure partie de son temps. Les soirées spéciales Élections présidentielles s'étaient enchaînées, la rédaction avait tout mis en œuvre pour recevoir les candidats de façon équitable et ainsi ménager les susceptibilités, des loges absolument identiques avaient été mises à la disposition de chacun. Romane et plusieurs autres collègues s'étaient relayés auprès des personnalités.
Cette expérience lui avait beaucoup apprise sur la nature humaine, les exigences, la sympathie ou l'indifférence de certains d'entre eux ne l'avaient pas vraiment surprise. Comme les autres acteurs du staff, elle faisait un métier qui la rendait invisible la plupart du temps, malgré la proximité physique qui était bien réelle. Elle s'amusait parfois du fossé qui pouvait exister entre l'image médiatique et la réalité de la personne assise dans son fauteuil. Poser un fond de teint pouvait s'avérer être un vrai casse-tête fasse aux individus qui ne tiennent pas en place. Les téléphones plaqués sur l'oreille en permanence ne lui facilitaient pas la tache non plus, sans parler de l'équipe de campagne, qui bien que limitée dans la loge l'interrompait en permanence.
La nuit, elle en faisait des cauchemars, affolée, en voyant apparaître sur l'écran de contrôle, un des ses candidats maquillé comme une voiture volée, elle courait alors au plus vite sur le plateau et se rétamait de tout son long en plein direct... Heureusement, ce n'était qu'un mauvais rêve. Et puis en partageant l'intimité des invités de la chaîne, il lui arrivait d'assister à des conversations "d'ordre privé" très embarrassantes ou d'entendre des réflexions déplacées, gênée au début, elle n'y prêtait même plus attention. Heureusement, il y avait aussi de bonnes surprises et de belles rencontres. Sa réflexion fut interrompue par les vibrations de son portable qui indiquait un message.
– Mes pensés t'accompagnent dans ce voyage de la vérité, ne refuses pas le destin et n'oublies pas que tu es lé-gi-ti-me !
Érine... que ferais-je sans toi, se dit-elle un sourire sur le visage. Son amie avait immédiatement compris la déception de Romane, de ne pas être recherchée, elle-aussi. La boîte de Pandore avait été ouverte et un besoin alors inexistant s'était créé. Érine avait également trouvé les mots pour lui rappeler comme ses parents l'aimaient et que si ceux-ci avaient mis des zones d'ombres, c'était pour la protéger à coup sûr -Ne cherches pas à te faire du mal, tu es leur fille, ce qui coule dans tes veines ne change rien à cette réalité ! Conduis-toi comme telle et ne laisse personne te dire le contraire !- Après ce recadrage en bonne et due forme, Romane avait retrouvé confiance, elle était prête à affronter le destin.
Un nouveau ralentissement se fit sentir et le train entra dans un tunnel sombre. Les oreilles bourdonnantes, Romane pouvait maintenant voir son reflet dans la vitre, ses longs cheveux bruns sur les épaules, elle portait un petit haut léger car la chaleur était déjà bien présente malgré la matinée. Un appel micro du contrôleur se fit entendre.
- Comme vous avez pu le remarquer, nous commençons le voyage dans le tunnel sous la Manche, vous pouvez être gênés par les différences de pressions, n'hésitez pas à déglutir et à boire régulièrement afin de soulager vos tympans, bien que désagréable, ceci est sans conséquence sur la santé, la traversée durera une vingtaine de minute, pensez aussi à vous couvrir car la température va baisser. Toute l'équipe est à votre service en cas de besoin, merci pour votre attention ! Puis le message fut divulgué de nouveau en Anglais.
Romane se dit « Bienvenue dans l'Eurostar qui donne la suée aux claustrophobes », puis elle observa les visages alentours et remarqua que beaucoup d'entre eux restaient impassibles, l'habitude sans doute, elle saisit le regard de la veille dame située face à elle, pas très rassurée non plus de toute évidence. Romane engagea la conversation :
- C'est une première pour vous aussi ?
- Oui... et passer sous la mer me met un peu mal à l'aise, pas vous ?
– Oui, mais je me dis aussi que de nombreux voyageurs ont expérimenté avant nous et à voir les habitués, on finit par ne plus s'inquiéter, elle sourit et renchérit, moi j'ai plutôt l'impression d'être dans un roman de Jules Verne, je trouve ça extraordinaire !
- Vous avez raison, c'est incroyable le progrès ! et puis il faut que je m'habitue si je veux voir mes petits enfants régulièrement, ils vivent depuis peu près de Londres... vous aussi avez de la famille en Angleterre ?
Comment dire... la jeune femme préféra rester vague.
- Une amie que je n'ai pas revue depuis un certain temps et qui s'est amourachée d'un anglais, elle m'attend au terminus dit-elle avec un large sourire.
Effectivement, la jeune femme avait joint l'utile à l'agréable en recontactant une amie de lycée qui vivait désormais dans la capitale Anglaise. Elle et Anne-Catherine, Cath pour les intimes, se contactaient régulièrement par webcam, histoire de ne pas perdre le contact. Elles s'écrivaient pour les vœux chaque année et la Londonienne d'adoption souhaitait que Romane vienne enfin la voir mais l'année s'écoulait inlassablement et celle-ci ne trouvait pas le temps de lui rendre visite. Et puis le destin décida, les résultats ADN parlèrent et comme Jacques Lemoine, le détective, le pressentait : Rose avait bien de la famille... en Angleterre. En attendant de s'y rendre pour rencontrer le mystérieux parent, Romane chercha à en savoir plus auprès de sa tante paternelle Claudine. D'abord, la tante fut extrêmement surprise par ces révélations, ce n'était pas le genre loquace et ce fut difficile de la faire parler... surtout par téléphone, puis elle finit par lâcher qu'elle connaissait Rose depuis de nombreuses années et que si elle était bien sûre de quelque chose c'était bien qu'elle n'avait jamais été adoptée ! La tante Claudine en avait trop dit ou pas assez, prudente Romane n'insista pas plus cet fois-ci mais se promit de lui faire la surprise de sa visite en se rendant dans le Sud Ouest de la France où elle résidait dès que possible.
Pour l'heure, le train s'immobilisa et un nouvel appel retentit.
- Terminus Saint-Pancras Londres !
Romane scruta le quai, elle vit la silhouette de son amie qui avançait à vive allure dans sa direction.
- Ah que c'est bon de te revoir enfin ! Lui dit Anne-Catherine en la serrant dans ses bras.
- Oh oui ! Ça me fait tellement plaisir ! Cath, Tu es resplendissante, c'est ton John qui te rend si épanouie ?
- Oui sans compter que j'adore ma vie ici ! Tu veux que je te prenne un sac ?
- Je ne reste que trois jours mais je me suis un peu chargée, j'imagine que toutes les femmes sont comme moi, on a toujours besoin de tout... répondit Romane en lui tendant un bagage à main.
Les deux jeunes femmes sortirent d'abord de l'extension moderne conçue pour les lignes internationales pour rejoindre le hall principal « Barlow » de la gare. En sortant, elles se retrouvèrent en plein cœur de Londres, Romane détailla un instant le panoramique autour d'elle et fut stupéfaite par l'impressionnante architecture d'époque victorienne de la gare de Saint-Pancras. Anne-Catherine héla un taxi qui déboula aussitôt, les fit monter et s'engouffra dans le flot rapide et périlleux de la circulation.
Romane n'avait pas pris de jour de congés depuis longtemps et ce dépaysement n'était pas pour lui déplaire. Bien sûr la raison première de sa venue à Londres était ce rendez-vous fixé par le parent de Rose chez un avocat spécialisé en succession mais rien aujourd'hui ne viendrait tourmenter le plaisir de cette journée avec son amie de lycée.
Cath surexcitée joua les guides aux détours des divers monuments, jardins ou curiosités que le taxi contournait.
- Demain après ton rendez-vous, je te propose d'aller sur Oxford-Street pour faire du shopping ! Qu'en dis-tu ?
- Tu veux me convertir à la vie Londonienne ?Avec plaisir ! Mais je risque de repartir avec un sac de plus !
- Qui sait, on te trouvera peut-être un Boyfriend pour porter tes sacs pendant le séjour !
- Avec mon anglais scolaire, je crains de ne pas aller bien loin dans la conversation, il faudra que j'use d'autres stratagèmes pour le séduire ironisa Romane.
- Avec un physique comme le tien, je ne me fais pas de soucis, lui répondit Cath en la détaillant du regard, de plus ici on raffole des petites françaises !
- Si tu continus sur cette voie, je vais être obligée de m'installer ici pour avoir ma dose de compliment journalière !
- Décidément, tu ne changeras donc jamais, toujours aussi humble... soupira Anne-Catherine.
- Crois-moi je vois trop au quotidien les ravages du narcissisme, je préfère rester comme je suis...
L'amie de Romane opina de la tête, amusée.
- Je veux bien croire, il y a de beaux spécimens ici aussi ! Puis elle indiqua une maison.
- Ah ! ça y est nous sommes arrivées !
La journée passa très vite, Cath fit visiter sa maison toute en hauteur, typiquement Anglaise, puis raconta longuement sa nouvelle vie à son amie tout ouïe. Plus tard quand il rentra du travail, elle lui présenta John. Romane tenta la conversation dans un Franco-Anglais mal assuré. La soirée se prolongea dans la bonne humeur, elle fut ponctuée d'anecdotes croustillantes des anciennes lycéennes. Quand Romane se blottit dans le petit lit de la chambre d'amis, elle était exténuée mais heureuse de sa journée. Elle repoussa les pensées qui lui venaient sur ce qui l'attendait le lendemain, elle serait bientôt fixée. Avant de s'endormir et comme à son habitude, elle eut une pensée pour sa maman, si seulement elle avait pu faire le voyage avec elle...
***
👍👎 Vous avez aimé ou pas du tout, vous en avez le droit aussi.
Ce passage vous a-t-il fait voyager ?
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Des incohérences , des fautes, erreurs etc... dites-le!
Merci ❤ Luce
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