Repos éternel

D'abord, elle se dit que c'était le fruit de son imagination, puis très vite, elle conclut que non. Elle ne croyait pas au surnaturel, ni aux messages des cieux, mais sa prière suivie de ce sifflement en réponse immédiate lui donna la chair de poule, faisant dresser le fin duvet de ses bras au garde-à-vous. Elle aiguisa son ouïe pour se concentrer uniquement sur ce bruit qui semblait lointain. Au fur et à mesure de ses pas, elle finit par discerner une mélodie bien loin du chant religieux... « Despacito » aussitôt elle rit de sa bêtise « la puissance de mes espérances arrive à me faire croire n'importe quoi » se dit-elle, doutant fortement que l'écho de sa supplique puisse être le dernier tube latino de l'été. 

https://youtu.be/kJQP7kiw5Fk

C'est derrière un caveau imposant qu'elle trouva le siffleur. L'homme concentré par son maçonnage ne remarqua pas sa présence. Il devait avoir une petite trentaine d'années, la carrure imposante, la peau tannée par le soleil. Ses cheveux mi-longs, noirs corbeau étaient trempés de sueur et lui collaient au crâne. La femme acta sa présence en lançant un « bonjour monsieur ! » pétillant qui fit faire un bond au maçon.

— Eh ! Vous m'avez fait peur ! Cria-t-il.

— Excusez-moi ! Ce n'était pas mon intention, répondit Romane confuse. Je voulais juste vous demander un renseignement...

— Bien, ben allez-y alors ! grogna-t-il.

— Je cherche la tombe d'une parente et je ne la trouve pas, tenta-t-elle alors.

L'ouvrier détailla la jeune femme, tout en saisissant une bouteille pour se désaltérer. L'eau se déversa le long de sa gorge et ruissela sur son torse musclé,  ses mains épaisses de travailleur du bâtiment étaient maculées de ciment séché. Cette vision avait quelque chose de sensuelle et aurait fait un très beau cliché, pensa Romane. L'homme abreuvé lui fit un petit sourire, il était conscient de ses attraits et ne s'en cachait pas.

— C'est quoi son nom ?

— Violette Jolie, souffla-t-elle.

— Connais pas ! C'est pas une cliente ici, affirma-t-il sûr de lui.

Perplexe, Romane fit une moue quelque peu sceptique que l'homme reçut comme telle.

— Vous croyez que je connais pas mes locataires ! On est fossoyeur de père en fils dans la famille sur trois générations, j'ai appris à marcher dans les allées de ce cimetière et à lire aussi, sur les tombes. Alors si je vous dis qu'elle n'est pas là, c'est qu'elle est pas là ! Affirma-t-il agacé.

« Merci ! l'arrogant se dit Romane. Ce qu'il me dit, de toute façon je le sais déjà ! William, Liam et même Jacques Lemoine, le détective privé, sont déjà passés par ici. Si je ne creuse pas, j'en serais au même point qu'eux. »

— Vous avez quoi ?Trente-deux ans ? Questionna-t-elle alors pleine d'assurance.

— Trente-quatre,répondit-il interdit, mais merci quand même, chère demoiselle, de me rajeunir... sauf que je vois pas en quoi ça vous regarde, ni vous avance ?

— Moi, je vois bien! Assura Romane, ce n'est pas à « vous » que je dois parler, c'est à votre père ! Violette est morte en mille neuf cent quarante cinq donc si elle a eu une tombe à une époque ici, lui le saura sans doute !

Le trentenaire sembla réfléchir et finit par concéder ;

— Pas faux. Ses yeux brillèrent, on le surprenait rarement. Il ne se vexa pas de s'être fait moucher par cette inconnue qui était loin d'être idiote. Il savait mieux que quiconque que même si la plupart du temps les cimetières accédaient par la rue de « L'égalité »,la réalité était toute autre. Pour reposer dans ce qui était logiquement la « dernière demeure », il fallait bien sûr payer pour quinze, trente ou cinquante ans renouvelables et dans ce cas finit l'égalité, tout était histoire de gros sous, y compris la sérénité dans la mort. Pour les disparus oubliés ou les familles éteintes, à l'échéance de la concession, on l'appelait, lui, pour l'exhumation et là c'était direction crémation ou ossuaire pour ceux qui avaient laissé leurs volontés. Alors mille neuf cent quarante cinq, n'en parlons même pas...

— Vous connaissez la musique apparemment...

— Oui, je me suis occupée de ces considérations, quand mon père nous a quittés, avoua Romane troublée.

— J'ai terminé mon travail. Mon père va passer d'une minute à l'autre, ça fait trois mois qu'il est retraité et il se fait chier comme un rat mort. Je lui demande s'il sait quelque chose et on se retrouve pour prendre un verre ? Essaya le fossoyeur.

Ce langage bien imagé donna vision précise du paternel, apparemment il avait du temps et il s'ennuyait. Tant mieux, se dit-elle, si elle s'y prenait bien, il pourrait s'avérer précieux dans cette quête.

— Le verre c'est OK, mais seulement si votre père se joint à nous alors ! Il serait peut-être content de ne plus faire le rat mort... trouva-t-elle comme argument scabreux.

— Vraiment ? Je suis déçu... ironisa-t-il. On se retrouve dans dix minutes au café des sports à côté de l'église, ça vous convient ?

— Parfait ! À tout de suite alors ! Ponctua Romane.

— Mais attendez, je ne sais même comment vous vous appelez ?

— Romane Saint-Clair, et elle lui tendit poliment la main, comme elle le faisait toujours en se présentant.

Celle de l'ouvrier, couleur grise cimenterie vint la serrer à son tour avec tonus, la jeune femme n'en fut pas rebutée. « Une fille qui ne fait pas de manières, même avec mon métier sinistre et mes paluches dégueulasses, se dit l'homme et pourtant tout est tellement délicat chez elle... ».

— Très joli, ça fait noble, commenta-t-il. Moi, c'est Pierre Destombes... Eh oui ! Ça s'invente pas un nom pareil pour un fossoyeur, plaisanta-t-il.

Romane sourit amusée par ce personnage à la franchise sans détour. Il lui restait plus d'une heure avant le rendez-vous de l'agent immobilier, largement le temps d'obtenir des informations utiles. Bien sûr, Pierre avait une petite idée derrière la tête, ses yeux foncés et vifs parlaient pour lui. Elle ne se félicita pas de profiter de la situation, mais finalement cette rencontre était-elle vraiment le fruit du hasard ? Malgré elle, elle adhérait de nouveau à la théorie d'un signe venu de Violette... Son joli petit minois avait peut-être déjà franchi plus de barrières que les hommes qui l'avaient précédés.

Quelques instants plus tard, tous trois faisaient connaissance autour d'un verre. Pierre fit les présentations comme si Romane était une vieille camarade, créant ainsi un climat de confiance. Francis, le père, était un homme aux traits fatigués, le visage buriné et tout aussi charpenté que son fils mais en beaucoup plus mince. Il parut curieux de connaître la raison de cette petite récréation offerte au milieu de sa solitude de veuf retraité. Son fils lui expliqua à sa façon.

— Romane a perdu son ancêtre, ici, en mille neuf cent quarante cinq, débuta-t-il sans détour. Y a pas de trace d'elle au boulevard des allongés !

La jeune femme ne corrigea pas cette manière peu commune de présenter les choses, après-tout être constamment en compagnie de la mort devait être si particulier. L'autodérision s'avérait certainement indispensable dans ce contexte.

— Et comment elle s'appelle l'« ancêtre » en question ? Interrogea Francis soudain très attentif.

— Violette Joli, renseigna Romane.

— Encore elle ! Décidément ça devait-être quelqu'un cette bonne femme ! Pour être si recherchée ! Malheureusement je vous dirai comme aux autres, elle n'a jamais reposé dans mon cimetière, même mon père me l'a confirmé aussi.

La déception marqua le visage de la jeune femme tandis que celui du fils refléta l'incompréhension.

— Souviens-toi, Pierrot, les Anglais qui proposaient une récompense!  C'était pour elle ! Et le détective ! Elle aussi !

La suspicion prit alors le relais dans le regard des fossoyeurs et marqua de la méfiance à l'égard de l'inconnue.

Romane n'eut d'autres choix, que de leur déballer l'histoire de la pauvre Violette, sa venue en ces lieux pour fuir le nord assiégé, son histoire d'amour impossible, la naissance de ses filles orphelines et la chute; sa fin tragique avec pour toute piste la lettre écrite de Vélines qui se perdit...


 — Ben dis-donc, elle avaitla poisse, celle-la ! Se sentit obligé de commenter Pierrot,comme l'appelait son père, tout en recommandant une bière.

— L'un des deux Anglais était William... c'est pour lui que nous la cherchons, pour qu'ils reposent ensemble...

L'homme âgé se frotta le menton, tendit que Romane attendait silencieusement sa réaction.

— Vois-tu gamine, commença-t-il alors, avant mille neuf cent cinquante neuf, il n'y avait pas de concessions aussi courtes, c'est le manque de place en partie due aux guerres qui ont fait évoluer les choses... Avant elles étaient centenaires ou perpétuelles, les secondes plutôt pour les soldats « morts pour la France » d'ailleurs. Alors elle y serait encore comprends-tu ?

Romane hocha la tête comme une enfant à qui on donne une leçon attendant la suite.

— Après, plusieurs choses sont importantes dans cette histoire, éclaircit-il... Il leva le pouce pour commencer à énumérer. D'abord, il y a les huguenots, les Protestants quoi ! On ne vous a rien appris à l'école ! Gronda-t-il excédé, face aux deux paires d'yeux ronds incrédules qui l'observaient. Si c'est ça , elle serait plutôt dans un cimetière privé ! Il y en a plein ici. Il faut voir où elle a habité... Il s'apprêta à lever l'index, pour continuer dans sa logique quand le geste de Romane l'arrêta net.

— Là, fit-elle en désignant la bâtisse imposante face au café attenant à l'église.

— Le presbytère !!! firent en cœur les deux hommes interloqués.

— Le presbytère ??? reprit Romane observant la construction entourée de son immense jardin arboré sous un nouvel angle...


***

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Romane persévère!

Ses rencontres ne sont pas banals !

Mais chaque indice est une pièce du puzzle ;)

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Pour ce chapitre, j'ai du faire des recherches 

assez spéciales, c'est fou tout ce qu'on apprend en 

racontant une histoire et en tentant de lui donner

du crédit 😀😀😀

D'ailleurs, les personnages des fossoyeurs ne sont pas tristes,

il ne fallait pas tomber dans le lugubre !

Merci à vous pour vos lectures toujours plus nombreuses!

Aux nouveaux abonnés, aux lecteurs anonymes et

bien sûr à vous les fidèles ( vous vous reconnaîtrez)

 qui répondent toujours présents !!!!

Des bisous   Luce

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