SEVENTH STAGE
« L'amour n'est pas le jouet du temps, quoiqu'il frappe de sa faucille recourbée les lèvres et les joues vermeilles ; l'amour ne change pas avec les heures et les semaines rapides, mais il dure jusqu'au dernier jour. Si c'est une erreur, et qu'on puisse me le prouver, je n'ai jamais écrit, et nul homme n'a jamais aimé. »
Prenant une inspiration, je profite un instant de l'odeur des vieilles pages jaunies par le temps : Œuvre complète, Shakespeare. Posant le livre sur le plancher de la voiture, je passe mes bras autour de la taille de Josh, me serrant contre son corps allongé sur la banquette arrière de la Corvette.
« Tu aimes ? Me demande-t-il alors, sans défaire son regard sur plafond. »
Je hoche doucement la tête.
« Mon prof me l'avait prêté, et... J'ai jamais pu lui rendre. Je crois que c'est une édition particulière, mais tant pis, maintenant le livre est à moi. Je m'en séparerais pour rien au monde. »
Tout en prononçant ses mots, il vient caresser mes cheveux, les rassemblant pour dégager mon visage et ma nuque. J'entends alors de la musique : il vient de mettre un de ses écouteurs dans mon oreille, et du Charles Aznavour y joue désormais ; la radio de la voiture ne marche plus depuis longtemps.
❁ ❁ ❁ ❁
Courant sous la pluie, on entre rapidement se réfugier dans le salon de la tante de Josh ; décidément, quel temps de merde ! Il éclate de rire retire sa chemise trempé, tandis que je m'apprête à faire de même avec ma robe. Ça ne sera pas la première fois que je devrai lui emprunter des fringues.
Mais un raclement de gorge me fait sursauter et je redescends vite la jupe que j'avais commencé à soulever. Me tournant alors, je constate la présence de Sam, qui nous observe avec un sourcil haussé.
« Continuez hein, je voudrais pas déranger. »
Josh lève les yeux au ciel, tandis que je me retrouve à devoir supporter le tissus glacé contre ma peau.
« T'étais pas censé être à la gare ou un truc de style ? Demande le plus jeune des deux cousins.
- Si, et je suis revenu depuis plus de deux heures. On se demandait quand vous feriez de même.
- On ?
- Jackie, tu m'as tellement manquée ! »
J'écarquille les yeux en entendant cette voix que je connais par cœur mais que je n'ai entendue qu'au téléphone ces dernières années.
« Sissi ? »
Une masse de cheveux bruns au parfum CHANEL me fonce dessus pour me serrer dans ses bras, étreinte que je lui rends maladroitement. Qu'est-ce que ma sœur fait ici ? Elle n'était pas censée être en stage à Hong Kong ? Ou en mission d'espionnage pour la CIA ? Ou à conseiller le président à Washington ?
« Mon contrat à Dubaï s'est terminé, alors je me suis dit que j'allais venir voir ma petite sœur ! »
Ah, perdu. En même temps, avec elle, on ne peut jamais savoir.
« T'es devenue encore plus jolie, c'est incroyable ! »
Elle recule d'un pas pour m'observer, m'offrant l'occasion de faire de même. Et avec mes cheveux trempés, mon visage pas maquillé et mes fringues toutes simples, je ne peux pas rivaliser. Vêtements de marques, bijoux parfaitement assortis et maquillage hollywoodien... Comment est-ce qu'elle a le temps de préparer ça tous les matins ? Ou est-ce que les filles dans son genre se réveillent coiffées et maquillées, comme dans les films ?
Réalisant que je n'ai toujours rien dit, j'ouvre la bouche pour lui souhaiter la bienvenue, mais elle passe déjà à autre chose.
« Oh mon dieu, Josh ?! »
Évidemment.
❁ ❁ ❁ ❁
Franchement, je n'aurais jamais pensé dire ça, mais s'il n'y avait pas eu Sam, cette soirée aurait été terrible. Mamie est venue nous rejoindre et on a tous dîné sur la terrasse de Tante Madelaine. Et si je ne les connaissais pas, j'aurais sans doute pensé que Josh et Sissi était un jeune couple : elle ne l'a pas lâché. Donc j'ai passé le repas à parler avec Sam, qui est surprenamment plus intéressant qu'on pourrait le penser au premier abord.
Finalement, les « adultes » se lèvent de table, ne laissant plus que Josh et moi pour débarrasser : après tout, c'est l'honneur des plus jeunes, et même si lui aussi est déjà majeur, je pense que je lui aurais tout bonnement balancé le saladier à la gueule s'il m'avait laissée m'occuper de tout ça seule.
Alors que j'empile consciencieusement les assiettes, il s'approche de moi pour prendre les verres et la cruche d'eau.
« Tu savais que ta sœur allait revenir ?
- Absolument pas.
- C'est dingue, elle n'a absolument pas changé ! »
Je me retiens très fort de rouler des yeux, me concentrant sur ma tâche.
« D'ailleurs, elle sera là, chez Delphine. »
Je sens l'horreur arriver.
« Elle m'a demandé d'y aller avec elle. »
Bingo. Posant les assiettes avec une douceur toute relative, je me tourne vers lui, attendant qu'il continue et ne me donnant surtout pas la peine de répondre.
« Ça fait un moment qu'on ne s'est pas vu, elle et moi, je ne me sentais pas de lui dire non... Mais on pourra toujours se voir sur place, ou traîner ensemble après ? De toute façon on se voit déjà tous les jours ! »
Je hoche la tête, haussant les épaules. Quelque chose en moi devrait s'énerver, je le sens bien, mais j'ai tout simplement l'impression d'être vide de toutes les émotions que je devrais ressentir à l'instant-même. J'ai juste envie que cette discussion se termine, de rentrer chez moi.
« Je crois que je vais rentrer, d'accord ? Je te laisse finir ça, après tout je suis invitée. »
Et sur ces mots, je quitte la table, pour aller prévenir ma grand-mère que je rentre en avance.
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