Matinée de tempête

Le truc, maintenant, c'est de trouver Taehyung, où qu'il soit sur le bateau, puisqu'il ne sera certainement pas dehors. Malgré tout, bien que la moitié des passagers semble avoir choisi de rester dans leurs cabines pour attendre la fin de la tempête, et bien que les couloirs soient pratiquement déserts, il n'est nulle part en vue. Jungkook jette un coup d'œil à la bibliothèque, aux salles de réception, aux cinémas, au spa, aux piscines intérieures, sans succès.

Par contre, il tombe sur Seokjin, dans le hall près du Grand Escalier. Son meilleur ami le fixe d'un air surpris.

— Tu ne devais pas aller à une réunion ce matin ? demande-t-il.

— Annulée. Jisoo est malade.

— Oh mon Dieu ! souffle Seokjin, l'air choqué. Déjà des nausées matinales ?!

Non ! s'exclame Jungkook avec force.

Autour d'eux, plusieurs personnes se retournent pour les regarder ; embarrassé, il reprend un peu plus bas :

Non. Le mal de mer, pas les nausées matinales. Bordel, hyung.

— Oh, tu sais, je suis sûr que ça ne la dérangerait pas, répond Seokjin en haussant les épaules.

Moi, ça me dérangerait ! proteste Jungkook, le nez plissé. Ça me dérangerait énormément. Enfin bref, je ne peux pas rester, désolé. Je cherche quelqu'un.

— Qui ?

Jungkook s'efforce de ne pas rougir. Il n'est pas certain de réussir.

— Mmh... J'ai rencontré un type à la fête, hier...

— Tu as rencontré un type à la fête hier ? répète Seokjin en haussant un sourcil. Oh oh oh, Jungkook ! Petit coquin.

— Oh, ça va, la ferme, grommelle-t-il.

Il se sent déjà assez coupable comme ça. L'idée de se marier ne l'enchante pas, mais il sait que Jisoo est amoureuse de lui, et il n'a pas envie qu'elle ait de la peine.

C'est juste qu'il n'a pas envie d'elle tout court.

— Je ne veux pas te retarder, alors, sourit Seokjin. Mais je veux tous les détails, tu m'entends ? Les détails, Jungkook !

— Je ne te donne jamais les détails de ma vie amoureuse.

— Normal, puisqu'il ne t'arrive jamais rien.

— Exactement. Ma vie n'a rien d'intéressant.

— Oui, mais ça risque de changer, pas vrai ? Puisque tu as rencontré un type à la fête hier, le taquine Seokjin en agitant les sourcils.

Jungkook lâche un soupir. Il aime Seokjin de tout son cœur, mais parfois, il a vraiment envie de le frapper. Seokjin le sait certainement, mais il se contente de sourire.

— Les détails, ajoute-t-il une dernière fois.

— Ok, ok, cède Jungkook. Je te raconterai. À plus tard, hyung.

Après avoir passé une demi-heure à chercher partout sur le bateau, Jungkook se demande si Taehyung n'est pas dehors quand même, comme il l'avait promis. C'est le seul endroit qu'il n'a pas vérifié.

Ou alors, il a le mal de mer comme les autres, et s'est enfermé dans sa cabine – mais ça vaut tout de même la peine d'aller s'en assurer.

Lorsqu'il se glisse à l'extérieur, une forte bourrasque le fait vaciller. La tempête a forci depuis sa séance de jogging à l'aube, et le pont est détrempé par la pluie et l'eau de mer. Le plancher en devient particulièrement glissant ; Jungkook est obligé de se montrer très prudent et de se tenir à la rambarde pour garder l'équilibre. En moins d'une minute, le jean noir et le tee-shirt blanc qu'il a mis sont complètement trempés, et il ressemble à un rat mouillé. Merde. C'est pathétique. Il espère presque que Taehyung ne soit pas là, pour qu'il ne le voie pas comme ça.

Mais il est là.

Lorsque Jungkook arrive à la proue, son rythme cardiaque accélère subitement : il distingue la silhouette de Taehyung, recroquevillée sur son banc habituel, face à la tempête. Il porte un ciré jaune qui le protège un peu, mais ses cheveux dégoulinent d'eau, tout comme le bas de son pantalon et ses pieds : il ne porte que des claquettes noires. Il doit être congelé, pense Jungkook, stupéfait.

— Taehyung, dit-il doucement – même pas pour l'appeler, mais juste parce qu'il a terriblement besoin de prononcer son nom, en cet instant précis.

Taehyung ne l'entend pas, de toute façon, car le vent rugit trop fort ; il ne le voit pas non plus s'approcher, parce qu'il cache la tête dans ses genoux, les bras enroulés autour de ses jambes pliées. Il ressemble à un enfant qui a peur du noir.

Jungkook ne peut s'empêcher de le contempler, le cœur en chute libre. Taehyung est là. Il est venu. Il a défié la tempête, la pluie, le froid, tout ça pour Jungkook.

Il est complètement dingue de toi, a dit Yoongi. Et si c'était vrai ?

Soudainement, Taehyung tourne la tête vers lui, comme s'il avait senti sa présence silencieuse, et leurs regards se croisent. Jungkook a l'impression de vivre la scène au ralenti. Taehyung cille, écarquille les yeux, relève la tête, et subitement, il rayonne, comme un petit soleil sous la pluie battante. Jungkook est ébloui.

— Jungkook ! s'exclame Taehyung en sautant de son banc. Tu es venu ! Je pensais que tu ne viendrais pas !

— J... J'ai failli ne pas venir, bafouille Jungkook. J'avais une réunion, mais elle a été annulée, et...

— Et tu es venu, complète Taehyung avec un sourire lumineux. Je suis trop content.

Il a l'air à deux doigts de lui sauter dans les bras pour lui faire un câlin, et Jungkook se surprend à espérer qu'il le fasse – c'est tellement bizarre. Ils ne se connaissent même pas ! Ils se sont croisés trois fois et parlé en tout et pour tout pendant cinq minutes, et pourtant, Taehyung sourit tellement que ses yeux ne sont plus que deux fentes ; et pourtant, Jungkook sent la tendresse et la chaleur lui parcourir les veines.

— Tu es trempé, remarque alors Taehyung.

Jungkook ne comprend pas tout de suite pourquoi il rougit en disant ça, jusqu'à ce qu'il baisse les yeux et qu'il découvre que son tee-shirt blanc est devenu complètement transparent, à présent, et qu'il lui colle à la peau. Pendant quelques secondes, il regrette de ne pas avoir mis de maillot de corps en dessous – puis il remarque que Taehyung est bouche bée, incapable de détacher son regard de son torse, ses abdos et ses tétons, et tout à coup, il ne regrette plus tellement.

Il ne regrette plus du tout, même.

C'est à la fois drôle et étrange de savoir que c'est lui qui cause les plaques rouges qui marbrent le cou de Taehyung, ainsi que son agitation. Il a l'habitude de faire de l'effet aux femmes, mais avec les hommes, c'est complètement différent – beaucoup plus important – et l'idée lui fait plaisir autant qu'elle le trouble.

Finalement, Taehyung lève le regard vers les yeux de Jungkook, l'air fabuleusement embarrassé, et Jungkook ne peut s'empêcher de sourire.

— On rentre à l'intérieur pour se trouver des vêtements secs à mettre ? demande-t-il doucement.

Taehyung marmonne un « je te préfère avec des habits mouillés » que Jungkook n'est sans doute pas censé entendre – mais il l'entend quand même, et il éclate de rire.

— Merci, je suis flatté.

Taehyung rougit encore plus quand il se rend compte que Jungkook l'a entendu ; il se cache le visage dans les mains et grogne. C'est adorable.

— Merde, murmure-t-il. Je suis bien plus doué que ça pour flirter, d'habitude.

À cet aveu, le cœur de Jungkook se remet à tambouriner dans sa poitrine, et il déglutit. Est-ce vraiment une bonne idée, ce qu'il est en train de faire ? Il va bientôt se marier, bon Dieu.

Mais c'est la première fois qu'il se sent aussi vivant depuis des mois, des années, même, et il n'est pas prêt à tout lâcher si vite.

— Je comprends, sourit-il. Je suis troublant.

C'est juste une blague, mais Taehyung la prend bien trop au sérieux.

— Tu n'imagines même pas à quel point, approuve-t-il. Tu es l'homme le plus troublant que j'aie jamais rencontré. Allez viens, on rentre, ou tu vas attraper la mort.

Mais le roulis du bateau les fait brusquement perdre leur équilibre, et ils doivent se tenir l'un à l'autre pour ne pas tomber. Taehyung se met à rire, alors que ses cheveux noirs et humides lui retombent sur les yeux en bouclant doucement.

— J'adore ce temps ! glousse-t-il.

Moi aussi, pense Jungkook, les mains toujours accrochées à celles de Taehyung. Merci à qui de droit, là-haut, d'avoir inventé les océans démontés et le mal de mer.

Lorsqu'ils retournent à l'intérieur, après s'être lâché les mains (malheureusement), les autres passagers les regardent d'un air surpris. Ils laissent une trace humide derrière eux lorsqu'ils marchent – Jungkook est soulagé que sa famille ne puisse pas le voir en cet instant précis.

— On dégouline vraiment de partout, dit Taehyung. Je suis content de ne pas avoir emporté mes dessins avec moi.

— Tu dessines ? demande Jungkook, étonné.

— Oui, je suis un artiste ! Tu veux voir ce que je fais ? Je peux te ramener quelques travaux, je dois retourner à ma cabine pour me changer de toute façon.

— J'adorerais, répond-il doucement.

Taehyung lui adresse un grand sourire ravi.

— Super ! Dans ce cas, va te changer, toi aussi. On se retrouve dans vingt minutes devant le Grand Escalier ?

— Avec plaisir, sourit Jungkook. À tout à l'heure, Taehyung.

Celui-ci reluque une dernière fois son tee-shirt transparent, puis baisse les yeux avec un sourire embarrassé et file dans la direction opposée. Jungkook rigole doucement, puis secoue la tête et retourne lui aussi à sa cabine.

Il ne met pas longtemps à se débarrasser de ses vêtements trempés, qu'il balance dans son jacuzzi vide, avant de se sécher les cheveux et d'enfiler un bas de jogging noir et un sweatshirt à capuche de la même couleur. Ce n'est pas une tenue très sexy, mais elle est confortable ; de plus, avec la capuche relevée, il courra peut-être un peu moins le risque de se faire repérer par d'éventuels partenaires commerciaux.

Quinze minutes plus tard, il est déjà devant le Grand Escalier, à attendre Taehyung. Il n'a pas besoin d'attendre longtemps – après deux minutes, quelqu'un lui tapote doucement l'épaule.

— Jungkook, dit Taehyung en souriant. J'ai failli ne pas te reconnaître.

Il est habillé d'une chemise criarde orange et rouge à motifs paisley, d'un pantalon noir très large et d'un béret posé sur ses cheveux encore humides. Avec le carton à dessins qu'il transporte sous le bras, il a tout d'un peintre français à Montmartre.

Jungkook se demande fugitivement comment quelqu'un d'aussi beau peut exister.

— Je veux te montrer quelque chose, murmure Taehyung en gesticulant avec excitation. J'ai découvert ça hier soir, c'est super cool.

Jungkook le laisser le guider à travers le paquebot ; ils descendent un escalier, puis un autre, jusqu'à ce qu'ils arrivent à l'un des étages les plus bas, la rue des plaisirs, comme l'appellent les passagers. C'est là que se trouvent les cinémas, les boîtes de nuit, les salles de réception, la salle d'arcade ; et elle est pratiquement déserte pour le moment. De toute évidence, personne n'a envie de faire la fête, surtout aussi tôt dans la journée et par une telle tempête.

— Où est-ce qu'on va ? demande Jungkook d'un ton incertain.

— Ici ! s'exclame Taehyung avant de pousser une porte discrète, logée entre un cinéma et une salle de réception. Viens, entre !

Au début, Jungkook se dit qu'il s'agit d'une autre salle de cinéma, bien qu'elle soit beaucoup plus petite que la première (il y est allé, pendant sa première nuit sur le bateau, alors qu'il n'arrivait pas à dormir). Mais les sièges sont inclinés vers l'arrière, installés en cercle, et l'écran est au plafond, en forme de dôme. Il n'y a personne dans la pièce, mais le dôme-écran est illuminé par des millions d'étoiles, tandis qu'une voix grave d'homme narre les beautés des galaxies et des trous noirs.

— C'est un planétarium, chuchote Jungkook, émerveillé.

— Oui ! répond Taehyung, rayonnant. Je voulais aller regarder les étoiles hier, après avoir quitté la fête, mais le ciel commençait à se couvrir et je ne voyais rien, alors je suis descendu ici et j'ai trouvé ça ! C'est incroyable, non ?!

— Oui.

Jungkook lève le nez, incapable de croire à ce qu'il voit. Il aime les étoiles, mais il n'a jamais mis les pieds dans un planétarium ; son père aurait trouvé que c'était une perte de temps.

— Viens, viens ! glousse Taehyung, excité comme une puce. On va trouver un endroit où s'asseoir.

— Je ne sais pas si on y arrivera. Ça m'a l'air plein à craquer, répond Jungkook, pince-sans-rire.

La blague est un peu nulle, mais Taehyung est bon public. En riant, il prend la main de Jungkook et l'entraîne entre les sièges vides avant d'en choisir un, dans lequel il s'installe.

— J'ai passé presque quatre heures ici, hier. Le documentaire tourne en boucle. Regarde ! dit-il en montrant du doigt le dôme. C'est Orion, là ! Tu savais que le restaurant principal, le Rigel, s'appelle comme ça à cause d'une des étoiles de la constellation d'Orion ? Ça paraît logique, en fait !

— Non, je ne savais pas, répond Jungkook à voix basse en s'asseyant à côté de lui.

— Ouais ! Et on ne dirait pas comme ça, quand on les voit dans le ciel, mais en fait, les étoiles d'Orion sont super éloignées les unes des autres.

Il a l'air si exalté que Jungkook doit retenir un petit rire attendri. Taehyung, allongé dans son siège, se tourne vers lui et lui adresse un sourire embarrassé.

— Désolé, je m'emporte un peu, parfois. N'hésite pas à me dire si c'est trop pour toi.

— Non, j'aime bien, lui assure Jungkook d'une voix douce. Je trouve ça mignon.

— C'est vrai ? répond Taehyung, l'air un peu surpris.

— Oui.

La luminosité dans la pièce est minimale, mais à la lumière des fausses étoiles, Jungkook parvient à discerner son expression de tendresse, son sourire timide, son regard affectueux posé sur lui, et son cœur se serre.

C'est tellement paisible, ici. Tellement simple. Il a envie de demander à Taehyung de l'embrasser.

C'est tellement effrayant.

— Tu veux me montrer tes dessins ? demande-t-il à la place, incapable de supporter le poids du regard que Taehyung pose sur lui.

Celui-ci se redresse d'un coup.

— Ah oui ! Mes dessins !

Vivement, il attrape la chemise en carton qu'il a posée sur le siège d'à côté et défait avec dextérité le nœud qui la maintient fermée, puis il l'ouvre et la fait passer à Jungkook, qui se redresse pour mieux voir.

— Ce n'est pas grand-chose, le prévient Taehyung. Je n'arrive pas à en vivre pour le moment. Mon meilleur ami Jiminie – il est venu sur le bateau avec moi –, on vit ensemble, et il doit m'aider à payer le loyer presque chaque mois. Je les vends dans la rue, mais personne n'est vraiment intéressé. Les peintures se vendent un peu mieux, mais j'aime beaucoup dessiner au fusain aussi.

À l'intérieur de la chemise, il y a surtout des croquis de personnes, incroyablement réalistes ; des gens en train de dormir dans le métro, en train de jouer dans un parc, en train de boire un verre pensivement dans un bar. C'est simple ; pas de fioritures, juste des silhouettes, mais ça sonne vrai. C'est émouvant.

Jungkook est sonné.

— Ce type, là, dit Taehyung en montrant du doigt le dessin sur lequel ils se sont arrêtés, c'est un très vieil homme aveugle qui chante tous les soirs dans ma rue. Il pose un tabouret là, un chapeau retourné devant lui, et il chante. Sa voix est si belle ! Si je ne devais pas dépendre de Jimin pour payer le loyer, je lui donnerais tout mon argent.

— C'est magnifique, dit Jungkook à voix basse.

— Et cette petite fille, là, elle vit dans l'appartement d'à côté. Ses parents sont morts dans un accident de voiture quand elle avait trois ans, et sa tante et son mari l'ont recueillie. Je m'occupe d'elle, parfois, quand ils veulent aller au cinéma ou au restaurant. Elle est trop mignonne. Elle sourit tout le temps. Et elle adore dessiner, aussi ! C'est moi qui lui ai appris.

— Taehyung... C'est incroyable. Tu as tellement de talent.

Taehyung semble rayonner de bonheur. Même dans la demi-pénombre, il est éblouissant.

— Tu trouves ?

— Oui, bien sûr. Ils sont incroyablement bons. J'adorerais voir tes tableaux aussi.

— Je ne les ai pas pris avec moi, ils sont trop grands. Mais si tu me rends visite à Séoul, je te montrerai !

— Ce serait avec plaisir, répond Jungkook doucement.

Taehyung rougit, et tente de le cacher avec la chemise, mais Jungkook le voit quand même. C'est adorable.

— Ah ! Et ça, ce sont les mains de Jimin. J'adore les dessiner, elles sont tellement minuscules, on dirait des mains de fille ! Mais il déteste quand je dis ça, alors ne le lui répète pas.

Jungkook ne peut s'empêcher de rire.

— Il a de la chance, alors. Yoongi adore les petites mains. C'est presque un fétichiste.

— Yoongi ? C'est le Type à la Parka ?

Jungkook hausse un sourcil.

— Le Type à la Parka ?

— Oui, il était à ta fête hier soir. Parka verte, jean troué. En train de parler à la Star de Cinéma, le type avec le visage parfait.

Cette fois, Jungkook éclate de rire.

— La Star de Cinéma ?! Oh, il va être tellement content d'apprendre que c'est comme ça que vous l'appelez. C'est Seokjin, mon meilleur ami. Le Type à la Parka, c'est Yoongi, mon cousin.

— Ils sont venus sur le bateau exprès pour la fête de fiançailles ? demande Taehyung en fermant la chemise et en la remettant sur le siège d'à côté avant de se tourner à nouveau pour faire face à Jungkook.

— Oui, je les ai invités. Mon père était furieux, il ne voulait pas que Yoongi vienne parce qu'il ne l'aime pas, mais j'ai insisté.

— C'est parce qu'il ne portait pas de smoking hier ?

— Non, c'est pour tout. Il ne met jamais de smoking lors des réceptions importantes, il se fiche de ce que les gens diront de lui, il sort avec des filles et des garçons, il est musicien indépendant... il représente tout ce que mon père hait de tout son cœur. Mais c'est mon cousin du côté de ma mère, alors mon père ne voulait pas risquer d'offenser mon oncle en disant non.

— Vous avez grandi ensemble ? Toi et Yoongi ?

— Pendant un moment, oui. Je suis né à Busan, mais on n'y est pas restés longtemps. Mon père a été transféré à Daegu, là où vivait Yoongi. J'y ai habité de six à douze ans, donc on était toujours ensemble à ce moment-là, avec mon petit frère qui nous suivait partout.

— C'est vrai ?! Je viens de Daegu, moi aussi ! s'exclame Taehyung, tout heureux. Peut-être qu'on s'est rencontrés quand on était enfants !

— Peut-être, sourit Jungkook. Mais je pense que je me serais rappelé de quelqu'un comme toi.

— Oui, moi aussi... Qu'est-ce qui s'est passé après tes douze ans ?

— Mon père a obtenu un poste très important à Séoul, alors on a déménagé une deuxième fois. C'est là que j'ai rencontré Seokjin, mon meilleur ami. La Star de Ciné, ajoute-t-il avec un clin d'œil amusé. C'était le fils d'un collègue à mon père. Après deux ans, Père a quitté l'entreprise pour créer la sienne, et voilà. Douze ans plus tard, sa compagnie est à la pointe de l'industrie informatique.

— Je vois, répond Taehyung. C'est impressionnant.

Jungkook hausse les épaules. C'est vrai, mais les prouesses de son père ne lui procurent aucune fierté.

— Et donc, c'est toi qui vas hériter de la compagnie un jour, ajoute Taehyung.

— Oui, soupire Jungkook. Je suis obligé. Je préférerais qu'elle revienne à mon frère, mais il n'est pas doué pour les affaires. En fait, il est carrément nul. Ce n'est pas son truc. Il ferait couler la compagnie en un an.

— Ouah, grimace Taehyung.

— Ouais.

Un silence s'installe, pendant lequel Jungkook apprend distraitement, grâce à la voix off du documentaire, qu'il y a plus de galaxies dans l'univers qu'il n'y a d'étoiles dans la Voie Lactée.

— Il faut que je te pose une question, reprend Taehyung après un moment. Et cette fois, ton père n'est pas là pour t'empêcher de répondre. Il n'y a personne d'autre que nous, ici. Et les étoiles.

— Quoi ?

— Est-ce que tu veux vraiment te marier ?

Jungkook fronce les sourcils. Il ne sait pas s'il est censé répondre à ça – mais il en a envie, en tout cas.

Très envie.

— Non, avoue-t-il. Je ne veux pas me marier.

— Mais alors, pourquoi...

— Parce que je n'ai pas le choix. Père a choisi Jisoo lui-même, parce que c'est la fille du président d'une grande compagnie qui produit des puces électroniques. Ce serait un partenariat idéal entre nous. Mais surtout, il ne veut pas qu'on découvre que je suis gay, alors il a menacé de me renier si je ne me mariais pas.

— Tu... Tu es gay, bafouille Taehyung, les yeux écarquillés. Dieu merci.

Jungkook pouffe.

— Ce n'est pas pour ça que tu m'as dragué, hier ? Parce que tu avais un radar, ou quelque chose comme ça ?

— Non, je ne savais pas. Enfin, j'espérais, mais je n'avais aucune certitude. Un obstacle de moins ! sourit Taehyung.

— C'est quoi, les autres ?

— Eh bien, le fait que tu te maries. Mais après ce que tu m'as dit, peut-être que ça peut s'arranger.

Jungkook lui adresse un petit sourire contrit.

— C'est vraiment un énorme obstacle. Si je pouvais annuler le mariage, crois-moi, je le ferais. Et ensuite, tu serais libre de me faire tomber amoureux de toi.

— Tu ne l'es pas déjà ? plaisante Taehyung.

Avec un petit rire moqueur, Jungkook lui tape doucement le bras.

— Arrête d'être aussi présomptueux. Bref, en tout cas, je ne peux pas l'annuler. J'ai déjà essayé.

— Peut-être que tu n'as pas assez essayé ?

— J'ai tellement essayé qu'il m'a dit qu'il couperait les ponts avec moi si je n'épousais pas Jisoo.

— Aïe.

— Oui. Évidemment que je ne veux pas passer le reste de ma vie enchaîné à une femme que je n'aime pas, obligé de cacher qui je suis vraiment, Taehyung. J'ai essayé, crois-moi. Mais Père ne veut rien entendre.

— Oui, répond Taehyung à voix basse. Je suis désolé, je ne voulais pas sous-entendre que tu n'avais pas fait assez d'efforts.

Il glisse une main entre eux et entrelace ses doigts avec ceux de Jungkook, qui n'essaie pas de se libérer, même s'il se dit qu'il devrait probablement.

À la place, il referme la main sur la sienne.

— Mais il a besoin de toi, ajoute Taehyung d'une voix si basse que Jungkook est obligé de tendre l'oreille pour l'entendre. Ton père. Il dit qu'il ne veut pas laisser l'entreprise aux mains de ton frère. Ça veut dire que tu peux imposer tes propres conditions, non ? La balle est dans ton camp.

— Je ne pense pas, soupire Jungkook. Je crois qu'il préférerait encore donner l'entreprise à mon frère et la regarder couler que d'avoir un PDG ouvertement gay.

Après ça, Taehyung ne dit plus rien pendant un moment. Jungkook se demande s'il le juge, s'il est consterné par son manque de courage. Parce que c'est là qu'est le cœur du problème : Jungkook n'a pas le courage d'affronter son père. S'il était comme Yoongi, il lui dirait d'aller se faire voir et le laisserait le renier.

Mais il a peur, peur de finir à la rue, peur d'être seul, peur d'être un fardeau pour Yoongi, pour Seokjin, peur de couper les ponts avec sa famille, même si ça fait bien longtemps qu'il n'y a plus d'amour entre eux – s'il y en a jamais eu.

Il se souvient de la fois où son père a débarqué dans son appartement à l'aube pour discuter d'un projet et l'a trouvé au lit avec un garçon – son petit ami de l'époque. Pas en train de faire l'amour, juste en train de dormir l'un à côté de l'autre, mais le mal était fait. Il ressent encore la douleur fantôme de son père en train de le gifler, encore et encore.

Mon fils n'est pas un pédé ! avait-il dit alors. Tu as intérêt à t'assurer que personne ne le sache, ou tu le regretteras, Jungkook, je te le jure.

Après ça, il avait dû rompre avec son petit ami. La terreur ne l'a plus jamais quitté depuis.

— Et si on parlait d'autre chose ? demande-t-il finalement, après un long silence.

— Bien sûr, répond doucement Taehyung, tandis que son pouce trace des motifs sur le dos de la main de Jungkook. Tu veux que je te raconte comment j'ai gagné ma place sur ce bateau ?

— Ouais !

— Ok. Alors, il y avait un magasin dans un centre commercial, et...

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