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Maïa réapparut peu de temps après. Sans sa fille.
– Lulia ?
– Chez son père.
Il fallut quelques jours à Jao avant de constater l'anomalie : Maïa n'avait pas une seule fois tenté de la contacter. Certes, on était loin de Bourbay, mais son vieil émetteur-récepteur d'ondes myriamétriques suffirait à assurer une communication moyenne distance. Il se fit pressant. L'explication, déchirante, fut émise du bout des lèvres. Vendue. Sa petite-fille avait été vendue. À qui ? Un couple sans enfant, mais avec des moyens. C'est ce qu'on lui avait dit, mais au fond, elle n'en savait rien. Jao sentit son cœur saigner.
– Mais Papa, tu ne te rends pas compte ! On pourrait la racheter si seulement tu acceptais de vendre ce fruit que tu couves et protèges comme jamais tu ne m'as jamais couvée ni protégée !
Se défendre par l'attaque. Remuer le couteau dans la plaie. Jusqu'à ce qu'elle obtienne ce qu'elle était venue chercher.
– Tu les as prévenus ?
– Qui ça ? VERTEK ?
– Tu les as contactés oui ou non ?
– Tu deviens complètement parano.
– Tu ne me réponds pas.
– NON ! Pas encore.
– Donc tu as l'intention de le faire.
– Et toi, as-tu l'intention d'abandonner ta seule et unique petite-fille ?
Elle allait jouer la carte du devoir patriarcal jusqu'au bout.
– Lulia est ta fille. Elle est... Elle était sous ta responsabilité.
Maïa eut un geste d'énervement.
– Tu aurais pu m'aider. Au lieu de ça, tu t'enfuis à la surface ! Regarde ce paysage de mort qui t'entoure ! C'est là que tu veux finir ta vie ? Loin de ta famille ? Enveloppé de néant ?
Jao aurait tant aimé lui parler de la lune et des étoiles que par temps clair, on parvenait à voir scintiller dans la nuit. Des dunes mouvantes qui, sous les rafales du vent capricieux, redessinaient chaque jour l'horizon. Du soleil qui chauffait la peau quand on se baignait dans ses rayons, rayons qui s'invitaient chaque matin dans l'habitat au travers des fenêtres embuées, avec une ponctualité rassurante. Il aurait aimé aussi lui avouer qu'il avait, il y a peu, assisté à une merveille inouïe qui s'était manifestée sous la forme de gouttes d'eau tombant du ciel... « Pluie. » C'est ainsi que Timon avait identifié l'événement.
– De quoi tu parles ?
Le mot lui avait donc échappé.
– Maïa. Il se passe des choses... des choses qu'on ne voit pas si on habite sous terre...
– Analogie bidon. Ce n'est pas parce qu'on habite sous terre qu'on est aveugle.
– Non, tu ne comprends pas... J'ai été le témoin de phénomènes... tu n'as pas idée. Ces phénomènes naturels, on les a oubliés, ignorés. Admettre leur existence reviendrait à remettre en cause notre mode de vie. Nos choix de vie...
Maïa eut un mouvement de recul.
– Tu parles comme ces hérétiques qui fabriquent des complots et cherchent à déstabiliser l'équilibre déjà précaire dans lequel nous vivons !
Cette fois, c'est Jao qui eut un frisson. Et bizarrement, c'est sa propre fille qui lui faisait peur.
– Papa ! Nous n'avons pas de mode de vie ! De quels choix parles-tu à la fin ?! Nous n'avons qu'un seul choix : la survie ou la mort !
– La mort ? La mort, ma fille, ne viendra pas d'en haut.
Et sur ces mots, il l'empoigna par le bras et s'engouffra dans l'antichambre menant sur le sas qui avait dû servir de vestibule il y a bien longtemps. Maïa s'affola, se débattit, mais son père tenait bon. Il raffermit son emprise et d'un violent coup de pied, frappa un pan de bois qui s'avéra être l'ouverture ancestrale de l'habitacle. La porte s'entrouvrit, invitant ainsi le vent sableux à s'infiltrer dans l'antre qu'il convoitait depuis des lustres. Maïa avait d'instinct posé sa main sur son nez et sa bouche, en prévision d'une asphyxie imminente. Jao cognait la porte de son épaule, tentant de repousser les monticules de sable qui l'obstruaient. Maïa, qui attentait la suffocation, fut étonnée du temps que cela prenait. Son père redoubla d'efforts. Il était loin de montrer les signes d'une syncope immédiate. Elle ôta sa main, vaine protection contre un air... respirable !
Une deuxième paire d'épaules vint ébranler le battant qui s'écarta enfin, révélant une lande vaste et sèche. Toutefois, avec l'entraînement de ces dernières semaines, Jao n'a aucun mal à visualiser la verdure qui pourrait un jour tout recouvrir, en commençant par une graine ; un plant ; une feuille au bout d'une tige ; une fleur au bout d'un pédicelle, remplacée bientôt par un fruit ou un légume. Puis deux, trois... Le ciel doit approuver : il se met à pleuvoir.
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