Chapitre 6 - L'étui à médailles (Tom)
Je fixe Léon, dans l'attente de son jugement. C'est bête, je sais. Ce n'est qu'un simple étui à médaille, grossièrement réalisé au crochet. J'ai fait beaucoup mieux, et j'aurais sûrement produit quelque chose de plus qualitatif avec plus de temps.
Le serveur nous tend les cartes, Léon n'a toujours rien dit. Il triture l'étui, puis ses lèvres s'ourlent en un sourire beaucoup trop craquant.
— J'adore.
— C'est vrai ?
Un élan de soulagement me submerge. Je sais que c'est bête, que nous ne connaissons pas, mais son avis compte pour moi.
— Je t'en referai alors, promis-je.
— Pour mes autres médailles ?
Son ton se fait taquin, j'éclate de rire, et me penche sur la carte pour faire mon choix. La gastronomie française est mille fois plus fournie que celle d'Angleterre. Même si j'affectionne le Fish and chips, je dois bien avouer que nous ne sommes pas réputés pour notre cuisine. J'opte pour un bœuf bourguignon, Léon choisit des pâtes.
— Merci en tout cas, c'est vraiment très gentil. Tu n'étais pas obligé.
— Ça me faisait plaisir. Et ça m'a occupé aussi.
Cela m'a évité de penser à Dustin, comme en ce moment, grâce à lui.
Même si nous nous trouvons à St Denis, la brasserie dans laquelle nous sommes est typique du charme parisien. Les tables sont alignées, avec des nappes à carreaux rouges et blancs. D'autres sportifs sont présents, je reconnais deux femmes gymnastes, de la délégation américaine et une cavalière française, avec son mari. L'endroit me rappelle le décor de la série Emily in Paris. J'adore cette série, on la regardait ensemble avec Dustin.
Dustin.
Un voile d'ombre recouvre mon cœur alors que je pense à lui. Je chasse aussitôt mon copain - ou plutôt, mon ex - de mon esprit, pour me concentrer sur Léon. Il fixe toujours l'étui à médaille en souriant. Puis soudain, il demande :
— C'est vrai que tu as réalisé un pull en seulement quelques jours.
Je hoche la tête, un peu intimidé malgré moi. Cette photo a été diffusée partout sur les réseaux sociaux, j'imagine que c'est là qu'il l'a vu.
— Oui, un pull à l'effigie du drapeau anglais. Ça me détend avant les compétitions et ça canalise mon stress.
Tricoter, broder, crocheter, j'ai toujours aimé cela. Dustin critiquait ma passion qu'il trouvait en inadéquation avec la plongée. Pour lui, on ne peut pas aimer à la fois plonger ET tricoter. Pourtant, c'est bien ce qui plaît aux gens chez moi. Grâce à mes tricots et mes victoires, je suis devenu l'égérie de plusieurs marques, et j'ai reversé les fonds à des associations LGBTQ+ militant pour plus d'inclusion dans le sport.
Je montre quelques photos à Léon.
— Tu pourrais m'en faire un ?
Mon cœur manque un battement. Est-ce qu'il est sérieux ?
— Pourquoi pas. Les couleurs du drapeau français sont les mêmes que celle de l'Angleterre après tout.
— Ou du drapeau américain.
Je hoche la tête. C'est vrai que Léon passe la majeure partie de son temps aux Etats-Unis, c'est presque sa patrie d'adoption. Il doit son entraînement et sa performance à Bob Bowman, l'entraîneur de Michael Phelps. Quand j'ai entendu dire qu'un petit jeune français débarqué au JO, prêt à concurrencer le nageur américain, j'avais avoir ri. Je n'aurais imaginé que ce jeune homme raflerait cinq médailles en une semaine.
— C'est incroyable en tout cas. Moi je ne sais rien faire de mes dix doigts.
J'éclate de rire. Léon trouve mes pulls incroyables alors que moi, ce sont ses performances que je trouve merveilleuse.
— Toi, tu nages comme un dieu, c'est déjà pas mal, répliqué-je avec un clin d'œil.
Son visage devient rouge vif.
— Un dieu, carrément ?
— Poséidon lui-même serait jaloux.
Les yeux bleus de Léon me répondent, pétillants. Ce garçon est vraiment mignon. La révélation de la natation française va faire craquer plus d'une fille. J'ai vu comme elles le regardent, depuis les gradins, au bord des bassins. Elles veulent toutes un autographe. Je ne serai pas étonné d'apprendre qu'il reçoit des propositions de mariage.
« Le gendre parfait ».
Si seulement il était gay. Ou bi. Je ne suis pas regardant. Moi-même, je suis autant attiré que les femmes que les hommes, même si j'ai plus souvent été avec des garçons.
Et depuis longtemps avec Dustin.
Put*** Je dois cesser de penser à lui !
De toute façon, cela ne sert à rien que je me fasse des filles. D'une part, Léon n'est sûrement pas queer. D'autre part, je viens juste d'être largué. Léon ne doit pas être un lot de consolation.
Le serveur nous ramène nos plats, Léon a pris des pâtes à la carbonara. Nous commençons à manger, et je me permets de proposer :
— Si tu as le temps avant de rentrer à Toulouse, je peux t'apprendre les bases du tricot. Enfin, si tu veux...
Dis oui. Dis oui.
Léon grimace.
— Pourquoi pas. Mais je risque d'être un très mauvais élève.
— Je suis sûr que tu t'en sortiras très bien.
S'il y met de la bonne volonté, il n'y a pas de raison.
— En tout cas, merci pour l'invitation, c'était une bonne soirée.
Je le pense vraiment. Sans lui, j'aurais sûrement broyé du noir toute la soirée, allongé dans ma chambre d'hôtel, à regarder des photos de Dustin et moi au début de notre relation. Au moins, là, je passe une bonne soirée. Léon est gentil, attentionné. J'espère ne pas l'avoir trop saoulé avec ma dramatique histoire d'amour.
Nous venons d'entamer notre dessert quand mon portable vibre sur la table. Le prénom de Noah s'affiche.
Noah :
T'es où ?
Je le récupère et rédige une réponse rapide.
Tom :
Je mange dehors.
Je ne vais pas tarder.
Noah :
Dehors ?
Avec qui ?
Je repousse le portable, sans répondre. Noah n'aime pas rester seul trop longtemps et il est souvent un brin oppressant. J'y suis habitué, mais je n'ai pas envie qu'il gâche ma soirée.
Léon a le bon ton de ne rien dire, et nous terminons notre fondant au chocolat en nous racontant des anecdotes de nos entraînements respectifs. Sa fougue et ses ambitions me rappellent le jeune sportif que j'étais il y a dix ans. Ce sont ses premiers jeux – du moins, les premiers qui l'ont fait connaître – et je comprends l'euphorie que cela lui procure.
Le repas terminé, Léon me raccompagne jusqu'à mon hôtel. Lui loge toujours près de l'Arena, dans un hôtel loué par la Fédération de natation, tandis que j'occupe un logement à la sortie du village olympique, plus proche de la piscine. Nous sommes arrivés devant celui-ci lorsque Léon s'arrête.
Une seconde, nous nous observons, ne sachant ni l'un ni l'autre comment nous séparer. Finalement, je me penche vers lui pour lui faire la bise. Au même moment, il tourne la tête, et mes lèvres effleurent les siennes par inadvertance.
— Pardon ! m'excusé-je aussitôt.
Il rit.
— T'inquiète, ce n'est pas grave.
Ah ? Réaction étonnante pour un mec qui devrait être hétéro.
— Passe une bonne nuit, et bonne chance pour l'entraînement de demain.
Léon me fait un dernier signe, puis disparaît dans la nuit. Je reste sans bouger, à le regarder s'éloigner. Ses épaules carrées de nageur laissent salir ses muscles à travers son t-shirt. C'est un bel homme, il faut le reconnaître.
« Plus beau que Noah », ne puis-je m'empêcher de songer.
Un athlète à qui j'ai promis d'apprendre à tricoter, et qui vient de me dire « ce n'est pas grave » quand j'ai failli l'embrasser.
Me laissant le secret espoir d'obtenir plus de lui qu'un simple dîner entre sportif.
*
Et voilà l'étui à médaille en question ;)
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