Rumeurs
La gorge de Romane se serra faisant accélérer les battements de son cœur, puis ses mains devinrent moites comme quand elle s'apprêtait à passer un examen.
Marie aimait que les gens soient suspendus à ses lèvres. Faire durer le plaisir faisait alors partie du jeu et se sentir intéressante était son seul désir dans une vie où« insignifiante » lui sied si bien. Elle n'avait personne, elle avait renoncé à tout, à tout pour un homme. Marie, un prénom si propice, ça en était presque une vocation pour une femme si dévouée à celui qui resterait fidèle toute sa vie, à ses vœux de dévotion au service de Dieu.
Puis l'objet de son fantasme disparut pour retrouver à jamais le Créateur. La bonne qui tint la main du vieux prêtre au moment de trépasser, recueillit ces dernières paroles. C'est à ce moment, qu'à son tour elle lui avoua l'amour qu'elle lui avait voué toute sa vie. Il n'eût aucune parole à son égard en retour... Bien sûr, elle ressentit un vide abyssal à sa disparition mais aussi de la colère ! Elle poursuivit son rôle auprès d'un nouveau venu, mais l'aigreur de ces années passées, à se dessécher avec le néant pour toute issue, se transforma en une curiosité mal placée, ayant pour but de manipuler l'information à son bon vouloir. Parfois, elle gardait ses billes sous le coude, c'était son petit pouvoir. Si untel ne lui tenait pas la porte à la boulangerie ou qu'unetelle, prolongeait la discussion avec la caissière du supermarché, la faisant poireauter en toute impunité, son courroux pouvait être terrible. Elle qui avait dû taire ses sentiments toute une vie, s'octroyait maintenant le droit de faire aller sa langue à tout va dans le seul but de contrarier l'existence des autres. Désormais, sa réputation la précédait, personne ne lui confiait quoi que ce soit ! Mais son talent résidait essentiellement dans l'observation. De ses illusions muselées dans un silence assourdissant, elle développa, tel un aveugle, un nouveau sens qui fut un véritable don : l'analyse comportementale. Elle le savait, la gestuelle corporelle en disait long et dans ce domaine décrypter était un jeu d'enfant pour elle.
Marie, qui jusque-là, avait précédé l'inconnue sans y prêter attention, flaira à sa soudaine nervosité devenue palpable que bien des choses étaient à creuser chez la jeune femme.
— Vous vous appelez comment déjà ? Questionna-t-elle, consciente que la visiteuse attendait plutôt des réponses.
— Romane Saint-Clair, répondit l'intéressée sur ses gardes, découvrant un intérêt nouveau venu briller dans les yeux de son interlocutrice. Puis contre toute attente, elle ne donna pas à la femme la satisfaction de faire durer le plaisir.
— Laissez tomber cette rumeur, ça ne m'intéresse pas vraiment, prononça-t-elle d'une voix assurée, continuons la visite si vous le voulez-bien !
« Qui est pris, qui croyait prendre », Marie soufflait, obtempéra dans une frustration à peine dissimulée. Elle ouvrit une porte au fond de la première pièce dans ce qui s'apparentait à une ancienne cuisine. Elles se retrouvèrent dans ce qui semblait servir de chambre au nouveau prêtre. Romane fit le tour de la pièce, observa la vue derrière des portes vitrées, découvrant une terrasse au dallage affaissé en grande partie. Le jardin s'offrit de nouveau à sa vue, toujours dans le même état mais beaucoup plus grand qu'elle ne l'avait imaginé. Elle avait repris son calme, se promettant de découvrir l'objet de la présumée rumeur autrement qu'avec cette manipulatrice fine comme du gros sel. Dans son métier, elle observait chaque jour les gens user et abuser de leurs petits ou grands pouvoirs. Elle les maquillait, écoutait et prenait des leçons de vie face à la nature humaine et ses travers. Du côté de la femme âgée, une tension l'avait envahie, le désintérêt manifeste de l'étrangère l'ayant piquée au vif. N'en pouvant plus de retenir ses mots et avide de voir la visiteuse suspendue à ses lèvres, elle se lâcha.
— Les gens ne veulent pas de cette maison car on l'a dit hantée... annonça-t-elle de but en blanc.
Romane, dos à la femme, prit l'annonce comme une claque. Dans cette posture, elle se félicita d'avoir pu masquer sa surprise à son interlocutrice afin qu'elle ne saisisse pas sa stupéfaction. Puis, propre à ses convictions, elle éclata de rire. On tombait vraiment dans le sordide avec ces histoires surnaturelles. Elle n'allait pas se convertir à ces ridicules superstitions.
— Bien, vous vous moquez de moi maintenant ! Protesta la commère.
— Sincèrement ! Vous y croyez, vous, à ces bêtises ? Ajouta Romane moqueuse. Remarquez, c'est le genre de légende locale qui peut susciter la curiosité et faire venir le touriste ! J'ai vu un reportage dernièrement où les réservations ne désemplissaient pas dans des lieux réputés hantés, exagéra-t-elle railleuse. Il faudra bien sûr, que j'essaie d'en savoir plus sur les présumés fantômes pour répandre le mythe de façon crédible, ricana-t-elle ouvertement.
— Allez-y ! fichez-vous de moi ! s'égosilla Marie, sortie de ses gonds.En tout cas, si vous y trouvez votre compte tant mieux, mais quand elle viendra vous tirer par les pieds dans votre lit. Vous ne viendrez pas vous plaindre ! s'exclama la femme rouge écarlate.
— Elle ? C'est une femme ? Eh bien ce sera ma première copine alors, renchérit une Romane espiègle.
— Eh ! Bien dans ce cas ! Bien le bonjour à « Violette Jolie » quand vous la verrez ! Hurla Marie avant de tourner les talons.
À l'évocation de ce nom, Romane se figea instantanément. Son visage devint blême tandis qu'un souffle frais l'envahit, la faisant frissonner. Ses mains se mirent à trembler sous le choc. Elle s'avança du point d'eau de la pièce et commença à se rafraîchir le visage. Bouleversée, l'émotion lui fit tourner la tête, l'empêchant d'analyser clairement ce qu'il venait de se passer. Elle respira profondément à plusieurs reprises avant de sursauter à cause du bruit que fit la porte en claquant à cause d'un courant d'air. Pour elle la visite se terminerait là, elle n'était pas particulièrement peureuse mais là, elle avait sa dose de sensations fortes pour la journée.
Elle tournait la clé dans la porte d'entrée lorsque son portable vibra, c'était le numéro du prêtre qu'elle avait pris pour un agent immobilier.
— Mademoiselle, la visite s'est-elle bien passée ? Demanda-t-il sur un ton hésitant et pessimiste, qui annonçait qu'il connaissait déjà sans doute la réponse.
— À vrai dire pas vraiment... Consentit la jeune femme.
— Oui, j'aurais dû m'en charger moi-même, avoua-t-il contrarié. Allez-vous faire une offre ?
— Je ne sais pas, je n'ai pas tout visité, je vais y réfléchir...Bluffa Romane.
— Je ne peux pas me rendre disponible pour le moment, ma paroisse est assez vaste et j'ai des impératifs. N'hésitez pas à revisiter, vous savez où sont les clés ? Et je me tiens à votre disposition si besoin, proposa l'homme bien plus aimable que lors des premiers échanges.
— Très bien, je reviendrais peut-être demain, conclut la jeune femme. Puis ils mirent fin à la conversation après un échange de politesses.
Toujours sur le perron pendant l'appel, Romane avait remarqué des bribes de gravures près de la porte. Elle souleva la végétation qui masquait la quasi globalité pour en découvrir la signification : « Villa Ange » puis en dessous elle passa les doigts sur une phrase dont elle n'en comprit pas le sens : « Las elle ici elle salut », qu'elle charabia, pensa-t-elle perplexe. Elle passa le bras pour remettre les clés dans la cavité du mur comme l'avait fait Marie, puis reprit la route...
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Des Bises Luce
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