Chapitre 14 - Aveu et révélation (Léon)


Nous terminons le repas, puis Noah annonce qu'il va partir faire une sieste. Tom échange un regard avec moi, et me propose de poursuivre en allant nous balader dans le village. J'accepte aussitôt, heureux de passer du temps avec lui, ses mots toujours en tête. J'avoue n'avoir jamais réfléchi à mon engagement dans le sport et son discours m'a beaucoup ébranlé.

J'aime le sport pour la performance, la confiance qu'il m'apporte, mais aussi pour toutes les valeurs qui unissent les sportifs. Les anneaux olympiques m'ont toujours fait rêver. L'idée de participer au JO était un objectif. Mes parents sont tous les deux nageurs, mon père a lui-même obtenu des médailles en 1996, j'avais donc envie de suivre sa voie. Mais au-delà de ça, j'aime ce que le sport signifie. J'aime l'idée d'unité, de fraternité, de paix, de tolérance. La détermination, l'égalité, l'inspiration, le courage.

La question de l'inclusion m'intéresse tout particulièrement, mais j'ai toujours réfléchi à l'inclusion en termes de parité, d'égalité entre les hommes et les femmes, d'ouverture des jeux aux personnes en situation de handicap. Pour moi, les jeux paralympiques sont aussi importants que les jeux des valides et je compte bien passer le maximum de temps devant ma télé pour assister aux efforts de nos sportifs handi.

Le sport est un formidable levier de cohésion. Une façon de montrer au monde que nous sommes tous les mêmes, peu importe les origines, le genre, la sexualité. Nous avons toutes les mêmes droits.

Aussi, les mots de Tom me parlent tout particulièrement. Certains pays n'ont pas été invités à participer aux JO – je pense notamment à la Russie, la Biélorussie et au Guatemala. Leurs athlètes peuvent concourir, mais sous une bannière neutre. Ces pays sont punis et condamnés pour avoir violer les droits internationaux. Mais dans ce cas, pourquoi l'Afghanistan, l'Iran, le Nigeria, le Soudan, l'Arabie Saoudite, ces pays qui punissent encore de morts ceux du même sexe qui osent s'aimer, sont-ils autorisés à concourir ? Pourquoi condamne-t-on la guerre, mais pas ceux qui punissent des gens qui n'ont commis aucun crime, à part celui de s'aimer ?

Ces questions tournent dans mon esprit.

Alors que nous nous asseyons sur un banc, face à la Seine, et que Tom se met doucement à crocheter à côté de moi, je reste à fixer l'eau du fleuve, perdu dans mon esprit. À côté de son engagement, mes actions me semblent minimes. Je n'aime pas faire de vague (oui, c'est drôle dit ainsi), je préfère m'effacer, rester en retrait, cela a toujours été comme ça. Même quand j'ai avoué à mes parents que je préférais les garçons, et qu'ils l'ont pourtant bien pris, je leur ai demandé de ne pas en parler.

Comme si j'en avais honte, comme si c'était un secret à garder cacher.

— Tom ?

— Mmm...

Il relève la tête et tourne ses yeux noisette vers moi, un sourire aux lèvres. Il fait frais aujourd'hui. De gros nuages gris recouvrent le ciel, chargé de pluie. J'espère qu'il fera un meilleur temps demain soir, pour la cérémonie de clôture. Tom porte une veste sur laquelle il a accroché un pin's arc-en-ciel et le drapeau d'Angleterre. J'aimerais avoir le courage d'accrocher le pin's qu'il m'a offert, ne serait-ce qu'en soutien à la communauté queer.

Je pourrai le faire.

— Tu en es où ? demandé-je, bottant en touche, les yeux rivés sur ses doigts qui manient l'aiguille avec dextérité.

— J'ai presque fini le deuxième.

Il me montre l'étui à médaille. Cette fois, je note qu'il ne s'agit pas du drapeau français, mais de celui britannique, même si les couleurs sont les mêmes.

— Tu n'es pas obligé de me l'offrir, tu sais.

— J'y tiens.

— Noah en voulait un, lui aussi.

— Je lui en ferai un aussi, après toi. C'est plus important.

Mon cœur effectue un battement. Plus important, et pourquoi ?

— Noah est ton coéquipier.

— Oui, mais toi, tu vas bientôt repartir, et je ne te verrai plus. Donc je dois me dépêcher.

Ses mots nouent mon estomac. « Tu vas repartir », « Je ne te verrai plus ». Je n'ai pas envie de repartir, ni de ne plus le voir. J'imagine que nous pourrons toujours nous parler par SMS, ou continuer à nous suivre mutuellement sur les réseaux sociaux, mais je ne suis pas sûr que ce soit suffisant.

En tout cas, pas pour moi.

Je veux plus.

Je m'en rends compte maintenant, alors qu'il est assis à côté de moi. Je veux plus de temps avec lui. Je veux apprendre à le connaître. Je veux pouvoir de nouveau le consoler, et être l'épaule sur laquelle il pourra s'appuyer s'il se sent mal. Je ne veux pas seulement qu'il soit une parenthèse, un athlète rencontré le temps d'un instant, d'une semaine hors du temps. Je veux qu'il y ait plus.

Je veux qu'il comprenne...

— Tom ?

— Léon ?

Je ressens soudain une envie puissante. Vibrante. Des papillons s'animent dans mon ventre. J'ai envie de me pencher vers lui, de me saisir de ses lèvres, de caresser sa joue, de prendre sa main.

Tout cela va trop loin, Léon. Arrête.

Tom semble percevoir mon trouble. Il cesse de crocheter. Sa main s'avance doucement vers la mienne et il l'effleure avec douceur. J'arrête de respirer.

— Tu peux tout me dire, tu sais.

Mais est-ce que je peux lui dire, ça ?

Est-ce que je peux lui avouer ce secret que si peu de personnes connaissent ? Le problème, c'est que si je lui dis, je devrais aussi lui dire qu'il me plaît. Et au fond, ce n'est pas un problème, parce que c'est aussi ce que je veux. Mais ça me fait peur. Tout me fait peur. La célébrité, le public, les jeux, ma carrière, l'avenir, Tom...

Thomas Daley, ce sportif que je ne connais que depuis quelques jours, qui a eu le temps de m'offrir un étui à médaille et qui fait battre mon cœur si fort depuis. Me rendant compte que je fixe ses doigts, je relève la tête. Son regard ne lâche pas le mien.

— Je... Je suis...

Suis-je vraiment obligé de dire à haute voix ? Au fond, suis-je obligé de m'identifier ? De poser un mot ? D'entrer dans une case ?

— Moi, chuchoté-je.

— Oui, tu es toi, répète Tom.

Son sourire s'accentue encore. Il est si mignon, surtout quand il me regarde comme ça. Sa main enveloppe la mienne, l'autre glisse doucement sur mon t-shirt. Je ne bouge plus. Mon cœur bat trop fort. Tom se penche vers mon oreille.

— Et tu me plais comme ça, murmure-t-il.

Cette fois, j'arrête définitivement de respirer. 

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