Chapitre 3.2
Salut,
Dans cette partie du chapitre 3, on découvre une nouvelle maladie. ;)
Bonne lecture!
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Joséphine
Je suspend mon imperméable et mon châle sur un des crochet près de la fenêtre du compartiment inoccupé que nous venons de trouver. Il s'avère que Nina et Freddie sont arrivé via d'autres train, alors ils ont eu le temps de sécher raisonnablement, ce qui n'est pas du tout mon cas. Célestina se laisse tomber sur une des deux banquettes en tentant de dissimuler un bâillement.
— Je suis désolée, explique-t-elle. J'ai fait le chemin depuis Puerta della Luna, j'ai très peu dormi et toute cette pluie m'endors...
— Ça va pour moi, dis-je en prenant place à côté de Freddie sur l'autre banquette. Tu peux dormir, ne te sens pas obligée de nous faire la conversation.
— Merci!
Spontanément, elle retire ses bottillons, remonte ses pieds sur la banquette et se roule en boule, la tête appuyée sur un bras avant de fermer les yeux. En moins de trente secondes, elle est endormie.
Mon compagnon de voyage sort un livre de son sac et commence à lire. Il s'agit d'un traité d'anatomie avancée qui m'impressionne quand même un peu. Je prend également un ouvrage afin de passer le temps. D'un accord tacite, nous avons décidé de laisser Célestina dormir un peu avant d'entamer la conversation.
Le silence est confortable, seulement brisé par le bruit des pages qu'on tourne et les faibles ronflements de Nina sur la banquette en face. Après une heure de trajet vers le Nord, la pluie diluvienne a enfin cessé et nous pouvons entrevoir le soleil percer timidement entre les nuages. Je m'étire pour abaisser la toile à la fenêtre près de la tête de Célestina pour lui éviter d'être déranger par le soleil lorsque la porte du compartiment s'ouvre d'un seul coup, dévoilant la silhouette de Blaise.
— Sortez! ordonne-t-il. C'est mon compartiment.
Dieux que j'étais sotte!... comment n'aies-je jamais pu le trouver agréable?
— Freddie, demandé-je pour me donner une contenance, ça existe une lobotomie temporaire?
— Hein! Quoi?! fait-il, hébété. NON! Pourquoi demandes-tu ça?
— Je me comprends, murmuré-je en Halovarien.
— Avez-vous fini de parler dans votre langue de barbare? demande Blaise, irrité. Maintenant, dégagez, c'est MON compartiment.
— Non, dis-je, en me levant pour lui prendre le bras et le faire pivoter vers la sortie.
— Non? s'indigne-t-il.
— Non, répété-je. Si tu veux t'assoir avec nous, je suppose que nous pouvons tenter d'être civilisé et courtois envers toi et te faire une place, mais sors-toi tout de suite cette idée de la tête, ni Célina, ni Freddie ni moi n'allons quitter ce compartiment.
Il me regarde du plus haut qu'il peut considérant que je suis presque aussi grande que lui avant de se dégager et de filer dans le couloir à grandes enjambées rageuses. Lobotomie! Lobotomie temporaire, il n'y a plus de doute possible! J'ai été victime d'une lobotomie temporaire pendant deux ans. Sinon, je ne vois pas comment j'aurais pu penser me fiancer à cet être pitoyable.
Mes mains tremblent tellement la répulsion que m'évoque Blaise est violente. Je dois être rouge comme une pivoine tellement il me répugne. Je tente de tout mon être de réprimer mon envie de lui faire aussi mal que j'ai eu mal lorsqu'il m'a rejetée comme une vieille chaussette alors que tout ce que je demandais c'était d'être soutenue. Au fond du corridor, je perçois un mouvement. Toutes les autres portes de compartiments sont fermées alors je crie, pensant qu'il s'agit encore de cette ordure de Blaise:
— Et le Halovarien n'est pas une langue de barbare, connard de merde!
— Certainement pas, réplique la silhouette d'une voix posée, sortant de l'ombre.
Oh, par tous les Dieux... pourquoi n'y a-t-il jamais de bouche béante dans le plancher pour avaler les Sauvageonnes qui parlent trop vite lorsque j'en ai besoin? Ou, dans le cas présent, qui s'enrage après des innocents.
Le même étudiant que tout à l'heure, le Térénéen un peu grand avec l'écusson doré de président de classe ou je ne sais trop quoi sur le côté gauche de sa veste rouge s'avance vers moi, du pas confiant de ceux qui ne perdent pas leur temps. Il m'adresse un léger sourire en coin tandis que je ravale mon malaise.
— Que faites-vous là? demandé-je, m'écartant pour le laisser entrer.
Chacun sur leur banquette, Nina et Freddie me dévisagent, la bouche ouverte de surprise.
— Toi, ma chérie, t'as une histoire avec ce bourrin, constate Nina, tentant de discrètement remettre ses chaussures puisque nous avons un invité.
Le blond me regarde, l'air de se demander ce que je vais répondre à ça. Sachant qu'il ne sert à rien de cacher ma réalité à mes potentiels nouveaux amis, de toute façon, Blaise va certainement se faire un plaisir de tout raconter à sa sauce, je lui fais signe de fermer la porte derrière lui avant de prendre place près de Nina. Le blond dont, en toute modestie, la chevelure ne peut être définie par un terme si fade et banal s'installe en face de moi, sans rien dire.
— Jusqu'au printemps dernier, j'ai été victime d'une lobotomie temporaire, dis-je en guise d'introduction.
Je vois Freddie qui veut protester mais je tends la main pour l'interrompre.
— Et par là, je veux dire que jusqu'à ce moment, il était question que... Blaise et moi, nous officialisions nos fiançailles au printemps dernier.
— Une lobotomie temporaire, s'amuse le blond, sa voix empreinte d'accents rauques pas du tout désagréable à mon oreille. C'est intéressant comme façon de définir le phénomène.
— Certainement, une lobotomie temporaire, renchéris-je. Parce que je n'imagine pas comment j'ai pu supporter cet abruti autrement.
Célestina prend ma main dans la sienne et la serre gentiment.
— L'important, c'est que tu te soies remise de cette folie passagère avant qu'il ne soit trop tard.
Je serre ses doigts en guise de remerciement.
— Ouais, c'est un peu plus compliqué que ça.
— Peu importe, c'est fini maintenant, ajoute-t-elle.
— Tu as été très courageuse, remarque Freddie. Il avait l'air tellement en colère contre toi. J'ai même pensé un instant qu'il allait te frapper ou quelque chose comme ça.
— Mérignac ne me fait pas peur, dis-je. Il me peine, surtout. Et me fait douter de mon propre jugement.
— Voyons, Josie, reprend Nina d'un ton de fausse sagesse. Nous faisons tous des erreurs de jeunesse.
— Ouais, disons qu'il y en a des pires que d'autres.
— Oh... personne n'est mort, élude vaguement ma nouvelle camarade. Et puis, m'est avis qu'il en souffre bien davantage que toi.
— Ah bon?
— Certainement. En ce qui te concerne, cette révélation soulève simplement quelques doutes sur ta santé mentale. Dans son cas, nous avons la preuve incontestable que ce garçon, aussi mignon soit-il, est un imbécile.
Célestina prend nos vis-à-vis à parti d'un geste désinvolte de la main avant de passer à autre chose.
— En attendant, nous avons mieux à faire.
Son regard ambré se pose sur le blond.
— Quelque chose me dit que vous connaissez déjà nos identités. Je crois que le temps des présentations est venu. Non pas que nous ne sommes pas enchantés de votre présence, mais ne croyez-vous pas qu'il est grand temps que nous fassions connaissance?
Le blond hoche la tête et, brièvement, ce petit sourire en coin qui en dit bien davantage sur lui que l'ensemble de sa prestance calme, sa mise impeccable et l'accent typique de l'aristocratie Térénéenne avec lequel il s'exprime revient illuminer son visage.
— Certainement. J'attendais simplement que la question de l'heure soit écoulée. Je suis Edward Sharington. Je suis, cette année, le président du comité étudiant. Je suis également préfet en chef, ce qui, rendus où nous sommes, ne signifie pas grand chose à part que je suis habilité à venir en aide aux professeurs.
— Célestina, Freddie et moi nous lançons dans les présentations officielles.
— J'ai pour mandat aujourd'hui de répondre à toutes vos questions avant notre arrivée au collège, poursuit calmement Edward. Je suis d'ailleurs très heureux de vous retrouver tout les trois ensemble, cela me facilitera la tâche et m'évitera de me répéter. À moins, bien sûr, qu'il y ait des sujets que vous ne souhaitiez pas aborder devant les autres.
— Pas en ce qui me concerne, répond Célestina, tentant de camoufler les gargouillis de son estomac. À quelle heure ouvre le wagon-restaurant?
Une expression désolée traverse le regard bleu d'Edward.
— J'ai bien peur qu'il faille attendre que les étudiants de l'ÉRT aient terminé leur repas.
— Ça ne fait rien, dis-je. Freddie, tu veux bien me passer le panier sous la banquette? J'ai assez de provisions pour rassasier tout le monde.
— Vraiment! fait Célestina, surprise. J'ai terminé tout ce que j'avais emporté hier, je risque d'être difficile à contenter.
— J'ai de quoi ajouter au butin, fait Freddie après m'avoir poussé mon panier.
Il fouille dans son sac et en sort deux paquets soigneusement emballés qu'il dépose sur le dessus de mes provisions. À sa droite, Edward jette un coup d'oeil à sa montre et semble prendre une décision.
— J'ai de quoi partager également. Je vais le chercher, je reviens.
— Attendez-moi.
Célestina se lève et part à la suite d'Edward. Une fois la porte refermée, Je commence à déballer la nourriture tandis que Freddie sort la table murale qu'il fixe au centre du compartiment.
— Freddie, je suis désolée pour tout à l'heure. Je ne voulais pas écouter ta conversation, dis-je en Halovarien. Je vois bien que c'était une conversation privée.
— Avec ta tignasse, j'aurais dû me douter que tu as des origines Halovariennes. Mais en toute franchise, ça ne fait rien. Je ne peux pas vraiment cacher que j'ai accès à Gallavand parce que je me suis mérité une bourse.
— Il n'y a rien de honteux là-dedans, c'est tout à ton honneur, dis-je.
— Toi et moi, nous comprenons ce principe, et peut-être même Nina - je ne suis pas certain de la philosophie Castelladine à ce sujet -, mais tu sais bien que ce n'est pas comme ça que ça fonctionne en Térénée.
— Tu n'as pas idée, soupiré-je. Je n'ai pas envi de me répéter plusieurs fois alors je vais attendre les autres, mais dis-toi que je sais très bien comment Térénée fonctionne.
Edward
— Je vais chercher à boire au wagon-restaurant, annonce Célestina dès la porte du compartiment refermée derrière eux.
Personne ne l'empêchera d'interrompre les Értiens dans leur repas, pense Edward. En fait, Célestina Ruîz aurait très bien pu prendre place à table parmi eux sous prétexte de déjeuner avec son frère. Il la laisse poursuivre sa route, s'arrêtant lui-même devant le compartiment où il a laissé ses bagages.
— Tu arrives juste à temps, s'écrie Violette dès qu'il ouvre la porte. On s'apprêtait à manger.
Enfonçant les mains dans ses poches afin de réprimer une envie compulsive de se tirer les cheveux, tic nerveux dont il essaie de se défaire sans succès depuis des années, Edward esquisse un geste négatif de la tête.
— Je vais manger avec les nouveaux, annonce-t-il.
— Pendant que tu es là, fait Olivier, un des préfets de Dernière - l'année juste avant la Préparatoire -, Mérignac est allé se plaindre à Delatour. Il prétend qu'il a été traité injustement par une des nouvelles. Cette fameuse Morgenstern dont tout le monde parle depuis le Festival des fleurs!
Olivier serait sans doute un bon candidat pour diriger les préfets l'an prochain s'il n'était pas l'ami de Blaise songe Edward en ramassant son sac et son panier de pique-nique.
— J'étais là, dit-il simplement. Je ne crois pas que de se faire inviter à partager le compartiment par Joséphine Morgenstern puisse vraiment être considéré comme un "traitement injuste".
Le silence tombe. Tout le monde l'observe, bouche bée. "Plus que quelques mois", pense-t-il. "Courage, c'est bientôt terminé."
Ils ont tous l'air choqué, sauf Violette, qui le connaît mieux que quiconque, qui affiche une moue inquiète.
— Je m'attends à plus de discernement de votre part, dit-il, le ton un brin plus glacial que ce que ses préfets méritent, vous connaissez tous très bien la propension à l'exagération de Mérignac.
— On l'a quand même entendue crier dans le corridor, marmonne Olivier.
"Ne répond pas à ça, Sharington. C'est inutile", pense-t-il. "Olivier est l'ami de Blaise, c'est certain qu'il va prendre son parti."
Écoutant sa raison, Edward tourne les talons et referme la porte derrière lui. Faisant quelques pas, il pose son bagage au sol et s'adosse au mur, fermant les yeux dans l'intention de se ressaisir.
Il s'aperçoit de la présence de Violette à ses côtés seulement lorsqu'elle pose sa petite main sur son bras.
— Que se passe-t-il? demande-t-elle doucement.
Edward soupire puis ne résiste plus à la tentation. Il enfonce les mains dans sa chevelure et empoigne les mèches blondes et tire, sentant ses tensions se relâcher en même temps qu'il soulage sa prise capillaire. L'exercice lui a toujours fait un bien immense, stimulant la circulation sanguine dans son crâne bien trop souvent préoccupé.
— Ça va aller, tente-t-il de rassurer son amie tandis qu'elle lui tend le discret ruban noir qu'il utilise pour rassembler sa chevelure.
— Si tu le dis.
Violette lui lance un regard perçant qui en dit long sur l'opinion qu'elle se fait de ses tentatives naïves de la rassurer avec des paroles vides.
— Qu'est-ce qui te tracasse, demandé-t-elle à nouveau.
— Rien... tout... je ne sais pas! soupire encore Edward.
— J'ai bien compris à travers tes lettres que ton été n'a pas été particulièrement reposant.
Edward a un sourire de dérision. Si elle savait, la pauvre Violette! Après avoir massé une dernière fois son crâne, il reprend son ruban et refait sa coiffure avec soin. Il offre un sourire davantage sincère à son amie, reconnaissant de son intérêt réel pour lui.
— Et mes lettres ne trahissaient que la version édulcorée de la réalité, dit-il. Nous aurons le temps d'en parler cette année.
— Ma proposition tient toujours, tu sais?
— Merci.
Sauf qu'il ne peut pas accepter un mariage de raison avec Violette van Thirnenn. Certes, les van Thirnenn bénéficient d'une fortune considérable et d'aucun héritier mâle ce qui, pour les Délizéens, est un problème légal qui ne peut être résolu qu'en contractant un mariage qui emmènerait un fils par alliance à la famille. Ce nouveau statut pour Edward signifierait qu'il serait en mesure d'entreprendre les études et la carrière de son choix et que sa nouvelle famille - sa nouvelle nation - l'épaulerait dans tout ses projets. Considérant que son avenir en Térénée est grandement limité par son père qui tient, avec une poigne de fer, les cordons de la bourse familiale, la proposition est alléchante d'un point de vue strictement pragmatique.
La famille Sharington, depuis des générations, fait parti de la caste militaire et les trois frères aînés d'Edward ont embrassé des carrières dans l'Armée Royale avec joie. Bernard dans la marine et Donald et Arnold Junior dans l'artillerie, tous trois ayant obtenu, grâce à des sommes considérables versées par Arnold Senior, des grades d'officier.
Seulement, Edward s'intéresse au droit, non pas à l'Armée, que ce soit sur terre ou sur mer. Mais de toute évidence, Arnold Sharington Senior ne relâchera pas les cordons de la bourse familiale pour autre chose qu'un grade d'officier.
Les discussions, au cour de l'été ont été houleuses, le chef de famille ayant tenté de forcer son fils dans l'Armée royale avant même sa Préparatoire. Il aurait pu, mais heureusement, Marguerite a tenu le fort pour son fils, arguant, avec justesse, que l'année Préparatoire permettrait à Edward d'entreprendre des études supérieures, ce qu'il ne pourrait pas faire s'il interrompait sa scolarisation. Car même l'Armée royale a besoin de diplômés universitaires, qu'ils soient médecins, avocats, ingénieurs ou diplomates. Arnold Senior a capitulé car il est vrai que les résultats académiques d'Edward sont bien au-dessus de ceux qu'ont eu tous ses frères par le passé. Évidemment, le Colonel Sharington ne peut nier le prestige que lui apporterait un fils officier ayant un potentiel d'avancement considérable grâce à une éducation supérieure.
Il s'agit peut-être d'égoïsme, mais Edward ne peut supporter l'idée du contexte militaire. Il croit que la justice ne peut être adéquatement appliquée par un parti aussi partiale que l'Armée Royale et ne peut se résoudre à endosser le moule Sharington.
Sauf que de là à devenir Délizéen...
Sa réflexion est interrompue par Célestina qui revient, suivie d'un employé du wagon-restaurant qui pousse un charriot contenant des couverts pour quatre ainsi que des rafraichissements.
— Bon, c'est assez! ordonne Célestina en levant une main. Nous allons nous organiser.
— Mais, votre Alt...
— Non! le coupe Célestina. Retournez à vos tâches. Je ne suis pas infirme, je peux verser du thé et du cidre, franchement.
Le serveur balbutie nerveusement, terrifié à l'idée que la jeune Castelladine soit offensée. Il se confond en excuse mais Célestina ne l'écoute pas, lui pointant, d'une main impérieuse, la direction du wagon-restaurant. Tout en s'inclinant, l'employé rebrousse chemin à toute vitesse. On ne batifole pas avec l'aristocratie en Térénée et bien que la jeune femme se considère comme une étudiante ordinaire parmi tant d'autre, pour la plupart des Térénéens qu'elle rencontrera, cela ne sera pas le cas.
— Que je vous vois dire quelque chose, vous deux, s'exclame-t-elle en direction de Violette et Edward.
— Moi? Je n'ai rien vu, fait Edward, un sourire retroussant le coin de ses lèvres.
— Il s'est passé quelque chose? ajoute Violette, feignant l'innocence. Bon appétit, je retourne déjeuner avant que les autres bouffent tout.
Sans ajouter quoique ce soit, la Délizéenne repart, un sourire angélique aux lèvres.
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