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La tumeur bariolée et odorante changeait de couleur. De vert vif, elle pâlit avant de s'assombrir rapidement. Jao ne sut identifier toutes ces teintes chatoyantes : sous terre, la vie se décrivait en bichromie. Foncée. Claire. Sans oublier les nuances de bruns grisâtres qui finissaient par se fondre les unes dans les autres.
C'était sans compter sur l'ingéniosité des jeunes visiteurs qui revinrent un beau jour, accompagnés de nouvelles têtes curieuses et toutes aussi éblouies en arrivant dans l'habitat ensoleillé. Timon n'était pas là, mais Jao reconnut un ou deux visages familiers. À la vue de l'énigmatique drupe, chacun y alla de son avis tranché :
– C'est un légume !
– Mais non, c'est un fruit !
– Comment en es-tu si sûr ?
– Parce qu'il y avait une fleur avant. N'est-ce pas Jao ?
Il acquiesça, épaté devant un tel étalage de sagesse. Légume. Fruit. Des mots que l'on ne connaissait plus, car inutilisés. Inutilisables.
– Violine !
– Indigo !
– Améthyste, sans aucun doute !
Maintenant, il fallait se mettre d'accord sur la couleur. Mais ce que Jao retint avant tout, c'est que son fruit était comestible. Une jeune fille, restée silencieuse, prit alors la parole d'un air qui se voulait grave, mais qui dissimulait mal une excitation certaine.
– Ce que j'ai appris en faisait des recherches de mon côté, c'est que dans le cas où il s'agirait véritablement d'un fruit, en recueillir les graines est très important.
Tout le monde s'était tu. Elle hésita à continuer.
– C'est important si on veut... semer et donc faire pousser de nouveaux plants.
– Sans passer par VERTEK ?
– C'est ça.
Jao se tint la poitrine. Il y sentait battre un marteau-piqueur. Bien qu'il ait délibérément désobéi à la firme, il n'aurait jamais songé à pousser sa rébellion jusqu'à planter sans le consentement d'une quelconque autorité.
– C'est quoi ce baratin-là ? Je l'ai payé cher, ma plante ! Vous m'avez tous parus raisonnables, mais si j'apprends que vous en êtes après mes graines pour... je sais pas moi, les revendre sur le marché noir, je vous jette tous dehors illico ! Allez donc voir ailleurs ! Vous aurez peut-être plus de chance de corrompre d'autres propriétaires de plantes moins scrupuleux !
Les regards se croisèrent. Un garçon hocha enfin la tête avant de s'adresser directement à Jao :
– Ce qu'apparemment, vous ne savez pas, c'est qu'aucune autre plante du label VERTEK n'a donné de fleur. Et donc de fruit. Votre cas est... unique.
– Nous, on pense que c'est parce que vous êtes en surface. Vous ne vivez pas au rythme de cycles artificiels.
– Ça ou bien votre plante se nourrit d'autre chose. Comme de lumière solaire par exemple...
La conversation reprit, mais Jao n'écoutait presque plus. Il se contenta de jeter un œil attendri à son petit arbrisseau fruitier. Il était devenu le gardien d'une révolution en puissance. Le fruit qui pendouillait gentiment sur sa branche lui apparut soudain dangereux. Ce symbole pouvait potentiellement sonner le glas de cette structure sociétale déjà bancale, car fondée sur les ruines constitutionnelles d'une civilisation en voie d'extinction. Si le peuple se mettait à planter, à récolter, à consommer sans aucune intervention officielle, où s'arrêterait l'anarchie ?
Pourtant, il serait si facile de tirer dessus, de l'arracher de son perchoir suspendu, de l'écraser d'une main et le faire disparaître. Mais il était déjà trop tard. Tous admiraient le fruit, gorgé de promesses. Dans ses graines résidait l'espérance d'une vie d'abondance. Pour l'instant, il n'y avait qu'un seul fruit comestible. Mais bientôt, il pourrait y en avoir des dizaines, des centaines... Les têtes tournaient à ces quantités opulentes. Jao courba l'échine sous le poids d'une responsabilité nouvelle, constatant par la même occasion que les rêves et idéaux de cette jeune génération étaient, contre toute attente, lourdement tangibles. Quelqu'un lui serra l'épaule.
– Vous ne serez pas seul, Jao. Continuez à vous occuper du plant, comme vous l'avez si bien fait jusqu'à présent. Pour le reste...
– Et VERTEK alors ? Ils peuvent débarquer n'importe quand. Et ils prendront le fruit, la plante, tout... Vous n'avez pas vu l'état dans lequel ils me l'ont rendue la première fois !
Les activistes se consultèrent un instant. Une seule issue dans le cas d'une descente de la firme maraîchère : cueillir le fruit et le cacher. Si VERTEK mettait la main dessus, le fruit serait subtilisé et sans fruit, pas de graines. Et sans graine, pas de semis...
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