La clé (2ème partie)
Les quelques pas franchis, le couple toisa la porte ancienne de façon solennelle. Romane sortie la clé de sa poche pour la tendre à Liam. Après une inspiration sonore, l'homme introduisit celle-ci, prêt à découvrir cette partie de la bâtisse et surtout les raisons qui avaient poussé à la garder clause. Les yeux rivés sur la serrure,la jeune femme sentit l'impatience monter, alors que son compagnon s'acharnait à tourner dans tous les sens, sans parvenir à provoquer le moindre déclic...
— Fuck ! Cracha Liam, prit d'énervement et dont une goutte de sueur perla sur le front.
— Ne plie pas la clé surtout ! Prévint Romane, aussi empressée que lui de franchir ce barrage.
— Tu auras peut-être plus de chance... lui dit-il, passablement énervé, en lui tendant l'objet.
Se faire résister de la sorte, par une veille porte, avait eu le don de faire bouillir le sang du déterminé homme d'affaires. La jeune femme se positionna à son tour, pour venir à bout de la serrure mais cette fois toute en délicatesse. Après un moment à batailler, elle constata que sa technique n'avait pas plus de succès... Liam qui l'observait fit un rictus railleur. Le temps avait fait son œuvre et la clé ne parvenait pas à débloquer le mécanisme...
C'est alors que Romane sortit son I phone et pianota sur le clavier tactile.
— Ma tante ! Éclaira-t-elle, c'est la reine des astuces pour tout !
— Ah... rétorqua simplement Liam septique.
Assise au sol, la jeune femme fixait le portable comme le messie depuis de longues minutes quand une sonnerie retentit.
— Voilà ! Elle est géniale ! Triompha la nièce tout sourire. Pour ouvrir une veille serrure... il faut frotter la clé sur du savon ou de la bougie !
— De la bougie ! j'en ai vu en bas ! informa Liam dont le visage s'éclaira.
Sans plus attendre, ils descendirent prendre un des cierges contenus dans les cartons du rez-de-chaussée.
— À toi l'honneur, Darling, c'est ton idée, je m'incline ! déclara Liam en tendant le bras pour lui ouvrir le passage. Elle ne se fit pas prier et frotta la clé avec énergie sur la bougie, comme on frotte une lampe magique. Quand elle estima avoir suffisamment enduit le fameux sésame, elle se décida à retenter l'opération.
— Allez Violette ! Si quelque chose peut nous mener à toi... permets-moi d'ouvrir cette satanée porte maintenant !
Elle introduisit de nouveau la clé qu'elle fit danser doucement d'un côté puis de l'autre, avant de tourner délicatement, la main tremblante. Un« clic » salutaire se fit enfin entendre indiquant que le verrou venait de céder pour la première fois depuis une éternité. Les regards se croisèrent, brillants d'excitation mais aussi de stupeur. Submergée, les yeux de la jeune femme se vitrèrent, alors que son pouls battait la chamade. Liam conscient de son émoi, la prit dans ses bras et la serra contre son torse.
— Ça va... dit-elle d'une voix blanche, en se dégageant. C'est simplement que je me suis fait du cinéma... se justifia Romane mal à l'aise.
— C'est une coïncidence, c'est tout ! assura Liam, toujours aussi sûr de lui. Les fantômes n'existent pas !
Sans plus attendre, il baissa la poignée, qui grinça dans un couinement aigu, la portes'ouvrit.
C'est une odeur de renfermé qui vint les accueillir. Celle-ci fut accompagnée d'une pénombre chargée d'une multitude de particules de poussière. Romane éternua frénétiquement tandis que Liam parcourait déjà la pièce. Écartant un voilage aux allures de lambeau, il ouvrit successivement la haute fenêtre puis les volets qui masquaient la lumière. C'est alors que dans un fracas d'enfer, un des volets se détacha subitement pour finir sa course au sol trois mètres plus bas. Romane fut saisie, elle qui était restée sur le pas-de-porte, par appréhension des araignées, se précipita vers son compagnon.
— Liammm !tu es blessé ? s'enquit-elle affolée.
— Non ça va, répondit-il blême. Le volet ne tenait plus que par un crochet qui le maintenait à l'autre, expliqua-t-il.
La clarté du jour révéla les lieux, tous deux découvrirent alors ce qui les entourait. Cette ambiance faisait froid dans le dos, parfaitement digne d'une maison hantée. La pièce au large parquet et à la tapisserie aux motifs géométrique art déco, contenait du mobilier recouvert de draps devenus poussiéreux. De grandes malles étaient disposées çà et là prêtes à être emmenées, ce qui ne fut visiblement pas le cas. Un lustre ancien recouvert de toiles, raviva la phobie de la jeune femme, qui fit des gestes réflexes pour se débarrasser d'éventuels parasites. Ils levèrent les draps un à un et Romane photographia chaque objet pour que rien ne disparaisse avant l'acquisition du bien. Fauteuils, chaises, table furent dévoilés. C'était vraiment étrange de retrouver ces meubles du passé, savoir qu'ils avaient été utilisés par Violette et sa famille leur donnaient une valeur particulière. Sous un drap, un genre de petite coiffeuse en acajou apparut. Son miroir central biseauté était articulé et permettait de l'orienter à souhait. Deux caissons à tiroirs surmontés d'une frise de bronze se trouvaient de part et d'autre de celui-ci. Sous la tablette se trouvait un grand tiroir, puis de longs pieds sculptés en biseau parachevaient le tout.
— Quel joli petit meuble, commenta Romane.
— C'est très féminin, ajouta Liam assez indifférent au charme de cette antiquité.
La jeune femme ne put s'empêcher d'ouvrir les tiroirs du haut. Rien, ils étaient vides. Avec le plus grand, elle eût plus de chance, elle sentit immédiatement que quelque chose avait glissé à l'ouverture.C'était un livre de poésie « Fiançailles pour rire »de Louise de Vilmorin. L'édition datait de mille neuf cent trente-neuf, sur la page de garde une dédicace indiquait « À Angèle Jolie, amicalement », puis la signature de l'auteur ainsi qu'un dessin de trèfle à quatre feuilles.
— Il était à la mère de Violette, c'est fou... reconnut-elle, frissonnante d'émotion.
— Continuons ! nous trouverons peut-être d'autres indices, suggéra Liam. Impatient, il ouvrit une malle contenant du linge de maison brodé au nom de la famille Jolie. Peu à peu, l'inventaire se compléta de lampes à pétrole, de vaisselle et de bibelots divers. Au fond de l'une d'entre-elles, Liam fit à son tour une découverte, un cadre, où une photographie en noir et blanc mettait à l'honneur une famille. Ses quatre membres posaient aussi fièrement que cérémonieusement, un couple et deux jeunes adolescents, un garçon et une fille.
— C'est Violette ! Regarde, oui c'est bien elle ! Plus jeune que la photo de Londres, mais c'est elle!
— Oui tu as raison ! Répondit Liam triomphant.
Ils restèrent un moment à étudier chaque visage, à échanger leurs impressions sur leurs postures, leurs tenues vestimentaires, leurs ressemblances. La mère avait un air hautain tandis que le père contrastait de sa bonhomie, les enfants tirés à quatre épingles esquissaient de timides sourires. Violette était déjà radieuse, son regard vif captait l'objectif. Une vitalité solaire se dégageait de tout son être.
— Je vais prendre une photo et l'envoyer ce soir à Flora, ta mère sera certainement heureuse de la découvrir.
— J'apprécie ta bienveillance, Darling, prononça Liam, séduit par l'initiative de sa belle. Il vint ensuite lui déposer un tendre baiser au creux de son cou.
Après un dernier drap tombé, au pied d'un Psyché monumental, la déception se fit sentir.
— Je pensais vraiment qu'on trouverait quelque chose de concret ici... avoua Liam déconcerté.
— Oui, moi aussi... souffla Romane, aussi déçue.
C'est alors que la sonnerie d'appel de son téléphone résonna dans l'écho de la pièce aux volumes remarquables. C'était Charlène, l'assistante de Liam, qui cherchait à le joindre pour une urgence, mais n'y parvenait pas, car comme il l'avait précisé plus tôt, il l'avait désactivé. En rallumant, il eût le désagrément d'un florilège de « bip » qui indiquaient de nombreux appels et messages en absence. Liam rappela Charlène sans attendre, parcourant la pièce et faisant les cent pas. Il avait l'air contrarié et il sortit même un instant pour poursuivre la conversation loin de Romane qui l'entendit toutefois lever le ton. Il était visiblement très en colère. Quand il revint ses traits étaient tirés et son énervement transparaissait même s'il tentait de le cacher.
— Tout va bien ? interrogea Romane.
— Oui... mentit Liam. Nous devrions descendre, ma mère a déjà trouvé un professeur de Français qui habite près d'ici et lui fera cours. Il est en route pour me rencontrer, car elle veut mon avis avant de l'engager.
Romane opina sans poser plus de question mais elle douta néanmoins que ce soit la cause de son courroux.
Après s'être dépoussiérés tant bien que mal et ils se rafraîchirent au point d'eau de la cuisine. Ils descendirent ensuite les quelques marches du perron en direction du portail. À cet instant, ils eurent la surprise de découvrir Marie, la« bonne du curé » en pleine conversation avec un homme d'une quarantaine d'années, petites lunettes et cheveux plaqués qui avait parfaitement l'allure de l'emploi. L'homme se présenta.
— Bonjour, je suis Armand Duprat, professeur de Français, articula-t-il avec son accent du sud.
— Bonjour ! Liam Laurence, voici mademoiselle Saint Clair, indiqua-t-il tout en désignant la jeune femme. Il prodigua alors une poignée de main ferme et énergique à son interlocuteur.
Romane salua également le visiteur puis consciente que Marie n'avait pas bougé d'un pas, elle la présenta à son tour.
— Madame...Marie, précisa-t-elle après une hésitation, consciente qu'elle n'en savait pas plus, elle a eu la gentillesse de me faire visiter les lieux hier.
Liam comprit et adopta son sourire charmeur pour saluer la femme, ce qui ne manqua pas de faire son petit effet auprès de celle-ci.
Les deux hommes discutèrent de la tache que serait d'enseigner un parfait Français à Flora tandis que les femmes les suivaient à petites distances. Bien que non invitée, Marie s'était incrustée,curieuse comme à son habitude. Romane conversa poliment avec celle-ci, décidée à améliorer leurs relations puisqu'elle avait le sentiment qu'elle pourrait les aider dans leur quête. Au bout d'un bon moment, qui parut une éternité, et ne sachant plus quoi dire de plus, Marie prétexta devoir faire du rangement pour le prêtre et s'éclipsa enfin. Romane s'adossa à la façade et sortit le livre découvert plus tôt. Elle le feuilleta et en lut quelques passages. C'est alors qu'avant de prendre congé, Armand Duprat vint la saluer. Au moment, où il tendit la main pour serrer la sienne, il remarqua le livre.
— Puis-je ? la pria-t-il, en tendant la main pour découvrir l'ouvrage.
— Bien sûr.
L'homme examina le recueil, visiblement admiratif.
— Une œuvre originale, signée par l'auteur de surcroît, vous tenez un petit trésor mademoiselle !
— Vraiment ?
— Beaucoup donneraient cher pour l'avoir ! Louise de Vilmorin était une femme de lettres très en vue à partir des années trente !
Une contemporaine de la famille Jolie, qui avait rencontré Angèle, méritait toute l'attention de Romane et c'est avec intérêt qu'elle écouta monsieur Duprat.
— C'était la fille du célèbre botaniste , grainetier du même nom.
Romane se souvint alors de la lettre de Violette, qui mentionnait que le prénom de Rose était un clin d'œil à sa mère qui adorait la botanique, cette rencontre n'était peut-être pas un hasard ?
L'homme poursuivit :
— Elle a été fiancée à Antoine de Saint-Exupéry, avant d'épouser un Américain et de s'installer aux États-Unis. Après leur divorce, elle est revenue en France où elle a entretenu une liaison avec André Malraux... entre autres, précisa-t-il avant de faire un clin d'œil entendu à la jeune femme.
Liam qui les avait rejoint, n'apprécia pas vraiment cette soudaine proximité. Il lança des yeux noirs au professeur qui un peu gêné ajouta.
— Elle était particulièrement connue pour ses vers en holorimes, qui ont la même sonorité mais pas la même orthographe, comme :
« Elle sort là-bas des menthes,
La belle Ève a l'âme hantée
Et le sort l'abat démente.
L'abbé laid va lamenter. »
— Qui est l'un de mes préférés, précisa-t-il avec un large sourire. Elle faisait aussi des palindromes.
— Des« palin » quoi ? Coupa Liam.
— Des PA-LIN-DROMES articula Armand Duprat, ce sont des mots, des prénoms que l'on peut lire dans les deux sens, comme Bob, Kayak ou des phrases comme « à l'étape, épate la ! » expliqua-t-il.
Quel charabia ! s'entendit penser Romane, avant de se figer, stupéfaite de sa propre réflexion en se remémorant s'être fait la même remarque la veille. Elle se tourna alors brusquement face au mur et leva le lierre qui masquait la phrase découverte un jour avant. Les deux hommes la regardèrent faire sans broncher, elle remarqua aussi Marie qui les avait rejoints à pas de loup. Armand Duprat ajusta ses petites lunettes et fronça les yeux.
— C'est bien un palindrome ! Mais il est incomplet, il manque le début. Voyez-vous, s'il l'était, on ne lirait pas, « Las elle ici elle ! salut » mais « Tu l'as elle ici elle !salut ». Je me demande bien à qui s'adressait cette phrase bien mystérieuse...
— Moi je sais ! Dit Marie.
Tous se tournèrent vers la vieille femme, qui avait immédiatement regretté cet aveu.
— Dites-moi Marie, s'il vous plaît, ça ne me fera pas renoncer au bien, assura Liam clairvoyant dans les craintes de la femme.
— C'est Angèle Jolie qui a fait graver cette phrase quand elle a cédé le bien à l'église...Le prêtre que j'ai servi pendant plus de quarante années, la lue sans relâche et un jour, il a compris...
— Compris quoi ? Demanda l'enseignant.
— Il a compris que comme il avait refusé de donner une sépulture à la fille perdue d'Angèle Jolie, dans le cimetière du village... Il l'avait excommuniée la petite ! cracha-t-elle avec une moue d'amertume.
Puis Bouleversée, elle s'interrompit un instant.
— La mère a caché le corps de sa fille dans la propriété... dit-elle d'une petite voix toute en fixant Liam. Elle l'a ensuite léguée à l'église, pour braver à sa façon, la sanction... pour que Violette puisse reposer dans un lieu sacré...
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Un chapitre attendu , si j'en crois vos messages ;)
Merci de suivre mon histoire et notre chère Romane !
Un chapitre assez difficile à écrire car bien qu'il soit dans ma tête, le mettre sur papier s'avère parfois compliqué.
Vous remarquerez aussi certainement que des recherches divers sur le style de l'époque, les contemporains ou tout simplement sur la langue française ont été indispensables!
N'hésitez pas à me faire part des incompréhensions s'il y en a ;)
Encore un grand merci à vous toujours! plus nombreux et de partout dans le monde ! Cette semaine, nous avons franchi ensemble les 9000 vues et les 1000 votes, quelle belle aventure vous m'offrez !
Bises à vous tous Luce ❤
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