Chapitre 2.2
Bonjour!
Promis, j'ai presque terminé d'introduire du monde. :P Ahah!
Voici Fabienne, qui devra, je le crains, devenir adulte très rapidement.
Bonne lecture!
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Fabienne
Depuis que nous nous sommes installées dans cette horrible maison de chambres de Fort-Royal, je traine au lit toute la journée, lisant des romans, somnolant ou écoutant de la musique via la vieille radio qui traîne dans le coin de la pièce. Ma valise est déjà prête car il me tarde de partir pour Vertelande et de quitter ce quartier sordide. Madame Sophie ne possède qu'un vieil Anima de cuisine qui n'est même pas foutu de faire le service correctement et encore moins de monter les escaliers. Si je veux boire ou manger quelque chose, je dois descendre le chercher!
Alors, sauf pour les repas, je jeûne.
Je n'ai pas le choix. Je n'ai pas envi de croiser les autres locataires de la maison. J'ai déjà bien assez de les voir aux repas et d'endurer leurs conversations stupides à propos de leur travail et de leur vie.
Comme si ça pouvait m'intéresser!
Certes, maman m'a bien demandé de chanter et de jouer du piano un soir ou deux, mais je doute que ces gens peuvent vraiment apprécier mon talent. Je l'ai fait, parce que même si Josie chante et joue aussi comme se doit de le faire une vraie demoiselle de bonne famille, je suis bien plus douée qu'elle. De plus, il fallait bien montrer à ces pauvres gens que nous sommes de jeunes demoiselles bien élevées et il ne faut pas compter sur ma soeur, avec son attitude de garçon manqué pour redorer le blason familial.
Dans deux semaines, j'assisterai à mon premier bal! Ça fait des mois que j'imagine ma robe et j'ai reçu, pour mon anniversaire hier, la promesse de grand-père qu'il s'occuperait de mon introduction.
Je suis plus que prête! Je sais converser, je connais toutes les danses à la mode, j'ai le pied sûr et léger et on dit que ma voix est si belle que même les anges s'arrêtent pour m'entendre chanter.
Je deviendrai une étoile, c'est certain!
J'ai opté pour la lecture du magasine Minute Céleste, dans lequel on retrouve toutes les nouvelles les plus importantes sur la société Térénéenne. La saison des mariages tire à sa fin, la plupart des Térénéens préférant se marier l'été, même si quelques mariages sont célébrés au cour des autres saisons. Les descriptions de pique-nique estivaux me font rêver. Quand je pense que ça fait déjà deux ans que Joséphine participe à tout ça. Enfin, Elle venait de terminer sa deuxième saison lorsque le malheur est tombé sur nous et que ses fiançailles sont tombées à l'eau.
J'ai été dévastée par cet événement. Naturellement, malgré le fait que je n'avais pas encore l'âge, j'aurais été invitée à la fête. J'aurais chanté pour les fiancés et toutes les personnes libres du pays seraient morts d'envie de faire la rencontre de la divine chanteuse que je suis.
Mais non. Il a fallu que mon idiote de soeur fasse sa tête de mule. Lorsqu'elle a compris qu'il y aurait des conditions pour que son mariage ait lieu, elle a envoyé promener le beau Blaise.. de Mérignac.
Ma mère entre dans la chambre et me jette un regard que je n'arrive pas à déchiffrer. Elle porte une tenue de voyage étrange plus masculine que ce qu'elle a l'habitude de porter avec un pantalon ample qui la fait ressembler à une guerrière Videntine. Elle arbore même deux fourreaux d'épées à ses hanches étroites.
— Nous partons ce soir à 8 heures, es-tu prête, demande-t-elle.
— Oh oui, enfin!
Je me lève, jetant le magasine sur mon lit, enfin motivée à enfiler ma tenue de voyage.
— Depuis quand as-tu ses épées, fais-je, me hâtant de retirer ma robe de nuit.
Lorsque je jette mon vêtement sur le côté, elle tend la main et le rattrape sans même regarder avant qu'il ne touche le sol pour le déposer, bien roulé, sur le dessus de ma valise ouverte.
— Ça date d'avant mon mariage avec ton père.
Elle sort une des lames qu'elle balance sur ses doigts, le regard dans le vague, revisitant des scènes où je n'existe pas.
— Courage et Ténacité, dit-elle. Une bonne amie me les a offertes lors d'un de mes anniversaires célébrés à Luxor.
Sa révélation me stupéfait. Je la regarde comme si je ne l'avais jamais vue avant. Elle range sa lame et sort la deuxième, refaisant son manège d'équilibre sur les doigts de son autre main.
— Tu as habité à Luxor!
Ma mère hoche la tête. Luxor, la ville de tout les possibles. Encore plus grande, folle et mystérieuse que Fort-Royal ou Puerto della Luna. C'est là qu'on retrouve les plus beaux théâtres, les plus grands opéras. Sans compter les casino, les bars et les autres endroits de merveille. On dit, bien sûr, dans la bonne société que Luxor est la ville de tous les vices, un repère de brigands, de pirates et d'autres criminels. Les gens biens ne vont pas à Luxor... du moins, pas officiellement.
— C'est là-bas que ton père et moi nous sommes rencontrés, ajoute-t-elle. Il assistait son oncle dans le commerce du vin avant que nous nous installions à Fort-Royal et qu'il démarre sa propre entreprise d'Anima.
Je suis soufflée! Je n'en reviens pas. Comment mes parents ont-ils pu me cacher tout ça?
— Franz est même né là-bas, ajoute-t-elle. Et puis, nous avons décidé de nous marier et de venir nous installer ici.
J'ai besoin de clarifications. Je ne suis pas certaine que j'ai bien entendu. Ma mère, qui allait au Parlement, qui organisait des thés et des dîners de gens cultivés et stimulants, qui était la parfaite duchesse sans reproche n'était pas mariée lorsque mon frère est né?! Impossible!
— Tu as eu Franz, et après tu t'es mariée?
— Oui, j'étais enceinte de Joséphine mais je ne le savais pas encore.
— Mais comment avez-vous pu cacher ça à tout le monde?
— Ce n'est pas si compliqué de trafiquer des dates, ma chérie. Encore moins lorsque le fonctionnaire à qui nous transmettons les papiers nous demande d'en faire la traduction nous-même. Ton père a toujours été doué pour les détails administratifs. Termine de t'habiller, quelqu'un approche, dit-elle en se plantant devant la porte de la chambre.
Je ne sais pas si c'est une façon de couper court à la conversation mais je la vois qui range sa seconde lame et croise les bras devant elle. Cela lui donne un air innocent et vulnérable, mais je sens que ce n'est qu'un leure. Il lui serait très facile de baisser les mains et d'empoigner les manches d'une ou l'autre de ses épées, peut-être même des deux. C'est alors que je réalise que la noblesse, la délicatesse et la docilité n'étaient que les composantes d'une façade qu'elle utilisait pour berner les gens. Malgré l'expression avenante sur son visage, je remarque dans son regard gris une lueur ardente.
Quelques secondes plus tard, j'entends finalement les pas dans le couloir - mais comment a-t-elle pu entendre venir si tôt? - et encore quelques secondes après, on frappe à la porte.
Je n'ai pas le temps d'inviter le visiteur à entrer, et encore moins de traverser la pièce pour ouvrir la porte - si j'avais été ce genre de personne - que la porte s'ouvre. Un officier de l'armée Royale Térénéenne fait son entrée, son uniforme ruisselant de pluie. Peu après, madame Sophie apparaît derrière lui, le regard affolé.
— Oh, madame la Duchesse, fait-elle, ses yeux écartés de terreur. Ne m'en voulez pas, j'ai bien...
— Silence, ordonne l'officier et madame Sophie plaque une main sur sa bouche, tétanisée. Je ne sais plus où porter mon attention, je suis figée d'horreur. Ma mère, à mes côtés, reste immobile, son corps tendu comme les cordes d'un violon, prête à bondir, je crois. J'ai l'impression que si je pose un doigt sur son bras et que je le pince, il en résultera le même son que si j'essayais de pincer une des cordes de l'instrument.
Un fou rire nerveux tente de s'échapper de mes lèvres alors que j'imagine ma mère produire de la musique en bougeant. Je dois me ressaisir, il n'est pas approprié pour une demoiselle de dévoiler ses émotions.
— Je suis le caporal de Grive, Duchesse. J'ai été mendaté pour vous annoncer que le forçat Morgenstern a été embarqué ce matin pour l'île de Zagap. Voici ses derniers effets personnels et sa lettre d'adieu.
Mon coeur se brise. Mon papa... mon petit papa est parti, c'est bien fini. Je serre les dents et les poings, combattant de toute mes forces pour ne pas dévoiler mon malaise. Les yeux sombres de l'officier cherche à découvrir l'effet de son annonce sur mes traits et ceux de ma mère. Jamais je ne lui ferai le plaisir de lui dévoiler que son annonce vient de m'arracher le coeur et l'espoir.
À mes côtés, ma mère s'écroule, évanouie. Le regard perfide de l'officier s'illumine d'un éclat victorieux l'espace d'un instant. L'homme tend une petite bourse de cuir ainsi qu'une lettre devant lui. Les mains tremblantes, je les prends.
— Vous pouvez disposer, je dis, ma voix, comme celle d'une étrangère, étrangement froide.
— J'ai besoin d'une signature pour confirmer que vous avez bien reçu le colis, proteste l'officier.
Quel culot! J'ouvre la bourse et regarde dedans. Il y a la montre de mon père, son alliance et un de ces puzzle Délizéens dont il a toujours raffolé. Le contenu du sac me semble juste. J'attrape le bloc-note de l'officier ainsi que la plume qu'il me tend et signe le nom complet de ma mère, incluant son titre de noblesse.
— Vous n'êtes pas la duchesse, demande-t-il étonné.
— L'avez-vous déjà vue?
Il a l'air incertain, jette un coup d'oeil vers ma mère encore écroulée au sol. Madame Sophie s'est glissée dans la pièce et applique un linge humide sur son front. Je remarque qu'elle fait exprès de masquer son visage en le rafraîchissant.
— Non, finit par admettre l'officier. Mais vous me semblez bien jeune.
— C'est de famille, osé-je répondre. Avez-vous besoin d'autre chose, Caporal de Grive? Peut-être vous réjouissez vous d'observer le spectacle d'une femme vulnérable?
La Reine Élérie ne ferait pas mieux. L'officier s'empourpre, puis semble revenir à lui. Il claque les talons en disant:
— Non madame! Bien sûr que non.
— Dans ce cas, qu'attendez-vous pour partir? Vous avez été congédié il y a déjà plusieurs minutes.
— Oui, madame. À vos ordres, madame. Passez une bonne journée.
Après un dernier salut, il s'en va. Je n'en reviens pas! Quelle audace j'ai eue! Encore fébrile à cause de mes actes, je traverse la pièce et referme la porte de ma chambre.
À peine le clic du verrou se fait-il entendre que ma mère bondit sur ses pieds.
— Enfin! Quel culot, gronde-t-elle. Ce petit merdeux avait envi d'un spectacle. Il voulait voir des femmes effondrées. Sadique petit bâtard.
Je suis bouche bée, interdite, la lettre et la bourse toujours en main.
— Mère... tu... tu n'étais pas vraiment évanouie?
— Bien sûr que non! Je savais déjà que Johannes était parti.
— Et tu ne nous l'avais pas dit?
Son regard s'adouci. Elle ne fait aucun pas vers moi, elle n'a jamais été très démonstrative envers nous. D'ailleurs, l'embrassade qu'elle a eu avec Josie ce matin m'a davantage surpris que cette nouvelle apportée par le Caporal de Grive.
— C'était inutile, Fabi. Nous savions tous déjà qu'il serait envoyé dans les colonies du Sud et que nous ne pourrions pas le voir avant son départ.
Parce que, comme une idiote, j'avais gardé une lueur d'espoir de revoir mon père, cette phrase me transperce, m'atteignant droit au coeur. La douleur qu'elle me cause ne sort cependant pas de ma bouche, restant enfouie au creux de mon corps. C'est étrange, je souffre physiquement alors que personne ne m'a touchée. Je ne dis pas un mot. Je comprends qu'elle a voulu nous épargner cette déception. Une partie de moi est triste que son plan ait été contrecarré par cet affreux officier.
— Tu as été spectaculaire, ma grande, dit enfin Angélique en s'approchant pour me prendre la bourse et la lettre.
Elle en sort le puzzle Délizéen et me redonne la montre et l'alliance.
— Gardes-les précieusement. Johannes aimera certainement l'idée qu'un de ses enfants veille sur eux.
Je reprend la bourse de cuir usé et la serre contre mon coeur tandis que ma mère défait rapidement les pièces imbriquées du puzzle.
— Allez, nous n'avons pas beaucoup de temps. Sophie, viens-tu avec moi?
— Certainement.
— Où allons-nous, demandé-je, incertaine.
— Pas toi, dit Angélique. Toi, ma chérie, tu restes ici et tu termines nos bagages. Le taxi sera là à huit heures pour nous emmener à la gare et nous devons plus que jamais prendre ce train.
Sur ces mots, les deux femmes sortent, me laissant seule avec ma confusion et ma tristesse. Je glisse la montre de mon père à mon bras, ajustant le bracelet aimanté au minimum afin qu'elle ne glisse pas hors de mon poignet. Ensuite, j'enfile l'alliance dans la chaîne que je porte au cou. Il vaut mieux ne pas prendre de risque et porter ces objets sur moi. Déposant la bourse de cuir dans un coin de ma valise, je me demande pourquoi, de ces trois objets, Angélique a-t-elle choisi le casse-tête. Cela ne fait aucun sens. Comprenant qu'il ne sert à rien de tenter de trouver la réponse à cette question et connaissant suffisamment ma mère pour savoir qu'elle ne me dévoilera ses plans que lorsqu'elle sera prête, je balie mes questionnements dans un coin de mon esprit. J'ai du travail, il faut que nous soyons prête à partir ce soir, et il semble primordial que nous soyons dans le train de huit heure.
Une lourdeur résignée accompagne mes gestes. Papa, mon petit papa adoré est parti... et ce maudit Caporal de Grive avec ses yeux intrusifs et son regard de voyeur a tué l'espoir.
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