Chapitre 5.1

Salut!


J'espère que vous aimerez Trel autant que moi. Voici un peu des dessous de Gallavand.


Bonne lecture!


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Trel


Trel a passé une heure à faire des allers-retour sous la pluie entre le wagon de transport des chevaux et l'écurie. Des Animas de remorque l'ont transporté près du débarcadère avant de rentrer docilement à leur hangar les uns après les autres. Si le wagon de transport était resté à l'abri sur le quai de la gare, le nouveau maître d'écurie aurait sans doute évité la promenade sous l'orage aux bêtes, se contentant de s'assurer qu'elles aient à manger et à boire, mais puisque les animas faisaient ce pourquoi ils étaient programmés sans se poser de question, il se devait de terminer sa tâche.

Comment aurait-il pu laisser les chevaux dans le wagon en toute conscience, et ce même s'ils étaient en relative sécurité pendant une énième tempête? La pluie frappant la surface métallique du conteneur faisait déjà un vacarme impossible qui faisait monter l'anxiété des bêtes bien inutilement. Le jeune homme ne pouvait pas tolérer l'idée que le tonnerre vienne ajouter son vacarme à ce concert cauchemardesque.

Lorsqu'ils sont arrivés au débarcadère du domaine de Gallavand, les autres palefreniers se sont hâté vers le collège, allant déposer leurs effets dans leur loge avant de se réfugier dans la salle commune des employés, peu intéressé de faire des allers-retours entre le wagon de transport et l'écurie sous la pluie battante.

— Qu'ils restent dans le wagon, s'était écrié un brun trapu. On a demandé aux étudiants d'envoyer leurs bêtes la semaine dernière pour éviter la cohue de la rentrée et pratiquement personne ne nous a écouté alors tant pis pour eux.

Mais Trel se fout bien des étudiants snobinards qui n'ont rien à faire des règles. Ce qui compte, ce sont les chevaux. Voilà donc pourquoi il les met au chaud et au sec, en commençant par cette pauvre pouliche Videntine qui lui brise tellement le coeur.

C'est en traversant la cour qu'il a revu sa charge. Recroquevillée contre un Anima de remorque, le teint pâle et l'air triste. Comme ça, son châle sur la tête, elle lui avait fait penser à la pouliche grise. Il l'avait vue lui lancer un regard envieux et il avait presque osé lui demander si elle voulait l'aider.

Il n'aurait pas craché sur un peu de compagnie. Après toute une journée de voyage à supporter les regards méfiants, il s'était avancé dans ses lectures, ce qui avait provoqué des commentaires dédaigneux lorsqu'on ne faisait pas tout simplement exprès pour l'ignorer. Heureusement, il avait l'habitude d'être traité comme un moins que rien par les Térénéens.

Sauf que les Halovariens sont différent et, il doit s'avouer qu'il est quand même curieux d'en apprendre plus sur cette drôle de rouquine aux allures d'indomptable.

Heureusement, il s'est retenu. Elle est étudiante, pas employée et il ne peut pas lui accorder plus d'importance que sa mission lui en donne déjà.

Sauf que bon... il a été prévenu qu'elle risquait de se réveiller plus tôt que prévu et cet endroit est plein d'Immatériels. Les silhouettes translucides flottent autour des bâtiments, circulent comme des sentinelles, entourent les étudiants, les repoussant de leurs mains spectrales sur les chemins balisés.

À tout bout de champs, Trel doit prononcer les incantations qu'il a apprises enfant afin de se protéger d'eux. Ils ne lui feront aucun mal, il le sait très bien, mais ils rendent les chevaux nerveux. Au cour des prochains jours, il tentera de protéger les bêtes les plus fragiles, encore une fois à commencer par cette pouliche. Elle semble les attirer davantage que les autres et Trel se demande pourquoi.

Le chef du personnel d'entretient, Klaus Magnusson, l'attend sur le pas de la porte du mess des employés de maintenance et de service.

Attenant aux cuisines, l'endroit est sobre en comparaison de la grandiosité quelque peu monstrueuse du bâtiment principal. Fait de pierres grises et parsemés de peu de fenêtres, l'endroit habrite plusieurs passages discrets menant aux chambres froides, chaufferies, celliers et autres salles des machines servant au bon fonctionnement du collège.

Avant d'arriver et de constater par lui-même l'étendue du domaine du collège, situé sur la rive est du lac Armelle, Trel se demandait pourquoi on avait besoin d'un train aussi immense pour transporter une poignée d'étudiants de l'École Royale Térénéenne et ceux du collège Gallavand. Maintenant qu'il est arrivé, il comprend.

Il doit y avoir deux à trois fois plus de population dans ce collège que dans le village côtier où il a grandit.

Klaus Magnusson est un Halovarien du Nord, un colosse de plus de deux mètres, large comme un ours avec une épaisse crinière ainsi qu'une barbe tout aussi fourni d'un poils de carottes des plus criards. Cependant, Trel soupçonne que peu de gens ont osé insulter sa pilosité.

— Ah ben, ça! Oscar m'avait dit que le nouveau maître d'écurie avait décidé de rentrer les chevaux avant même de savoir où se trouve sa loge.

En guise de réponse, Trel désigne le ciel où l'orage fait rage.

— Je ne suis pas cruel. Ces chevaux ont bien assez souffert de leur voyage, pas besoin de leur faire subir une nuit dans une boîte de conserve.

— Hmmm... les gars vont te détester, tu vas les forcer à se montrer travaillants.

— Je ne force personne à faire quoique ce soit. Je fais ce que j'estime juste, rien de plus.

— C'est justement ça le problème. Ici, personne ne fait ce qu'il estime juste. Mais, à ce qu'on dit, t'es là pour un an seulement, ça devrait fonctionner. Et t'as l'air résolu, ils ne réussiront pas à te faire fuir. Attends-toi juste pas à avoir des amis.

— Je ne suis pas ici pour me faire des amis, répond Trel. Je suis ici pour m'occuper des chevaux.

"Et pour m'assurer qu'il n'arrive rien à la fille d'Angélique", ajoute-t-il pour lui-même.

Il est congelé, trempé jusqu'aux os. Une fois dans le hall des employés, il retire son long manteau, tord ses cheveux. Une part de lui se demande s'il séchera un jour. Et tous ces Immatériels! Comment un endroit aussi isolé que ce collège peut-il en attirer autant?

— D'habitude, les Videntins refusent de venir travailler et étudier ici, reprend Klaus. Ils disent que la région est hantée.

Trel le suit docilement, tentant d'ignorer le pétillement de son sang dans ses doigts gelés. Il a envi de répondre avec sarcasme qu'il comprend maintenant pourquoi la paie était aussi alléchante. Pas un Videntin Visionnaire ne serait assez fou pour s'isoler dans un endroit pareil. Il est soudain pris d'une envie fulgurante de fuir, d'abandonner, de rentrer chez lui.

Sauf qu'il y a la fille d'Angélique et cette pouliche, il ne peut pas les laisser seules. Pas maintenant qu'il voit tous ces Immatériels.

D'ailleurs Trel n'en a jamais vu autant dans un seul endroit. Il suppose qu'une bande d'adolescents plus ou moins surveillés pourraient, au fil des années, ouvrir suffisamment le voile entre le Physique et l'l'Éternel pour expliquer une si grande concentration de fantômes, mais cela lui semble un peu tiré par les cheveux.

— Viens, il reste de quoi manger aux cuisines, aujourd'hui, on a droit aux extras du banquet d'accueil. Mais d'ordinaire, la bouffe est vraiment pas géniale. Ce n'est pas la faute de Thildie, elle fait ce qu'elle peut avec ce qu'on lui donne. Comme t'es à l'écurie et que tu vas superviser les randonnées des étudiants et les cours des plus jeunes, tu auras le droit d'emprunter un des chevaux de l'école ou, si tu as une permission écrite du propriétaire, celui d'un des élèves pour remonter à Lac Armelle et faire tes courses. T'as un cabinet de conservation dans ta loge. On a eu de la chance, le Duc de Vendois a liquidé une quantité considérable des Animas Morgenstern à Richmond. Les autres utilisent les Animas de remorque, mais comme on s'attend à ce que tu fasses s'exercer les chevaux, ça passera mieux si tu te déplace à cheval.

Cette règle fait l'affaire du Videntin. Il n'est pas particulièrement à l'aise avec les animas. Ces constructions humaines mêlant la mécanique et l'alchimie l'inquiète car plusieurs d'entre elles vibrent comme des Immatériels ce qui, à son avis, ne peut qu'être malsain.

Trel écoute Klaus parler tandis qu'ils se dirigent vers la salle commune des employés. Celle-ci se trouve séparée des cuisines par une porte battante et un Anima de nettoyage qui s'affaire à laver la vaisselle.

L'endroit est bondé d'employés, tous assis à de longues table de bois, une choppe à la main. Certes, c'est le banquet d'accueil pour les étudiants et les employés de cuisine sont très occupés à contrôler et charger les Animas de services, mais dans la grande pièce, l'ambiance est quand même à la fête.

Il se dirige vers un comptoir où il ne reste presque plus rien lorsqu'une grande femme au chignon blonds strié d'argent sort de la cuisine, un plateau bien garni dans les mains.

Elle est presque aussi grande que Klaus, avec de jolies rondeurs de matrone et un visage ouvert et souriant.

— Enfin! Tu l'as trouvé, s'écrie-t-elle à l'intention de Klaus.

— Trel, voici ma femme, Thildie. Sur papiers, c'est moi le contremaître, mais en vrai, c'est elle la reine et maîtresse ici. Après tout, c'est elle qui détient les clés du garde-manger!

L'homme éclate d'un grand rire tandis que son épouse, lui donne un léger coup de coude exaspéré. Avec un sourire accueillant, elle retourne son attention sur Trel.

— Bienvenue, mon garçon. Viens, on va te trouver une place au chaud!

D'un pas rapide, Thildie se dirige vers un groupe qui se trouve attablés près de l'immense cheminée. Elle les chasse d'un geste brusque et nettoie la table avant de déposer le plateau.

— Vous n'aviez pas à faire ça, dit Trel, un peu mal à l'aise.

— Ridicule! Il n'est pas dit que les travaillants ne seront pas récompensé dans la cuisine de Thildie Meier, fait la femme Halovarienne. D'autant plus qu'en plus de travailler avec nous, tu termines des études à ce qu'on m'a dit. Tu sais ce que ces paresseux ont fait en sortant du train?

Trel secoue la tête. Il croit qu'il va bien aimer cette grande femme affairée. Maintenant attablé, il découvre que son plateau contient un potage qui sent divinement bon, une belle tranche de rôti braisé accompagnée de légumes et de pommes dauphines ainsi qu'un bol de cidre épicé et du pain encore chaud. Maintenant que l'âtre lui envoie sa chaleur, il doit admettre que cette femme a eu raison. Ayant donné sa pomme à la pouliche Videntine le matin, il n'a eu que quelques noix à manger de toute la journée et il est affamé.

— Rien! s'écrie Thildie. Ils n'ont rien fait!

Le regard brillant d'indignation, les mains sur les hanches, elle poursuit sa tirade:

— Ces petits paresseux sont venus droit à la cuisine et ont assis leur derrière près du feu sans le partager avec personne car ils n'ont rien compris.

Non loin, quelques nouveaux employés écoutent, curieux. Tout comme ce Videntin, ils sont au collège pour travailler tout en terminant des études diverses. Certains sont mécaniciens, d'autres infirmiers ou encore comis de bureau.

— Ils n'ont pas compris que Thildie réserve toujours les plus beaux morceaux aux travaillants et qu'elle garde toujours en réserve des part de choix. Les restes! Voilà ce qu'ils ont, à tellement vouloir se presser de ne rien faire.

Elle lui fait un sourire taquin.

— Crois-tu que mon équipe de cuisine va se démener toute la soirée pour servir les étudiants et qu'ils seront récompensés de miettes? Non... ils savent que travailler fort et dur leur vaudra une belle part de rôti bien frais, Je l'ai gardé de côté et je l'ai mis à cuir après les autres afin qu'il soit prêt pour la fin du banquet. Et, c'est toujours comme ça, avec Thildie.

Il trouve amusant sa façon de parler d'elle-même à la troisième personne la moitié du temps. Après un dernier sourire et une tape maternelle sur son épaule, elle tourne les talons et retourne à la cuisine. Klaus la regarde s'éloigner, une lueur admirative dans le regard.

— Si tu plais à Thildie, dit-il, tu ne manqueras jamais de rien.

Le jeune homme hoche la tête, comprenant exactement ce que veux dire le contremaître.

Après avoir fait de gros efforts pour se modérer et ne pas engloutir son repas trop rapidement, Trel retourne son plateau à l'Anima de nettoyage et entreprend de retrouver sa loge. Il lui tarde d'enlever ses vêtements trempés et de se mettre au lit. La nuit est ténébreuse et l'air est épais d'humidité maintenant que l'orage prend une pause. Des éclairs tombent toujours à l'horizon, annonçant une deuxième tempête nocturne. Les réverbères servant à illuminer les trottoirs entre le bâtiment principal et les résidences des étudiants ont du mal à éloigner l'obscurité. Des jeunes circulent en petits groupes, se hâtant vers leur lit.

Il suit le sentier qui l'emmène vers les écuries et sa maisonnette, située derrière lorsqu'il l'aperçoit. Debout, la posture rigide, son châle orange couvrant sa chevelure, les yeux un peu trop ronds, un peu trop effrayés. Elle regarde des Immatériels noirs, quasi invisibles dans la nuit orageuse. Il voit ses lèvres qui remuent, prononcent les mots qu'apprennent tout les enfants Videntins. Mais ces mots-là ne serviront à rien, ils ne repousseront pas les Spectres qui l'entourent.

Il se sent las, épuisé et l'humidité ambiante pénètre ses vêtements en trois secondes. Une partie de lui n'a pas envi de s'en mêler. Les Spectres ne lui feront rien de permanent, rien de vraiment dangereux, du moins, il le suppose. Les Spectres normaux ne sont pas dangereux lorsqu'ils n'ont pas accès à des armes et Trel remarque qu'il n'y a rien dont pourrait se servir un Spectre pour frapper un mortel dans les alentours.

Ça lui fait du bien de penser à éviter la situation, toutefois, il sait très bien qu'il ne fuira pas. Il est ici, dans ce collège glauque et isolé précisément pour ça. Et dire que cette année, il aurait pu se trouver dans un des plus prestigieux aras du continent, quelque part au chaud comme en Castellade, par exemple, à terminer ses études! Mais Trel est un homme fiable et loyal, et lorsque Torek lui a demandé son aide, il n'a pas pu refuser.

Les aras de Castellade se sont envolés en fumée, remplacés par le Nord du royaume, dans un collège affreux au milieu d'une invasion d'immatériels comme il n'en a jamais vu de sa vie.

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