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« 4. Les plantes poussent à leur rythme, c'est-à-dire lentement. N'intervenez pas pour essayer d'accélérer leur croissance. Elles s'épanouiront en temps et en cycle. »

Assise dans son verre d'eau depuis trois jours, la tige sembla se redresser quelque peu. Les racines s'allongeaient. Un matin, un petit bout de vert perça, tentant de s'extirper du brin sec. Jubilation. Si la plante était sauvée, Jao l'était aussi. Son sort dépendait entièrement de la santé de cette nouvelle tige qui semblait déterminée à faire face au destin. Le pot fut rafistolé.

Au bout de la jeune pousse était désormais enroulé ce que Jao prit pour une feuille. Il dut résister à l'envie d'y toucher pour dérouler le feuillet vert.

« 5. Malgré leur nature organique, votre plante n'est pas comestible. N'essayez pas d'en consommer le feuillage. La garantie ne couvre pas les troubles digestifs qui peuvent survenir suite à l'ingestion de quelque verdure que ce soit. »

Le jour où deux larges et fragiles folioles émeraude se déployèrent, Lulia et Maïa n'étaient déjà plus là. Malgré le rationnement des barres de protéines auxquelles Jao avait droit, ces dernières n'arrivaient à destination qu'une fois sur deux. Jao se privait, mais cela n'avait pas échappé à Maïa.

— Tu vas finir par mourir de faim.

— À mon âge, on n'a plus besoin d'autant de carburant.

Il ne posa pas de question quant aux raisons qui motivèrent ce brusque départ. Il remercia sobrement sa fille d'avoir fait le ménage avant de partir. Elle sourit. Jao déposa un baiser d'adieu sur le front de sa petite-fille dont il ne savait rien du père et les regarda disparaitre dans l'abime qui les engloutit en silence. Digestion discrète. Discrète aussi la subtilisation des quelques livres (objets rarissimes très convoités, car fabriqués à partir d'un matériau ancestral) que Maïa avait découverts par hasard, en époussetant le meuble de l'antichambre qui donnait sur des salles inutilisées. (Le cout d'installation du filtre à oxygène en limitait l'usage à un espace de vie restreint composé des deux pièces les plus ensoleillées de l'habitat.) Discrète enfin, la présence de l'Homo subterraneus sur la planète déserte. Ne restait en surface que quelques amas de silhouettes rectilignes, vagues contours artificiels témoignant de civilisations folles de grandeur et obnubilées par les angles droits.

Depuis sa retraite, Jao avait du temps pour lui, du temps qu'il consacrait désormais en grande partie à contempler l'horizon, et aussi, la plante. Bien qu'il lui eut accordé un peu de répit suite à sa résurrection miraculeuse, le fragile plant devint bientôt source d'une anxiété perpétuelle. À peine lui tournait-il le dos que Jao reposait aussitôt les yeux sur sa protégée qui lui avait joué un sacré tour il a peu : au réveil, le vieil homme avait constaté que le bourgeon de la veille avait éclos. Sauf qu'au lieu du petit feuillet habituel, il se trouvait face à une collerette au cœur pointu, doré et aux couleurs vives, alarmantes.

— Diablerie !

Il eut beau relire les instructions du manuel déjà fort succinctes, il n'y repéra aucune mention de cette chose qu'il avait sous les yeux. Quand les petits confettis multicolores se mirent à tomber, Jao, paniqué face à tant de fragilité, finit par prendre contact avec le service après-vente de VERTEK. Ses tentatives pour leur expliquer la nature du problème et son innocence quant à l'affliction qui rongeait son végétal ne furent pas reçues avec grande empathie. En revanche, un cycle plus tard, on frappait à sa porte. Deux individus costumés en combinaisons verdâtres firent irruption dans son logis, établirent un bref compte-rendu de la gravité de la situation et, sans lui demander son avis, embarquèrent la patiente. Jao se retrouva seul, une fois de plus. La goutte à l'œil, il fixa d'un regard vide le rebord de la fenêtre désormais nu. Tout s'était passé tellement vite. Que signifiait cette confiscation brutale ? Que risquait-il si l'enquête concluait que suite à sa négligence, une forme de vie végétale d'une valeur inestimable avait trépassé ? Une lourde peine. Dans le meilleur des cas.

Les journées se suivirent sans que VERTEK ne donne aucun signe de vie. Les autorités ne se manifestèrent pas non plus. L'aurait-il oublié ? Son antre éloigné serait-il trop isolé ? Son petit pédoncule qui commençait à peine à s'étoffer lui manquait. Et puis, une nuit (sans doute à cause de ce foutu décalage de cycle), le livreur déposa la frêle tige dans son pot sur la dernière marche devant la trappe de sa maison. Il allait repartir quand une envie se fit soudainement très pressante.

— Qui... est-ce ?

Les brumes du sommeil obscurcissaient la vue de Jao qui mit un certain temps à comprendre. Joie des retrouvailles teintée d'inquiétude : la tige était complètement nue. Quant au cœur doré couronné de couleurs, il n'en restait que le souvenir glorieux. Le livreur s'étant soulagé, il en profita pour jeter un œil par la fenêtre. Ténèbres impénétrables. Mais en levant le regard vers le haut...

— Qu... qu'est-ce que c'est ?

Jao, d'un geste de la main, rejeta l'idée qu'il puisse y avoir quoi que soit à observer dans l'opacité d'une nuit désertique.

— Mais si, voyez, là-haut à droite...

Une lumière. En effet. Jao eut beau se frotter les yeux, la lueur s'imprégnait sans relâche sur sa rétine usée. Il dut admettre qu'il y avait bien quelque chose, au loin, qui brillait. Mais quoi ? Le regard des deux hommes alla de la plante à la fenêtre, puis à la plante. Un biiiioouup strident les fit subitement sursauter. Rappel à l'ordre pour le livreur qui s'était laissé aller à une trop longue contemplation de cette étrange fiction à laquelle les circonstances l'avaient convié.

— Faut que j'y aille.

Un salut complice, entendu.

Jao tira une chaise pour pouvoir se plonger à nouveau dans l'observation du phénomène extraordinaire, mais il fut incapable de repérer l'étincelle dans la nuit qui, sans crier gare, s'était faite très épaisse. Il caressa d'un geste las ce qu'il restait de son plant.

— Mais qu'est-ce qu'on t'a donc fait subir ?

Désolation.

— Va falloir te requinquer, ma jolie.

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